Oyez ! Oyez ! Il faut se le tenir pour dit : le 28 mai est en passe de devenir un nouveau rendez-vous récurrent dans le calendrier politique du Sénégal, et plus particulièrement au niveau de la concertation entre le pouvoir et son opposition. Après les 28 mai 2016 et 2018, une fois n’est pas coutume, un nouveau cru, que l’on espère cette fois-ci d’exception, arrive, celui du 28 mai 2019 ! La convocation présidentielle est claire comme l’eau de roche : discuter sur les points de divergence et se concerter autour d’un avenir démocratique radieux ! A la réaction de la nouvelle main tendue du président en direction de l’opposition, c’est l’édification d’une auberge « sénégalaise » à laquelle, pêle-mêle, postulent les électrolysés du sentiment patriotique, les syndicats de tout poil, y compris les acteurs culturels, et, la cerise sur le gâteau, les inconnus au bataillon tels que les non-alignés.
A compter du 28 mai, le pouvoir offre ses bons offices en vue de la résolution des conflits politiques dont il est en partie l’initiateur. Des révisions constitutionnelles, depuis 2016, sont menées tambours battants, sans consensus véritable. Les cartes du jeu électoral sont rabattues à peine un an avant les élections présidentielles avec le parrainage. Dernièrement, le poste de premier ministre à la surprise générale de la classe politique sénégalaise, y compris dans la mouvance présidentielle, est supprimé. La méthode forcing est la règle, la concertation l’exception ! Le modus operandi est bien rodé : la réforme institutionnelle s’impose par le fait majoritaire « constituant » ; une discussion avec l’opposition s’ensuit au titre de sa mise en œuvre effective !
Dans ce contexte, la confiance est rompue avec l’opposition. Rétrospectivement, 2019 est la copie conforme de 2007. Tant au niveau des scores présidentiels à quelque chose près, que des incertitudes successorales planant sur la tête du président en exercice, mais aussi au regard du contexte contestataire qui aboutit à se regarder en chiens de faïence entre les élites politiques. Une opposition significative qui ne reconnaît pas la victoire du président, une partie de l’opposition boudant, qui boycotte les élections et qui, comme un serpent de mer, nous rebat les oreilles sur la non-sincérité du fichier électoral.
Une constante depuis Senghor pour le pouvoir en place, c’est l’impérieuse nécessité de contrôler ou de réprimer l’opposition. Le cycle régulation-répression-négociation devient dès lors le mode de normalisation politique préféré des gouvernants. La création du PDS en 1974, répondait avant tout au besoin de mieux maîtriser l’agitation politique. Les éliminations maquillées par le droit comme celle tristement célèbre de Mamadou Dia, peuvent être dévastatrices pour l’avenir d’un homme politique ! Il y a une autre méthode qui a fait ses preuves, encore bien ancrée dans la vie politique sénégalaise : faire transhumer des opposants vers le pouvoir ou en faire des alliés conciliants. Tous les présidents en ont usé et abusé !
Avec ce nouveau dialogue national, c’est une énième prise de conscience en faveur d’un nouvel art de gouverner. Plus qu’une priorité, une absolue priorité, c’est celle de considérer les partis politiques comme indispensables à la compétition régulée entre forces politiques dans le cadre de règles de gouvernance stables. L’exigence d’une opposition est donc posée ! Sans véritables opposants reconnus pour leur leadership, pas les fantoches (!), il n’y a pas de démocratie ! Et il n’y a pas de démocratie sans démocrates, comme l’écrivait Me Abdoulaye Wade ! Mais quels seront les interlocuteurs de Macky Sall ? Ceux qui ont participé à la dernière élection présidentielle sans reconnaître la victoire du président ? Ces mêmes opposants qui ont clamé urbi et orbi détenir des preuves de fraude sans saisir la justice compétente ? Les quatre candidats malheureux apparaîtront affaiblis tant leurs illusions de gagner la présidentielle et leurs incapacités à s’organiser dans la perspective de la conquête du pouvoir, ont laissé des traces. Et quid de l’opposition majoritaire à l’assemblée, le PDS ? Le funeste dessin de le diviser à la veille du dialogue national en actionnant son numéro 2, laisse songeur.
