En 2018, la Chambre des investisseurs européens au Sénégal (Cies), qui compte en son sein 170 membres, a réalisé un chiffre d’affaires de 2.500 milliards de FCfa. La révélation a été faite par Gérard Senac, son président. A cela s’ajoutent 70.000 emplois majoritairement composés de Sénégalais qui représentent 99% de l’effectif travaillant dans ces entreprises. Celles-ci contribuent à hauteur de 20% au Pib du pays pour une masse salariale évaluée à 134 milliards de FCfa l’année.
Ces chiffres démontrent à suffisance qu’un pan important de notre économie reste encore largement sous le contrôle de groupes étrangers. Même si 99% des employés, comme le précisait M. Senac, sont composés de compatriotes sénégalais. Cet état de fait semble également donner raison à ceux-là qui soutiennent mordicus que notre croissance, tant claironnée sur les toits et vantée au plan international, est une croissance extravertie. En d’autres termes, elle est l’œuvre d’entreprises étrangères enclines à rapatrier leurs bénéfices dans leurs pays respectifs.
Avec un chiffre d’affaire estimé à 2.500 milliards de FCfa soit plus de la moitié du budget national – 4.000 milliards de F Cfa en 2019 – le secteur privé étranger montre ainsi sa forte présence dans presque toutes les branches d’activités : hydrocarbures, télécommunications, banques, Btp… Aujourd’hui, force est de constater que le Sénégal, comme beaucoup de pays africains d’ailleurs, ne peut plus rester sur la marge de la forte dynamique de mondialisation de l’économie qui a encore de beaux jours devant elle. Peine perdue pour ceux qui tenteraient d’arrêter ce mouvement. Comme le soutenait Kenneth Rogoff, Professeur d’économie et de sciences politiques à l’université de Harvard et ancien économiste en chef du Fmi : « pour le meilleur ou pour le pire, la mondialisation est en marche et il est naïf de croire qu’il est possible de l’arrêter ».
L’intégration de notre pays au système économique et financier mondial – un processus à achever – et le rôle prépondérant des Investissements directs étrangers (Ide) dans une économie comme la nôtre, en besoin de financements, font, aujourd’hui, que le Sénégal ne peut pas se passer de ces investisseurs privés internationaux, notamment européens. Ils font partie des acteurs devant animer l’activité économique. Il ne s’agit pas de s’en prendre au privé étranger, mais plutôt de créer les conditions propices pouvant permettre à notre secteur privé national de nouer des partenariats gagnantgagnant à travers, par exemple, des jointventures, des Partenariats public privé (Ppp)… En outre, il nous faut également des champions nationaux, des entreprises chefs d’orchestres, capables de jouer un rôle de leadership et de tracer les sillons d’un Sénégal émergent tel que souhaité par les autorités étatiques dans les phases 1 et 2 du Pse.
L’atteinte de cet objectif passera inéluctablement par une meilleure implication des entreprises locales dans l’exécution des gros marchés de l’Etat (infrastructures routières et autoroutières, Btp, chemin de fer…) L’Etat devra veiller à ce que ces grosses entreprises étrangères, techniquement et financièrement solides, qui raflent les appels d’offres, pour la plupart, puissent céder une part des activités aux locaux comme le prévoit le code des marchés publics de notre pays à travers l’article 48. Ce dispositif stipule que « le titulaire d’un marché public de travaux ou d’un marché public de services peut sous-traiter l’exécution de certaines parties du marché jusqu’à concurrence de 40 % de son montant, en recourant en priorité à des petites et moyennes entreprises de droit sénégalais (…) ». Il est également nécessaire de mettre fin à l’atomisation du secteur privé marquée par une floraison d’associations patronales qui ne fait que rendre plus vulnérables les acteurs.
Les plus téméraires n’excluent pas d’en faire des instruments de pression et de lobby. L’heure devrait être plutôt à la synergie des actions, à la conjugaison des efforts afin d’instituer une grande plateforme patronale à l’image du Medef en France, de l’Organized private sector (Ops) of Nigeria ou de la Cgeci en Côte d’Ivoire. C’est un impératif pour les acteurs du privé sénégalais de se regrouper en conglomérat national pour mieux faire valoir leurs mission de créateurs de richesse et d’emplois, mais aussi de bâtir une convergence d’intérêts entre investisseurs privés.