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Ige : RÉalitÉs, Perspectives Et Enjeux

Ige : RÉalitÉs, Perspectives Et Enjeux

Je mets à la disposition du public et de la presse cet extrait de mon ouvrage « Inspections générales d’Etat d’Afrique. Réalités, Perspectives et enjeux » publié en 2008. Les diagnostics, prémonitions et propositions peuvent bien rappeler l’actualité actuelle avec le fameux rapport sur Petrosen et ses implications avec Petro-Tim. « La balle est dans notre camp, car rien ne changera si nous ne changeons pas nous-mêmes »

« Au total, selon les pays, au vu des dernières réformes, on assiste, de façon encore inégale, à une tendance à prendre en compte les évolutions de la gouvernance, du management public, voire de l’audit dans le secteur public. Ainsi s’opèrent dans certains pays (Sénégal, Djibouti, par exemple) des ajustements du dispositif institutionnel, organisationnel et d’action. Les champs opérationnels d’action couvrent ainsi :

  • des vérifications financières et comptables, par référence aux pratiques comptables généralement admises ;
  • de façon récente, une approche audit de l’optimisation destinée à rendre compte de l’utilisation des ressources financières, matérielles et humaines ;
  • la combinaison des deux types d’audit susvisés permettant non seulement de fournir une opinion sur la qualité et la pertinence de l’information financière, mais aussi de mener des audits de performances pour analyser l’efficacité, les performances et la qualité de la gestion publique ;
  • des investigations sur les fraudes, les abus, les gaspillages et le respect des règles de prudence financière.

Au total un mouvement de réforme est amorcé. Ce qui émerge, à l’analyse, ce sont  parfois des similarités, mais aussi quelque fois, des différences d’approche inventoriées ci-après :

  • des orientations plus ou moins inégales en direction de l’approche intégrée, certains pays (Sénégal, Djibouti) ayant entamé cette expérience, tandis que d’autres s’appuient encore sur une approche sectorielle, souvent administrative et financière ;
  • dans certains pays, toute une stratégie très affirmée de prévention et de détection des fraudes, des abus et des gaspillages, comme en Ouganda ;
  • une approche d’audit des performances et d’évaluation de l’impact des projets et programmes apparemment embryonnaire, en tout cas pas ou peu formalisée ;
  • des tendances émergentes à codifier les valeurs, la déontologie, par voie législative, sans pour autant que des chartes ou manuels d’éthique soient généralisés ;
  • un pouvoir d’arbitrage ou en tout cas de la préparation de l’arbitrage en cas de conflits ou dénonciations de citoyens dans certains pays, apparemment pas assumé dans d’autres.

Peut-être s’agira-t-il aussi de réécrire les normes internationales en les adaptant,  sans forcément en altérer la substance, aux spécificités reposant sur la synergie « Audits, Conseils et Etudes, enquêtes », en étant conscient qu’il s’agit d’assurer à un haut dirigeant, un chef d’Etat ou de gouvernement, d’user de leviers pertinents pour exercer un leadership stratégique, source  de valeur ajoutée… Cela requiert d’opter pour la synthèse fructueuse pour réaliser les objectifs d’un Etat de classe internationale ouvert à un management axé sur les performances et les résultats, la qualité et l’Excellence. Il s’agit, pour nous Africains, de poursuivre le plaidoyer que la bonne gouvernance, c’est aussi une gouvernance entrepreneuriale axée non seulement sur les résultats (outputs) mais aussi sur les impacts (outcomes), d’opter à cet égard pour des audits, des études et des conseils, voire des enquêtes qui épousent toute la chaîne de résultats.

Ce défi est possible, mais il faut alors se battre pour refuser la pensée unique, produire une pensée endogène, décomplexée et africaine, mais ouverte aux apports fécondants de l’Universel.

