Nous sommes tellement proches du Mali que nous avons été dans un même Etat : la Fédération du Mali qui regroupa le Soudan français (Mali actuel) et le Sénégal. Malgré la dissolution de l’éphémère Fédération pour des raisons politiques, le déterminisme géographique fait que notre histoire est intrinsèquement liée à celle du Mali. Ce déterminisme géographique et historique fait que la question malienne ne doit pas être considérée par le Sénégal comme une question de politique extérieure, mais comme une question de sécurité nationale.
La France, les Etats-Unis et les pays occidentaux, peuvent s’offrir le luxe de traiter le Mali comme une question de politique extérieure, mais pas le Sénégal. Tout le monde sait que le G5 sahel est un échec, de même que la politique du «containment» de l’opération Barkhane. La situation du Mali inquiète plus les Occidentaux que les pays de la ligne de Front, où l’on se divertit sur la question du pétrole à plus de 3 000 m de profondeur alors que le feu se rapproche.
En Guinée, Condé joue avec le feu du troisième mandat alors que les terroristes avancent grâce à la stratégie du chaos identitaire très bien planifié. Au Mali, les jihadistes ont presque atteint leur objectif qui consiste à une «libanisation» du Mali, en opposant le Nord et le Sud, et au centre, créer un conflit entre Peuls et Dogons. L’Etat du Mali dépérit chaque jour davantage. Au Burkina Faso, les jihadistes veulent aussi créer une guerre civile entre les chrétiens et les musulmans. La stratégie jihadiste est très cohérente et redoutablement efficace : créer le chaos, détruire l’Etat et en profiter pour s’installer durablement. Les jihadistes ont le temps avec eux et la montre joue contre la force expéditionnaire et les Etats du Sahel. Comme toutes les forces expéditionnaires, l’intervention de Barkhane est limitée dans le temps alors que les jihadistes eux n’ont pas cette contrainte, parce qu’ils sont chez eux.
La présence de la force expéditionnaire aurait dû être mise à profit par les Etats pour renforcer leurs Armées afin de faire face. Nous assistons à l’inverse, car on a l’impression que l’Etat et l’Armée n’ont jamais été aussi affaiblis. Nous pouvons dire la même chose du Burkina Faso. Les occidentaux, si conscients du danger, n’ont au fond que leurs ressortissants à protéger, alors que les Sahéliens risquent la disparition de leurs Etats et de leurs pays au profit du «Grand sahel» ou d’autres entités politiques. Ce qui frappe, c’est surtout l’inversion de la responsabilité. L’Occident anticipe sur l’avenir ; d’où sa grande peur et son engagement, alors qu’au Mali il est fort à parier que les massacres des Peuls et des Dogons ne vont pas créer le sursaut national salutaire.
Au Sénégal aussi, nous avons la même insouciance stratégique. Malgré le feu qui se rapproche, les hommes politiques ne se penchent pas sérieusement sur la question. Le feuilleton du pétrole passionne plus le pays que la situation du Mali, alors le pétrole ne va pas brûler le pays, mais il n’est pas évident que la case de notre voisin qui brûle ne se propage pas chez nous. Le pétrole ne brûlera pas notre pays, car le brouhaha qu’il y a autour de la question alors que nous n’avons pas encore une goutte a déjà exorcisé la malédiction du pétrole. Le brouhaha médiatique et populaire fait que, même si les politiques ne sont pas vertueux, la tyrannie de l’opinion les pousse à une certaine prudence.
Il serait bien, après cette polémique sur le pétrole, que nos hommes aient la même passion pour les questions sécuritaires, particulièrement celle qui touche le Mali, qui est la plus grande menace pour notre sécurité nationale. «Gouverner c’est prévoir, défendre c’est prévenir», nous dit Kissinger. C’est pourquoi les hommes d’Etat anticipent pour prévenir. Winston Churchill a été un homme d’Etat, car il a été le premier et le plus constant à attirer l’attention du Royaume Uni sur la menace qu’était le nazisme. De Gaulle l’a été en attirant très tôt l’attention de la France sur le fait que les Allemands étaient en avance d’une guerre avec leurs blindés et leurs généraux.
Il est temps que dans la légion de politiciens qui nous gouvernent ou qui aspirent à nous gouverner, l’on se penche sur ces questions de sécurité et de défense. C’est normal que les hommes politiques se passionnent pour le pétrole, mais ils devraient aussi le faire pour le cercle de feu qui se rapproche dangereusement de nous. C’était à Kidal, maintenant c’est Mopti. N’attendons pas qu’il soit à Kayes !