«Notre société est hypocrite. Hier, la justice l’avait condamné, certains avaient applaudi. D’autres l’avaient invectivé. Aujourd’hui que le vieillard de 81 ans, malade depuis belle lurette, est décédé au premier jour du mois de ramadan, tout le monde en fait un héros, un martyr… La fourberie devient une culture dans notre pays… ». Ce sont là quelques mots que nous avons lus sur la page Facebook d’une connaissance après le rappel à Dieu du guide des Thiantacounes, Cheikh Béthio Thioune. Cette grande perte pour la communauté musulmane au lendemain de sa condamnation à 10 ans de travaux forcés et les débats qu’elle a alimentés témoignent de notre rapport avec la mort qui est très complexe. Elle nous impressionne, nous trouble….
Les effusions de cœur qui en découlent traduisent généralement notre part d’humanité et de faiblesse, d’ombre et de lumière, d’empathie et d’impassibilité. Faut-il préférer l’écœurante irrévérence envers les disparus et leurs familles à la fourberie des âmes compatissantes juste parce que le défunt était un homme public qui peut être soumis à la vindicte populaire ? Il ne s’agit pas d’être haineux ou de se répandre en éloges immérités. Il est question de recueillement pour respecter la souffrance des êtres éplorés. Juste cela, de la déférence. Nous nous plaisons à porter des jugements en nous parant de toutes les vertus. Nous ne faisons pas l’hypocrite avec les morts ni avec les âmes chagrinées. En vérité, nous nous substituons au créateur et nous nous complaisons dans notre « sursis ». Mais, c’est toujours mieux que l’impudence et le mépris dénotant de prétentions dénuées de sens et de lucidité. Qui sommes-nous pour juger ? Juger, c’est se mettre sur un piédestal. Il est vrai que Cheikh Béthio Thioune est une personnalité qui a investi l’espace public et, pour cette raison, son action est (sera) consignée dans l’imaginaire collectif et exposée à la critique. Par contre, s’attarder sur des insignifiances, c’est porter des jugements de valeur sur une créature forcément imparfaite.
Toutefois, les journalistes, les universitaires, les chercheurs… devront interroger son œuvre en faisant abstraction des « interférences » produites par les considérations de chapelles pour dissiper tous les soupçons d’ostracisme… Nous n’interrogeons pas assez la contribution de nos grandes figures de la vie publique parce que nous orientons souvent le projecteur plus sur leur personne que sur leurs actions méritoires ou ambiguës, surtout quand elles passent de l’autre côté du mystère. Il ne s’agit nullement de faire montre d’une irrévérence effrontée. Ce serait en contradiction avec notre substrat culturel. Il est important de porter un regard lucide sur leurs succès sans enflure, de mentionner leurs échecs et regrets avec responsabilité. Sans s’ériger en censeur public et pudique, le journaliste peut porter un regard critique sur les disparus qui présidaient à la destinée du collectif. Le professionnel de l’information ne doit être ni un thuriféraire, ni un détraqué indifférent aux codes de convenance. Tout parcours est jalonné d’insuccès et de joie. La postérité tire davantage parti de la mise en évidence de cette inexorabilité du destin et de cette dualité de l’être que de la mythification d’une individualité marquante de son époque ou d’un matraquage post mortem inconsidéré.
La presse ne doit être ni un support hagiographique, ni l’autel dressé pour les proches que le sort attriste déjà. Aller au-delà de l’apologie et des ouï-dire et faire la lumière sur l’essentiel sans mépris des convenances. C’est cela la responsabilité. Car, l’œuvre des personnalités publiques doit être inspirante quelles que soient ses faiblesses et son utilité. Nos morts ne « suggèrent » plus parce que l’éloge funèbre et le « négligeable » sont devenus des ritournelles populaires aux rythmes desquelles nous exécutons la danse de l’étourderie. Il y a lieu de fixer les hommes et les actions dans la mémoire collective sans émotion mais avec responsabilité, objectivité et égard ; ce, pour qu’il n’y ait de doute sur l’authenticité de notre roman national.