Le projet de loi portant révision de la Constitution pour supprimer le poste de Premier ministre a été entériné ce 5 mai à l’Assemblée nationale. Ainsi, après neuf heures de confrontation verbale entre les députés de la majorité et de l’opposition, 124 députés de Sa Majesté ont, en chœur, prononcé l’oraison funèbre qui accompagne l’enterrement du poste primo-ministériel. Ainsi, comme Ismaël que son père Abraham a voulu sacrifier sur l’autel de sa foi inébranlable en Dieu, Boun Abdallah, aussi, a accepté d’être, malgré lui, l’agneau que les députés de la majorité devaient sacrifier en ce jour mémorable du 05 mai 2019 sur recommandation du dieu Jupiter Sall. Mais on ne pleurera pas sur le sort de Boun puisqu’il retrouve sa résurrection au Secrétariat général de la Présidence (SGP). Auprès de Macky Sall, en tant que SGP, il pourra continuer de jouer d’ailleurs un rôle plus prégnant que celui du PM. Boun pourra coordonner l’action gouvernementale, centraliser, au quotidien, les synthèses émises par les différents ministères avant de les transmettre, si nécessaire, au chef de l’Etat. Dans nos régimes, les SGP sont de PM-bis qui, très souvent, ont plus d’influence auprès du Président que le PM. Combien sont-ils ces ministres qui, lors du septennat, au mépris de Boun Dionne, ne traitaient leurs dossiers qu’avec Maxime Jean Simon Ndiaye, qui, en dernier lieu, transmettait au Président ? Court-circuitant ainsi Boun Dionne !
L’ère de l’omniprésidence
Désormais, voilà Macky seul chef devant Dieu et la Nation. Le poste de Premier ministre étant supprimé, il devient le titulaire exclusif du pouvoir exécutif. Installé sur son trône de monarque républicain, il dispose désormais seul du pouvoir de réglementer par décret mais aussi de nommer et destituer ses ministres. Ainsi, la séparation des pouvoirs disparaît. Comme un président-Jupiter (Jupiter étant le dieu romain qui gouverne la terre, le ciel et tous les autres dieux), Macky devient hyper-impuissant, super-présent et omnipotent trônant sur le ciel de toutes les institutions de la République. Il est chef de l’Exécutif et chef du gouvernement. Au moment où l’exécutif devient plus fort, le Parlement s’atrophie davantage. C’est l’ère de l’omniprésidence. Macky Sall est aujourd’hui le seul maître à bord. En conséquence, si son parti perd les élections législatives en 2022, il ne sera pas contraint de subir la punition de la « cohabitation », car il conservera intact son pouvoir exécutif. Et si sa politique est rejetée par une éventuelle Assemblée contrôle par l’opposition en 2022, rien ne l’empêchera d’user de l’article 52 qui lui donne des pouvoirs exceptionnels de dissolution en temps de crise. Ceux qui disent que le principe de révocabilité mutuelle a disparu de la charte fondamentale se méprennent sur le contenu de l’article 52 qui donne au Président toute la latitude d’en user en période de crise. L’article 52 stipule clairement que « lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire national ou l’exécution des engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate, et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ou des institutions est interrompu, le Président de la République dispose de pouvoirs exceptionnels. Il peut, après en avoir informé la Nation par un message, prendre toute mesure tendant à rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions et à assurer la sauvegarde de la Nation ». Ce qui veut dire que si le pays est bloqué du fait d’une guerre ou de tiraillements entre un Président et une Assemblée de couleurs différentes, la crise institutionnelle s’installe inductivement. Et pour « rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions », il ne peut user que de la dissolution de l’Assemblée pour aller chercher une majorité qui approuverait sa politique bloquée par la majorité oppositionnelle.
Aujourd’hui dans le camp du pouvoir, on donne des gages pour soutenir faussement que, même en temps de crise, le président ne peut dissoudre l’Assemblée nationale. Mais de ce que l’on connait de Macky Sall, il n’est pas ce Président qui s’accommode des principes et même de l’esprit des textes quand il se sent menacé. C’est cela aussi le point fort des autocrates. Seule leur volonté est loi.
