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Au Nom De L’attiéké-poisson !

Au Nom De L’attiéké-poisson !

L’Afrique n’est pas sous-développée, son économie est simplement absurde. Ce continent est le seul à produire ce qu’il ne consomme pas et à consommer ce qu’il ne produit pas. Au fil du temps, le pain s’est imposé comme notre aliment de base alors que nous importons tout dans ce domaine : la farine, le moulin, le levain, parfois même, le fournier. Le cacao que nous récoltons, noyés de sueur et perclus de crampes, est étranger à nos mœurs et plutôt douceâtre sur nos papilles gustatives. Et tenez-vous bien, cette précieuse denrée ne l’est réellement que dans les cafés et dans les beaux salons de Paris et de Londres. C’est là-bas et là-bas seulement que le fruit de notre labeur devient savoureux et rentable. Nos paysans qui n’y goûtent guère, ne gagnent, eux, que quelques centimes d’euros dans le prix d’une tasse de chocolat consommée à Montparnasse ou à Piccadilly. Ne parlons pas de la bauxite et du cuivre, du manganèse et du coltan, de l’hévéa et du vanadium où nos besoins immédiats sont encore moins évidents et nos gains bien plus dérisoires que dans le marché de la cabosse.

L’agro-alimentaire, un potentiel énorme pour l’Afrique…

Elle a l’air succulente, parfaitement inoffensive, la baguette de pain dans la bouche de nos enfants. C’est vrai que personne ne se soucie de mesurer l’impact de sa concurrence sur le manioc et l’igname, le niébé et le sorgho, la patate douce et le taro.

« Eux [les Centrafricains], disait Bokassa, c’est le manioc et le vin de palme ; moi, c’est le camembert et le beaujolais ! » Notre mode de vie, nous autres « nègres civilisés », est certes agréable mais il a un coût. Combien payons-nous chaque année en devises fortes pour manger des croissants ?

Le célèbre ethnologue Pierre Verger m’a confié un jour qu’en 1821, l’une des premières décisions du Brésil indépendant fut d’interdire le pain et le vin. Les Brésiliens se sont mis alors à boire de la cachaça et à consommer de l’igname et du haricot rouge. Aujourd’hui encore, dans les plus beaux hôtels de Rio et de Belem, on ne sert pas des toasts mais du manioc bouilli pour accompagner son café brésilien, bien sûr ! Résultat : le pays de Pelé et de Vinicius de Moraes se classe troisième parmi les puissances agro-alimentaires du monde immédiatement après les USA et la France.

… et pourtant

Pendant ce temps, l’Afrique continue à importer sa nourriture, voire à la quémander, elle qui détient les terres les plus riches de la planète ! Nos savanes et nos forêts regorgent de céréales et de tubercules, de racines et de bulbes, d’agrumes et de baies sauvages. Hélas, à cause d’une politique alimentaire catastrophique, beaucoup de ces denrées sont aujourd’hui inconnues de nos jeunes. Rien que l’ananas, rien que la banane, rien que l’arachide ! Personne n’a poussé nos botanistes à coordonner leurs talents afin de nous dresser un inventaire exhaustif de nos plantes comestibles. Personne n’a invité nos cuisiniers – très doués, très imaginatifs, cependant ! – à fonder un institut culinaire panafricain. Imaginez les bienfaits que l’on pourrait tirer d’une telle initiative. Nous cordons bleus pourraient y partager leur legs et leur expérience. Ils pourraient y inviter leurs collègues étrangers notamment ceux des zones tropicales (Asie, Antilles, Amérique du Sud, océan Indien) pour innover et enseigner. Nos produits du terroir, riches et variés, peuvent suffisamment nous nourrir (sans perte de devises !) et éventuellement, conquérir les grandes tables du banquet universel. À nos toques blanches de valoriser leurs qualités nutritives, d’améliorer leur présentation et leur goût ! Bien aromatisé et bien emballé, notre bon vieux soumbara par exemple pourrait supplanter tous ces arômes douteux qui nous accablent de diabète et d’hypertension.

Dans le monde que nous vivons, l’art culinaire n’est plus seulement un emblème culturel, il est devenu un marché juteux. Le nôtre pourrait enrichir beaucoup de monde et pas seulement nos cuistots et nos paysans.







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