Aminata Touré nommée au Conseil économique social et environnemental (Cese), c’est un « retour aux affaires de la dame de fer qui lentement, mais sûrement, tisse sa toile et se positionne de plus en plus comme une personnalité incontournable dans le dispositif du régime de l’Alliance pour la République (APR). Héraut de la traque des biens supposés mal acquis, tombeur d’Hissène Habré, Aminata Touré, 57 ans, continue d’échelonner les paliers de l’Etat. D’abord, ministre de la Justice en 2012, ensuite Premier ministre, puis Envoyée spéciale du chef de l’Etat à partir de 2013, Aminata Touré siège depuis hier à la tête du CESE ,» s’extasie le journal Enquête.
« Enfin ! Un point de chute a été trouvé pour l’ancienne Première ministre non moins Envoyée spéciale du chef de l’Etat… Ainsi donc, après tant d’années d’abnégation aux côtés du président de la République… Mimi revient aux manettes », écrit Sud Quotidien.
Le Témoin voit dans cette nomination « le sacre de la loyauté ». Et selon le journal de Mamadou Oumar Ndiaye, « pour remplacer Aminata Tall, le président de la République a promu une militante de l’APR de longue date connue pour son engagement et sa fidélité. L’heure de cette ancienne fonctionnaire du FNUAP a sonné ».
« Quatrième personnalité de l’Etat, une promo Mimi 100% », dixit le quotidien Kritik qui souligne qu’« aux manettes de la coordination et du pilotage du candidat-président, depuis le parrainage, reconvertie dans la dream-team de Macky Sall en quête d’un second mandat, Aminata Touré a été de tous les combats et l’ancienne ministre de la Justice récolte le fruit de sa constance et de son engagement sans faille ».
Ce n’est pas surprenant qu’une personnalité médiavore, qui possède un épais carnet d’adresses d’amis influents dans la presse et l’audiovisuel et qui s’est ingéniée toujours à bâtir un cercle de relations susceptibles de favoriser son ascension politique, puisse bénéficier d’un tel encensement qui fleure des accointances suspectes, voire dangereuses avec des professionnels de l’information. C’est une marque d’allégeance journalistique au pouvoir politique. Même si la Cese est la quatrième institution de la République, tout le monde sait que c’est une coquille vide dont la seule utilité est de caser des politiciens déchus, des syndicalistes en fin de carrière, des artistes en mal de succès ou des patrons d’entreprises peu crédibles. La Cese, c’est une sorte d’ovni institutionnel non pas pour partager des compétences, des connaissances et des expériences mais plutôt pour soulager quelques malheurs politiques ou satisfaire des amitiés. Mais les journalistes de révérence et de connivence, pour reprendre Serge Halimi, tel des Midas, ont le pouvoir alchimico-magico-divin de transformer tout ce qu’ils touchent en or, la défaite en victoire, l’humiliation en gloire. Il est vrai que la traversée du désert, qui date de sa défenestration du 9e étage de l’ex-building administratif, a été tellement longue que tout os à ronger prend les saveurs d’un abat comestible. L’intérêt de cette agence à recaser des copains et des coquins, c’est qu’elle permet à sa présidente de bénéficier, d’une certaine aura, d’un salaire mirobolant, d’autres passe-droits pécuniaires contrairement au poste d’envoyée nulle part où l’on ne broie que du noir. On chante l’engagement de Mimi Touré comme la résultante de sa consécration au Cese. On aurait pu ajouter son stoïcisme et sa résignation car depuis 2013, elle n’a fait qu’avaler des couleuvres, subir des avanies sans avoir le courage de moufter publiquement ce qu’elle pestait dans des cercles très restreints.