Il y a 36 ans, c’étaient les mêmes pseudo-motifs avec Abdou Diouf
36 ans après, Macky Sall suit les traces de son nouveau mentor Abdou Diouf qui n’avait pas hésité, pour en finir avec les mammouths du régime senghorien, à supprimer le poste de Premier ministre. Dans l’exposé des motifs de la loi constitutionnelle 83-55 du 1er mai 1983, on parlait d’impératifs de rapidité et d’efficacité ainsi que de la nécessaire réduction des médiations entre le chef de l’Etat Abdou Diouf et ses ministres. Abdou Diouf n’avait eu de ce fait aucun mal à justifier sa décision. Il expliquait que « le gouvernement, qui avait la charge de conduire la politique du renouveau en cette période difficile devait être en mesure de remplir sa mission avec encore plus de rapidité et de simplicité. De ce point de vue, il s’avérait nécessaire qu’il agît sous l’autorité directe du chef de l’Etat ». Mais le motif réel de la suppression du poste de Premier ministre était, on s’en doute bien, tout autre. Abdou Diouf était dans une logique de désenghorisation. Il fallait une cure de jouvence à l’ère « du sursaut national » où « rien ne serait plus comme avant ».
Diouf, sous l’influence de son missi dominici, feu Jean Collin, mettait fin à ce qu’on appelait le « pacte secret des seigneurs » au sein du PS, en reclassant les barons (dont son ami habib Thiam) à l’Assemblée nationale. Il devenait l’hyperprésident qui prendrait seul les choses en main. Par conséquent, sa décision était motivée par des calculs politiciens plutôt que par des soucis d’efficacité ou de rapidité dans l’exercice de l’action gouvernementale. Dans le projet de loi constitutionnelle N° 07/2019 supprimant le poste de PM sous l’ère Macky Sall, on retrouve les mêmes motifs avancés pour justifier cette mesure : impératif d’efficacité, de célérité et tutti quanti. Le PM étant une pierre d’achoppement dans l’accélération de la cadence gouvernementale, il faut procéder à un dégraissage. Lequel déblayerait le terrain au Président pour pouvoir mettre en œuvre son fast-track.
La succession de Macky à l’arrière-plan
Le 05 avril, le président de la République, Macky Sall, a remercié publiquement son Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne pour « n’avoir ménagé aucun effort dans la mise en œuvre des politiques de l’Etat et pour avoir obtenu les résultats attendus ». Un tel PM qui a conduit avec brio la politique définie par le chef de l’Etat et coordonné harmonieusement l’action gouvernementale, un tel PM qui a permis à notre PIB de passer de 2.82 à 7.2 de 2014 à 2018, un tel PM qui a dirigé victorieusement la campagne des législatives de la coalition Bennoo et coordonné avec maestria le pôle programmes du candidat Macky Sall, un tel Pm, donc, devrait plutôt constituer un atout et non un goulot d’étranglement pour le Président Sall ! Mais paradoxalement, pour le récompenser, on le guillotine publiquement même s’il bénéficie d’une autre nomination rédemptrice. Or la logique aurait voulu que, pour aller plus vite et efficacement, on renforce les pouvoirs du PM et diminue ceux de l’Omniprésident ! En effet, un PM fort donne le la au gouvernement qu’il dirige et allège le Président de certaines charges superfétatoires. Mais dans notre pays, les Présidents sont tellement bonapartistes qu’ils considèrent que toute parcelle de pouvoir dévolue au PM risque d’engendrer une dyarchie au sommet de l’Etat. Laquelle risque de dégénérer en conflit ouvert ou larvé entre le chef de l’exécutif et le patron du gouvernement.
Aujourd’hui, on n’a pas besoin d’être Nostradamus pour appréhender les véritables motivations qui ont présidé à la suppression du poste de PM. Ce n’est ni le risque d’une dyarchie ni la nécessité de mettre entre parenthèses un PM « empêcheur de bien travailler » qui est à la base de cette réforme constitutionnelle. Cette suppression est dialectiquement et souterrainement liée à la structuration de l’Alliance pour la République qui se profile à l’horizon. Et c’est la future configuration politique de l’APR qui laissera deviner les intentions de Macky quant à sa succession en 2024. 2024, c’est la fin de la vie présidentielle de Macky Sall et il faut nécessairement qu’il se choisisse un successeur et une stratégie opératoire qui puissent assurer sereinement une victoire à son camp. Ainsi, effacer le poste de PM participe à brouiller les pistes et à semer tous ceux qui veulent dénicher le dauphin de Macky en 2024 et mettre faussement tout le monde sur la ligne de départ. Sinon, son dernier mandat qui est inscrit sous le mode du fast-track risque de se muer en guerre continue de succession voire de sécession.