Pour terminer, rappelons que les travaux de l’Inspection générale d’Etat dépassent la vérification et englobent de multiples activités de conseils, d’enquête, d’études, de normalisation. Leur variété et leur caractère intégré, parfois à l’occasion d’une même mission, font d’elle une sorte de support, de grand bureau d’études, pour « nourrir la réflexion du chef de l’Exécutif, voire du gouvernement». Au fond, ceci est conforme à la logique de pilotage et de leadership nécessaire à tout dirigeant, en l’occurrence le Président de la République. Taylor, Weber, Mintzberg et tant d’autres doctrinaires du management ont largement étudié cette question. En fait, la structure ne devrait pas précéder la stratégie, mais c’est l’inverse qui est souhaitable ; c’est la stratégie qui détermine la structure, les caractéristiques des produits et des services, les objectifs, les résultats et les impacts recherchés. C’est une vieille leçon apprise par tous les étudiants en management, c’est aussi la voie obligée de ce qui a été appelé « le nouveau management public ». Et puisque la stratégie a forcément quelque part ou quelque peu un caractère contingent, il faut relativiser les modèles. Le problème, c’est la créativité, l’audace de la créativité, la capacité à comprendre les contingences et les contraintes, pour les intégrer. Au total, sous ce chapitre, le système sénégalais constitue un levier d’information indépendant des structures exécutives de l’Etat chargées de la mise en œuvre. Il permet la transmission de directives nécessaires à l’efficacité de l’action gouvernementale, car qui dirige, contrôle, évalue et redresse. Au fond, dans une certaine mesure, les enquêtes, les vérifications et les études deviennent ainsi des outils de gestion, de normalisation, de formation et d’autoformation pour toute la pyramide du secteur public. Le système est aussi un levier de coordination, tant des directives mettent en interaction différents services, non seulement de l’entité concernée par une vérification, mais une autre entité non vérifiée, et dont l’action est nécessaire pour la résolution complète des dysfonctionnements identifiés. Très souvent, les conclusions et analyses dépassent les frontières des entités, pour épouser des secteurs d’envergure gouvernementale, interministérielle, etc.

Avec l’intérêt accru du public, des médias et des partis politiques pour les audits et les enquêtes de détection des fraudes, au Sénégal, bien des limites sont relevées par des tiers et une méfiance affirmée à l’égard du système :

  • le rattachement à un chef de l’exécutif pourrait en faire un instrument de règlement des comptes et obérer son indépendance[1] ;
  • le caractère restreint de la publicité des travaux ferait douter de la transparence du système, etc.

Peut-être est-il temps d’ajuster par de futurs chantiers d’innovations administratives. En fait, il ne s’agit pas d’un système figé, bien des options et innovations sont encore possibles. Le système, appréhendé à travers ses fondamentaux, est  rationnel, mais comme tous les autres systèmes de contrôle, de l’ordre administratif, parlementaire ou de l’ordre juridictionnel[2] il ne peut produire ses effets que dans certaines conditions :

  • la tradition républicaine et le leadership présidentiel, voire du chef du gouvernement, sont déterminants[3] ;
  • il suppose une culture républicaine, une discipline administrative de fonctionnaires formés à la gestion publique, aux sciences administratives qui comprennent parfaitement les différentes formes de hiérarchie, les principes de coordination du bas au sommet de la pyramide administrative ;
  • il exige un statut spécial, voire la dotation en moyens spéciaux, comme le Sénégal a su le faire, pour des raisons psychologiques, culturelles, surtout en Afrique[4] ;
  • il nécessite aussi une chaîne de sanction positive ou négative qui, en cas de besoin, prenne le relais des auditeurs ;
  • il suppose aussi une éthique d’égalité, car peu importe les privilèges de tiers  lorsqu’il s’agit de faire le point sur l’accountability.

C’est aussi une innovation africaine, par essence présidentielle, qui bouscule quelque peu les paradigmes généralement admis, notamment des experts issus de pays à de régime parlementaire ou en tout cas non présidentiel[5], largement  différente de ce qui peut exister ailleurs.

Par ailleurs, de notre point de vue, malgré une certaine doctrine internationale, le paradigme du contrôle ou de l’audit interne en principe assuré au sein de la direction d’une entité ne s’applique que partiellement, tant les Inspections générales d’Etat sont totalement déconnectées des entités contrôlées et indépendantes d’elles, se situant hors de la hiérarchie classique de l’administration publique, avec des activités et des processus de travail au quotidien totalement différentes. Paradoxalement, ses interventions au sein d’une même mission dépassent les frontières d’une entité contrôlée, pour évoquer des questions d’envergure gouvernementales, proposer des mesures concernant une autre entité pendant qu’elle en contrôle une déterminée, pour proposer la modification de dispositif juridique qui concerne l’ensemble des ministères, pour effectuer des injonctions à une autre entité non vérifiée, mais dont des processus ou activité ont des incidences sur des questions étudiées, etc.

