Après les révélations du consortium BBC-Panorama-AfricaEye sur les agissements délictuels présumés de la compagnie BP et de Franck Timis, la justice anglaise fera certainement son contre-travail d’enquête pour dire si oui ou non l’affaire mérite d’être enrôlée devant les tribunaux britanniques. Les éléments d’enquêtes que voilà sont si gravissimes pour BP, pour Franck Timis, pour Aliou Sall ainsi que pour Macky Sall, le président de la République du Sénégal, que l’unique porte de sortie qui serait offerte aux mis en cause réside dans le scénario si improbable que les documents brandis par la BBC soient finalement considérés comme faux, c’est-à-dire « fake news ».
La justice anglaise fera donc son travail, on l’espère ! Mais la nôtre, que fera-t-elle ? Bougera-t-elle enfin ? Non, elle ne fera rien, du moins dans les circonstances actuelles où le pouvoir exécutif administre la machine judiciaire de l’Etat d’une main d’acier qui ne se dément pas. Depuis l’arrivée de Macky Sall en 2012, les conditions scandaleuses d’octroi de blocs pétroliers à une mystérieuse société pétrolière sortie de nulle part ont été si pertinemment explicitées devant l’opinion qu’il ne reste quasiment plus grand-chose à faire à part suggérer que prévalent en fin de compte le bon sens et l’esprit de responsabilité de tous. L’Ofnac a certes fait semblant de prendre ses responsabilités en tant qu’organe de lutte anti-corruption, mais il a très vite démontré qu’il n’est en réalité qu’un machin du décorum appelé bonne gouvernance.
Dans tous les cas, il reste à Aliou Sall le courage et le devoir de démissionner de toutes ses fonctions publiques afin de favoriser, par son geste, l’émergence d’un contexte favorable à l’entrée en scène de Dame justice. Il a fait un grand pas dans ce sens lundi en soulignant sa disponibilité à répondre, s’il le fallait, à des juridictions internationales. Soit. Mais il pourrait déjà coopérer avec la justice de son pays pour commencer.
Dans cette volonté, Aliou Sall doit être accompagné par le sens de l’intérêt général qui doit animer son frère, le président de la République. Macky Sall a été élu au moins une fois sur deux sur des principes d’engagement simples qu’il a lui-même édictés au Sénégal et aux quatre coins de la planète : gestion sobre et vertueuse, bonne gouvernance, reddition des comptes… Des millions de Sénégalais ont sûrement atteint un point de désespérance sans retour par rapport au respect de sa parole, mais il y a sans doute en lui et en son frère cette envie innée de résister à l’opprobre qui peut frapper toute une famille.
Dans la foulée de son appel au dialogue national et auquel bien des Sénégalais ont répondu en dépit des déceptions accumulées depuis sept ans, il a l’obligation fondamentale de démettre Aliou Sall de toutes ses fonctions actuelles : directeur général de la Caisse de Dépôts et Consignations (CDC), le plus puissant bras financier de l’Etat sénégalais, maire de la ville de Guédiawaye, président de l’Association des maires du Sénégal (AMS), etc. Pour lui et pour son frère, la posture d’accusé-soupçonné dans laquelle cette affaire les a placés devait être intenable et insupportable.
En attendant, cette affaire pétro-gazière nous rappelle, avec une simplicité qui nous dépasse, notre état de pays pauvre potentiellement livré à la sainte alliance des politiciens alimentaires et des criminels économiques qui, très souvent, tue les aspirations au développement de nos populations.
Le point de presse qu’Aliou Sall a organisé lundi pour être dans le tempo de la communication de crise n’aura finalement servi à rien. Face à des accusations documentées, la réplique par des mots renvoie presque à de l’impuissance. Et cela n’est pas bon signe en dépit du principe sacro-saint de l’innocence présumée.