Une presse caméléonesque
La presse est devenue un adepte du caméléonisme médiatique. Beaucoup d’organes qui élèvent Mimi au pinacle ont servi de billot en 2014 quand le président Macky Sall l’exécutait le 4 juillet 2014. On se rappelle la longue interview parue dans journal l’Enquête du 04 janvier 2014 et dans laquelle Mame Mbaye Niang, l’alors président du Conseil de surveillance de la Haute autorité de l’aéroport Léopold Sédar Senghor, crucifia implacablement Aminata Touré. « Aucun président de la République ne va accepter, après avoir été élu par les Sénégalais, de laisser prendre son pouvoir ou ruiner ses prérogatives par quelqu’un qui a été nommé par lui. Mais les gens, dès que vous les nommez, ils commencent à développer des esprits de groupe, des tendances sectaires, à avoir des ambitions, au point d’en oublier ceux qui les ont choisis. Ils développent des stratégies d’implantation, de maillage, de noyautage, en se disant : ce pourrait être moi. Ce n’est pas acceptable, et il faut que ceux qui nourrissent ces ambitions fassent attention… Quelle influence un Premier ministre peut-il avoir, alors qu’il est simplement le premier des exécutants ? Comment un Premier ministre peut avoir de l’ambition au détriment de celui qui l’a nommé ? Dès qu’on se met dans cette dynamique, on cesse de penser au pays, au travail, pour se mettre dans une sorte de lissage de son image et de sa personnalité… On ne défend plus le président de la République, on se défend et on pense déjà à un mouvement, une association, en se disant qu’on a déjà un destin créé. On sait qui est qui au Sénégal. Qui connaissait tous ces gens avant qu’ils ne soient nommés ? La plupart de ceux qui réclament aujourd’hui une légitimité étaient des salariés payés par Macky Sall (dont Mimi Touré : ndlr)… Dans notre parti, la seule légitimité est celle acquise au combat, par son engagement, et je pense que Mimi gagnerait à faire la différence entre responsabilité étatique et responsabilité politique. »
Auparavant, dans le même sillage, le ministre conseiller Mbaye Ndiaye avait, lui aussi, dans une interview accordée au journal Quotidien du 09 novembre 2013, dénié au Premier ministre le poste de facto de N° 2 de l’APR.
Au lendemain de sa nomination à la Primature, Mamadou Oumar Ndiaye, directeur de publication du Témoin, qualifiait cela d’erreur de casting en ces termes : « Dès le départ, nous avons refusé de hurler avec les loups et d’applaudir les prestations de Mme Aminata Touré présentée comme une Vestale traquant les voleurs et promouvant la vertu. Une Vestale vêtue de probité candide et de lin blanc. N’étant pas manichéens, nous savons qu’il n’y a pas des voleurs d’un côté, des gens intègres de l’autre. Des salauds d’un côté, des bons de l’autre. Des anges à droite, des démons à gauche. Que ce n’est pas blanc du côté de l’APR et noir de celui du PDS. Et que, au fond, comme le disait un célèbre homme politique français, la vérité se trouve probablement dans le gris. Autrement dit, les voleurs, on les trouve aussi bien dans les rangs du pouvoir actuel que dans le camp Wade. Mme Aminata Touré ne pouvait pas prétendre traquer des voleurs dans un seul sens. A l’arrivée, elle a lamentablement échoué… mais a été promue Premier ministre ! Comme nous parlions d’agenda occidental, elle a jeté en prison le grand héros africain qu’est l’ancien président tchadien Hissène Habré ».