C’est un métier difficile qui demande des ressorts psychologiques et une structure  mentale solide, un métier à ne pas faire uniquement pour rechercher un statut, car la dure réalité de ces longs et contraignants processus de finalisation d’un rapport n’est pas évidente à assumer, si l’on pas été préparé à un tel défi. C’est parfois un calvaire et il faut savoir soumettre le facteur temps à ses propres objectifs de performance.

C’est un métier à faire lorsqu’on est juste, serein, pas adepte des règlements de comptes, des faux problèmes et longues discussions inutiles, lorsque qu’on sait écrire[6], indifférent à être aimé et mal aimé parce qu’on est en mesure après son travail de dire : qu’importe, je suis quitte avec ma conscience[7] !

C’est un métier plaisant et passionnant, lorsqu’on a une curiosité intellectuelle sans bornes, qu’on a toujours cette soif d’apprendre, qu’on a quelque part l’âme d’un chercheur pour l’action, de découvrir quelque chose de nouveau ou caché, de classer, de  formaliser, de décortiquer pour faire du désordre apparent  une architecture cohérente et  prometteuse. Cela s’apprend, à mon avis, au moins pendant 5 ans. Et encore !

C’est un métier avec un pari sur l’excellence, sur soi-même, avec les autres ; un rapport final, c’est comme une œuvre d’art, il doit être parfait ou en tout cas attrayant et convaincant[8]. Du  fait qu’ils soient assujettis à l’obligation de faire des propositions à un chef d’Etat, les Inspecteurs se sentent assujettis à l’obligation d’une grande rigueur, même s’ils peuvent se tromper, à l’instar de toute œuvre humaine. [9].

Au-delà, ce qui est en jeu, c’est de comprendre le nouveau sens de l’accountability, qui est non seulement l’obligation de rendre compte de la gestion des ressources, mais aussi des résultats, de l’information sur les performance, première étape de la transparence, bientôt si ce n’est déjà fait, des impacts. Ce sujet est également vaste tant il englobe des questions liées à l’éthique, aux valeurs, à la déontologie, aux processus, aux outils et méthodes qui en permettent l’effectivité. Il y a donc tant d’autres questions qui auraient pu être abordées…

Les performances du système dépendent aussi du système intégré de transparence, d’éthique, de responsabilité et d’obligation de rendre compte existant dans un pays. Pour prospérer, il requiert par rapport à la fonction de contrôle et d’enquête une mise à l’écart de la chose politique, au sens partisan, et des considérations similaires. Cela peut et doit être une fonction vitale de démocratie, de proximité des dirigeants avec leurs électeurs, de la bonne gouvernance qui requiert une vision, un leadership étatique, le credo de la performance et de la  restitution de l’information sur les résultats, les impacts et la gestion des ressources. A elles seules, les normes, le système constitutionnel ou institutionnel, l’existence d’une structure de contrôle, la compétence des auditeurs et enquêteurs, ne donnent pas une garantie absolue d’efficacité, en tout cas d’impact ; l’environnement démocratique, la culture républicaine, l’égalité des citoyens, le leadership national participatif et consultatif, la volonté du principal, les exigences des stakeholders et de la société vis-à-vis d’une gouvernance de contrôle, constituent plus que les lois et règlement, voire les normes nationales ou internationales, la condition sine qua non d’un contrôle effectif, efficace et efficient, voire utile et porteuse d’impact de résultats.

Leadership. C’est bien cela dont il s’agit. C’est cela qui fera la durabilité de ce métier ; c’est une force et une faiblesse en même temps, car si le leadership du ou des détenteurs du pouvoir constitutionnel de contrôle[10] flanche, ou si la même détention  au niveau exécutif ou législatif n’est équilibrée, la typologie des métiers peut s’effondrer. Le futur du contrôle en Afrique doit tenir compte de ces liens ombilicaux et par le plaidoyer en Afrique, faire comprendre l’intérêt des évolutions esquissées.