A partir du 28 mai, à l’appel, manqueront deux opposants, et pas les moindres. Et pourtant, sur France 24, en novembre 2018, à la condition d’être réélu, le président Macky Sall envisageait une nouvelle phase de reconstruction nationale par une amnistie de Khalifa Sall et de Karim Wade. « Savoir tourner les pages ! », concluait-il son propos. C’est ce même état d’esprit qui semble animer le chef de l’Etat dans ce nouveau dialogue national du 28 mai 2019. La modernisation du modèle démocratique sénégalais passe par la garantie d’un état de droit pour les opposants. Ces derniers sont des justiciables comme les autres, pas plus pas moins ! Mais lorsque leurs droits sont violés et reconnus comme tels, et à fortiori par des instances internationales, l’Etat sénégalais, dans le renforcement souhaitable des statuts de l’opposition, doit veiller à les rétablir sans délai. Ceci est d’autant plus requis lorsque des juridictions d’exception, avec des procédures kafkaïennes, leur ont été opposées. Cela contribuera à renforcer la confiance entre les acteurs politiques.
Bien sûr, la dernière élection présidentielle s’est tenue sans le PDS. Mais comment un dialogue national aussi salutaire pourrait-il se tenir sans l’un des plus grands partis de l’opposition, toujours debout ? En l’espèce, dans ses derniers communiqués, le PDS ne réclame pas d’amnistie, encore moins d’impunité. Boumou amati ! La loi Ezzan a laissé de mauvais souvenirs. Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? La réouverture du procès de Karim Wade est une exigence légale internationale. Le délai de 120 jours pour réviser le procès de Karim Wade a expiré. Pour Khalifa Sall, la non-application du règlement 5 de l’UEMOA fait débat. Il y a un cas d’école avec l’opposant Moise Katumbi, inéligible lors de la dernière élection présidentielle en RDC et farouche opposant de Joseph Kabila ! La Cour de cassation a annulé sa condamnation au motif du non-respect des droits de la défense. Il y a quelques jours, Moise Katumbi, lui-même exilé volontaire, est revenu, sans rancœur, pour contribuer à la reconstruction nationale. Le Sénégal peut-il faire moins que la RDC ?
Me Abdoulaye Wade, chef naturel de l’opposition pendant 40 ans (on n’avait pas besoin de choisir un chef de l’opposition !), a fait évoluer la démocratie sénégalaise tout au long de sa carrière d’opposant. Il décrivait les régimes politiques africains au lendemain des indépendances en ces termes : « Le parti unique a tenté de consolider par le recours à une théorie bien commode : le développement supposant ordre, mobilisation, engagement et abnégation, le peuple devait être discipliné et faire preuve de patience. Les libertés ne pouvaient être que des sous-produits du développement. D’où le développement d’abord, les libertés ensuite ». N’assiste-t-on pas depuis sept ans au retour de cette théorie commode ? La préoccupation de Macky Sall est avant tout d’ordre économique. Il croit en l’exemple rwandais. Peut-être l’évocation de l’amnistie sur France 24 était-elle un leurre pour une présidentielle apaisée et pour assouvir une ambition économique lors d’un deuxième mandat ! Peut-être la suppression du premier Ministre a-t-elle été envisagée dans cette perspective technique d’améliorer la performance gouvernementale au niveau économique ! Peut-être cette négociation nationale est-elle guidée par la recherche d’une stabilité indispensable aux yeux des investisseurs étrangers, les agitations de l’opposition ne faisant pas bonne figure ! C’est la neutralisation de l’opposition qui serait plutôt à l’ordre du jour ! La deuxième phase du PSE est bel et bien l’enjeu déguisé du 28 mai.
Selon un proverbe africain : « Si tu veux aller vite, marche seul mais si tu veux aller loin, marchons ensemble ». Jouez le jeu alors …dans l’intérêt du développement économique du Sénégal et dans le respect des droits des opposants. L’opposition peut devenir un allié à la condition d’une confiance retrouvée et d’un retour de l’Etat de droit pour l’exilé et le prisonnier.