Nous aussi, nous refusons de mêler notre voix et notre plume dans la clameur louangeuse à la limite tartuffe qui sanctifie la nomination d’Aminata Touré au Cese. La presse a raison de dire qu’elle a été toujours fidèle au chef. Oui, elle n’a jamais hésité à mettre son bagout ou sa gouaille à son service, et à attaquer sans vergogne ses adversaires politiques surtout Khalifa Sall, Karim Wade à qui elle a consacré, une kyrielle d’émissions et d’interviews entières aux seules fins d’anéantir de potentiels candidats à la présidentielle de 2019. Jamais un membre de l’Alliance pour la République comme Aminata Touré n’a mobilisé autant d’énergie, manipulé autant les médias pour enfoncer Khalifa Sall et Karim Wade. Si l’affaire Karim Wade a connu un traitement unilatéral, c’est parce qu’elle y a joué un rôle de premier primordial au plan diplomatique et médiatique. Son seul objectif, étant de barrer la route à ceux qui pouvaient compromettre la réélection incertaine de son mentor. Et pour montrer que sa traque des biens mal acquis n’était pas un coup d’épée dans l’eau, de la roupie de sansonnet, voire de la gnognotte, elle a déclaré en 2017 que l’Etat sénégalais a recouvré depuis 2012 plus de 200 milliards. Ce qui n’est pas conforme à la réalité puisqu’à ce jour plus 50 milliards n’ont pas été recouvrés à ce jour comme l’ont confirmé l’agent judiciaire de l’Etat Antoine Diome et Sidiki Kaba, alors ministre de la Justice. Aucune loi de finance rectificative ne prouve aujourd’hui un tel recouvrement. A moins que les milliards recouvrés dorment dans des comptes occultes off-shore comme cela est devenu la règle dans tous les régimes qui se sont succédé. Les milliards de Taïwan chauffent encore nos mémoires.
De Mimi Touré, nous retiendrons aussi, cette femme intrigante, manipulatrice qui, telle Xéna la guerrière, s’est donné corps et âme financièrement et diplomatiquement pour embastiller le héros tchadien Hissène Habré. On se souvient le 11 décembre 2012 de la signature d’une convention de financement dans les locaux du ministère des Affaires étrangères, entre le ministre de la Justice, Garde des sceaux, Aminata Touré et l’ambassadeur des Pays-Bas au Sénégal, Pieter Jan Kleiweig De Zwaan. Ainsi, les Pays-Bas sont le premier donateur, avec une enveloppe de 656 millions de F Cfa (1 million d’euros). Par la suite, c’est au tour de l’ambassadeur belge de verser 328 millions de francs CFA pour liquider le symbole de la résistance tchadienne contre l’occupation française et libyenne. La France, l’Allemagne, l’Union européenne et l’Union africaine participeront à cette opération de liquidation commanditée par Reed Brody, conseiller juridique et porte-parole de Human Rights Watch. Et le président criminel Idrissa Deby, qui était au cœur des massacres des Tchadiens, a versé 4 milliards par l’entregent de Mimi. Et last but not least, elle a dépensé 130 millions pour préparer l’espace carcéral qui devait accueillir l’ex-président tchadien. En quittant le ministère de la Justice avant le procès, elle a jeté son dévolu sur Sidiki Kaba, membre de la FIDH et avocat des plaignants dans l’affaire Habré, afin de poursuivre la sale besogne. Ainsi, faute d’un poids politique réel et d’un fief identifié, Aminata Touré, par les procès illégaux de Hissène Habré et de Karim Wade et par son acharnement sur son tombeur politique Khalifa Sall, s’est tristement constitué un CV politique.
C’est cette personnalité au parcours politique entaché par des intrigues, des manœuvres et des manipulations que sa « presse » présente comme une dame de fer récompensée pour service rendu au maitre. Seulement que les dames de fer les plus connues dans l’histoire ont tristement fini leur carrière. La Première ministre israélienne, Golda Meir, quatrième Première ministre israélienne du 17 mars 1969 au 11 avril 1974, a fini par être poussée à la sortie par son peuple mécontente de sa gestion du conflit contre la Syrie et l’Egypte. Margaret Thatcher, Première ministre du Royaume Uni du 4 mai 1979 au 28 novembre 1990 et héroïne de la guerre des Malouines, a fini par être désavouée au sein de son propre parti et contrainte à la démission en novembre 1990. Ces exemples édifiants de grandeur et de décadence inattendue sont à méditer par l’actuelle dame de fer qui trône à la tête de cette agence de recasement et de recyclage des politiciens qu’est le Cese. Mais ne gâchons pas la fête. Laissons Mimi et ses aèdes savourer les délices de sa coquille même si elle est trouée comme le tonneau des Danaïdes.