Pour bâtir une saga de l’excellence, il faut une culture républicaine et démocratique, une technocratie mobilisée autour des idéaux d’un Etat moderne, un consensus qui transcende les alternances et les changements d’hommes. Il faut une implication des leaders. Cela comme la stratégie, a un coût ; la question est alors de décider si l’investissement mérite d’être fait. C’est une décision stratégique, de nature politique, au sens noble du terme. Mais il faudra bâtir une vision stratégique, toujours lever la contrainte d’un leadership efficace qui catalyse, sans lequel rien n’est possible ou en tout cas, tout sera difficile. La gouvernance de contrôle, c’est peut-être la stratégie la plus opérationnelle pour réaliser la gouvernance elle-même, pour faire du nouveau management public une réalité. C’est une question de projet stratégique et organisationnel. C’est sans doute une des leçons apprises à travers l’action et en rédigeant cet ouvrage.

Abdou Karim Gueye, Inspecteur général d’Etat à la retraite et ancien Directeur général de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature du Sénégal. S’agissant des questions de fraudes, de lutte anti-corruption et d’investigation, M. GUEYE a été associé à plusieurs expériences notamment en sa qualité de Secrétaire exécutif du Forum des Inspections générales d’Etat d’Afrique et Institutions similaires pendant 7 ans, d’ancien membre de Sarbanes-Oxley  Association aux  Etats Unis pendant plusieurs années. Il est aussi membre de l’Association des Inspecteurs généraux des Etats Unis à titre étranger, Membre associé de Certified Fraud Examiners (ACFE) et Certifié en Forensic Accounting and Fraud Examination West Virgina University. Il plaide et enseigne les réformes requises dans ces domaines dans plusieurs pays africains et a publié plusieurs textes à cet égard. GUEYE est le Conseiller en gouvernance publique du Président Abdou Mbaye de l’Alliance pour la Citoyenneté et le Travail.

[1] Aux Etats-Unis, ce qui appelé Inspecteur général, transmet ses rapports semestriels au Congrès ; les rapports des Inspectors general Offices sont  téléchargeables sur Internet.

[2] Il faut se féliciter de l’innovation introduite dans la science administrative par l’Inspecteur général d’Etat François Collin à qui je dois le concept d’institution supérieure de contrôle de l’ordre administratif et d’institution supérieure de contrôle de l’ordre juridictionnel.

[3] La même exigence prévaut dans le cadre du Vérificateur législatif, il faut un leadership parlementaire authentique.

[4] Pour toute une génération d’africains, la fonction imposent un rang, un statut qui témoignent de son importance, bien qu’une évolution soit amorcée pour exiger ce qui apparaît de plus en plus importants : les résultats, la performance, la qualité, etc.

[5] A noter que le régime présidentiel africain n’est pas forcément identique à celui des Etats-Unis, avec les prérogatives non négligeables que détient le Congrès américain…

[7] Dans certains pays africains, s’y ajoute des pressions liées à des considérations surnaturelles, parfois pour faire peur au Vérificateur. Un jour, la fin d’une mission, à l’intérieur du territoire sénégalais, en rentrant, l’ensemble du personnel m’appelle pour me dire : « M. l’inspecteur général, nous savons que vous faîtes votre travail ; mais attention, un grand taureau noir a été sacrifié contre vous par  la personne vérifiée. Tendez les mains et nous allons prier pour vous. Je dus me plier à leur volonté par courtoisie et la prière fut faite. »

[8] A Djibouti, j’ai classé les rapports définitifs comme dans un hôtel de luxe, entre 3 et 7 étoiles ; un rapport de moins de 5 étoiles ne sort pas du service.

[9] Au Sénégal, il existe une série d’expression qui traduit bien la fierté de servir le pouvoir de contrôle général du  Chef d’Etat : « Les soldats de la République », « les hommes du Président »

[10] Il peut s’agir tout aussi bien du Chef de l’Exécutif que du parlement ou les deux à la fois…







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