L’affaire de l’interdiction du voile à l’Institution Sainte-Jeanne d’Arc m’amène à me poser cette simple question : sommes-nous devenus schizophrènes ?
A en juger par les déclarations tapageuses des uns et des autres, on peut légitimement s’interroger.
Ainsi que nous le savons, le schizophrène perd contact avec la réalité et n’en a pas conscience. C’est bien ce qui nous arrive, me semble-t-il, aujourd’hui !
Faut-il rappeler, en préambule, que l’Institution Sainte-Jeanne d’Arc est un établissement scolaire privé géré par une congrégation religieuse catholique dénommée « Sœurs de Saint-Joseph de Cluny ? » Les parents musulmans qui y inscrivent leur enfant ne peuvent l’ignorer. Ils ont donc la liberté de l’y retirer à tout moment, s’ils le jugent opportun, et de l’inscrire dans une école confessionnelle ou publique.
Imagine-t-on des parents catholiques, soucieux de donner à leur enfant une culture religieuse étendue, l’inscrire dans une école coranique et exiger malgré tout qu’il porte une croix autour du cou ?
Si des parents pensent que le port du voile pour leur fille est aujourd’hui indispensable, ils peuvent choisir un établissement confessionnel qui répondra à leur attente. D’autres, plus âgés que moi, pourraient cependant leur rappeler que notre pays n’a pas une tradition du voile islamique mais connaît l’usage du moussor que les femmes portent le vendredi et lors des grandes fêtes.
En réponse à cette actualité qui fait le « buzz », le communiqué du ministre de l’Education nationale n’est pas fait pour nous rassurer.
Ainsi, il « constate … des actes discriminatoires d’ordre socio-culturel », rappelle que « la République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale » et n’omet pas de souligner « l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion », ajoutant enfin qu’elle « respecte toutes les croyances. » En somme, le ministre rappelle que notre pays est un état de droit, soucieux des libertés publiques garanties à chaque citoyen, sans distinction. Mais …
Où est l’état laïc quand le khalife général d’une confrérie musulmane circule – constaté aujourd’hui même sur la corniche de Dakar par le signataire de ces lignes – dans un véhicule 4X4 comportant, à la place de la plaque minéralogique,
l’inscription « Khalife général » ? Imagine-t-on le cardinal ou l’archevêque circulant ainsi ?
Où est l’état laïc quand un imam de Djourbel est relâché quelques heures après son arrestation – pour avoir enchaîné 22 enfants talibés et leur avoir fait subir des traitements dégradants – sur pression d’un groupe de notables en février 2016 ?
Où est l’état laïc quand le Président de la République décide d’interdire le livre de la tunisienne Hela Ouardi, Les Derniers jours de Muhammad, sur injonction de l’ONG islamique Jamra en avril 2016 ? Rappelons, pour mémoire, que notre pays fut le seul pays au monde à avoir interdit ce livre !
Où est l’état laïc quand les rues sont envahies à l’heure de la prière le vendredi ? Où est l’état laïc quand les rues sont privatisées à l’occasion d’actes religieux que sont les baptêmes ou les décès ?
Où est l’état laïc quand les réunions de certains ministères commencent par des prières ou sont abrégées par ceux qui souhaitent aller les dire ? Où est l’état laïc quand des salles de réunions de ces ministères sont transformées en lieu de prière pendant les heures de travail ?
Où est l’état laïc lorsqu’une ville, qualifiée de « sainte » et siège d’une confrérie religieuse, obéit à ses propres règles et usages, établissant ainsi ce qu’on appelle « un état dans l’état » ?
Où est l’état laïc lorsque des enfants talibés, contraints par des imams, mendient dans les rues ?
Où est l’état laïc lorsque des chants religieux retentissent toute la nuit dans certains quartiers empêchant les voisins de dormir ?
Nous voyons bien que notre Etat a cessé d’être laïc depuis longtemps, que le spirituel a pris le pas sur le temporel et que la représentation que beaucoup se font de la religion est bien plus importante que la foi elle-même ! Elle est liée, hélas, à une perte de la culture religieuse, chacun feignant de croire que « l’habit fait le moine » !
La menace envers la laïcité ne provient certes pas de l’Institution Sainte-Jeanne d’Arc et ceux qui le prétendent font le jeu, hélas, d’un obscurantisme d’un autre âge.
Oui, décidément, nous sommes devenus schizophrènes !
