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Le Syndrome De Dakar Sous Macky

Le Syndrome De Dakar Sous Macky

Assise sur un coin du lit, dans une chambre d’hôtel, elle se mit à compter, tout ébaubi que j’étais, un par un les billets de la dot. C’était mon premier contact avec ma belle-mère, sage-femme de métier. Quelques années plus tard, elle rendit l’âme à l’hôpital universitaire Le Dantec de Dakar. Son séjour à Gossas, chez sa mère, demi-sœur du président Me Abdoulaye Wade, n’avait pas suffi à conjurer le mauvais œil. C’était bien un AVC, et rien d’autres, que personne n’avait diagnostiqué à temps. Un fils ainé, à peine dans la fleur de l’âge, se trouva seul et désarçonné avec le corps de sa défunte mère à la morgue. Son père, lui, le polygame, vaquait à ses occupations habituelles, celui qui s’était organisé une vie tranquille autour d’une deuxième femme.

Lâche, irresponsable, sont les mots qui me reviennent pour décrire mes sentiments de l’époque à l’égard de ce beau-père ! Soudainement, il me revient ceux du rappeur Kilifeu prononcés lors de la manifestation contre la loi sur le parrainage : « les Sénégalais sont lâches et complices par leur attitude défaitiste de rester chez eux ». D’aucuns vous diront que ce membre du mouvement Y en à marre a dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas ! A contrario, pour justifier l’insuccès des manifestations sous l’ère de Macky Sall, le gouvernement s’enorgueillit de la maturité du peuple sénégalais. Qui dit vrai ? Je pense que la vérité est ailleurs.

En réalité, le peuple sénégalais est victime d’un symptôme que j’ai baptisé : syndrome de Dakar. A la lumière des syndromes bien connus de Stockholm et de Lima (développement d’une empathie des otages envers leurs geôliers), je me suis efforcé de diagnostiquer la relation complexe entre l’Etat sénégalais et ses citoyens. L’affaire des contrats liés au gaz et pétrole nous servira de trame de fond pour y voir plus clair.

Pour qu’il y ait un syndrome tel que celui observé chez les otages, il faut à priori la survenance d’une forme de captivité de nature psychologique contrainte par l’Etat envers ses citoyens. Allons aux origines du phénomène dans les années 60 ! Sur fond d’indépendance et de renforcement du pouvoir central, c’est l’intérêt supérieur du développement qui servit de cadre d’asservissement. La mise au pas du peuple, car au bout de l’effort il y a le développement, engendra un Etat tentaculaire qui fit fi des libertés, ces dernières etant perçues comme permissives, pouvant nuire à l’ordre et destabiliser le nouveau régime. Sous wade, ce modèle s’est peu ou prou effrité : le slogan Sopi annonçait le printemps des libertés qui n’a duré que le temps d’une courte parenthèse.

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Avec le Plan Sénegal Émergent (PSE), le développement comme seul paradigme ultime et obsédant revient par la grande porte. Tous les moyens sont bons pour parvenir à l’émergence qui doit profiter in fine au peuple. Et ce faisant, Macky Sall emprunte à Senghor son tout premier modèle politique de développement, où la dépendance psychique du citoyen à l’égard de l’Etat fut la plus contraignante :

D’une part, Macky Sall supprime le poste de Premier ministre sans consensus, en vue de l’instauration d’un exécutif monocéphale. Mamadou Dia avait brossé un tableau réaliste de cette « république monarchisée » par des mots forts de présidentialisme fou, concentrationnaire, sans vice-président, ni Premier ministre. Si Léopold Sédar Senghor ne voulait aucune entrave institutionnelle vers la marche du développement, Macky Sall n’en veut pas non plus dans la mise en œuvre de son Plan d’émergence qu’il entend accomplir vite et efficacement (fast track) ! Et ce grâce aux mannes gazières et pétrolières. Ingénieur géologue, diplômé de l’École nationale supérieure du pétrole des moteurs (ENSPM) et de l’Institut français du pétrole à Paris (IFP), Macky Sall serait le seul à détenir les clés du développement, le seul à déchiffrer la technicité du milieu pétrolier. Macky Sall se donne tous les pouvoirs d’une puissance exceptionnelle : il est le seul à régner comme Senghor à ses débuts, au nom de l’émergence !

D’autre part, avec l’élimination des deux opposants Karim et Khalifa, on est en droit de s’interroger sur la restauration d’un quasi parti unique et d’une opposition de contribution complaisante dans le cadre des négociations nationales. La rhétorique de la destabilisation à la suite de la diffusion du documentaire de la BBC vise à discréditer les quelques opposants tenaces. Dans les années 60, pour justifier la toute-puissance de l’Etat, la destabilisation est érigée en un ennemi de l’ordre et donc du développement. L’opposition y est difficilement tolérée car elle contient les germes de la subversion. Avec l’affaire Aliou Sall, les thèses de complotisme, d’instabilité, voire de néo-colonialisme, reviennent en force ! Une certaine opposition, la bande des trois (Ousmane Sonko, Abdoul Mbaye, Thierno Alassane Sall) est qualifiée de « radicaliste ». Elle est assimilée au désordre. Peut-être dame justice, dont la finalité de la saisine semble de conclure à une dénonciation calomnieuse, remettra-t-elle de l’ordre comme ce fut le cas avec la justice bolchevique de la Crei.

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C’est un contrat social à l’hobbesienne qui a été conclu entre l’Etat et le peuple sénégalais. La promesse d’un développement piloté par un Etat fort vaut bien en contrepartie l’acceptation de sacrifices, tels que l’ordre, la discipline et la patience entre autres. Il n’en découle pas nécessairement une empathie du peuple à l’égard de ses dirigeants, mais au moins une indulgence, dans l’attente du résultat avalisé : le développement du Sénégal. L’absence d’un soutien populaire à l’égard de Mamadou Dia lors de son incarcération, pourtant victime avérée, en dit long sur la tolérance des sénégalais vis-à-vis du pouvoir en place. C’est le même constat que l’on peut faire pour Khalifa Sall, maire apprécié de Dakar et victorieux devant la Cour de justice de la CEDEAO ou de Karim Wade ayant obtenu la révision de son procès devant le comité des droits de l’homme à Genève. Avec le temps, les Sénégalais ont développé un instinct de survie, même inconscient, à l’encontre de l’Etat. Cela permet d’échapper à une confrontation angoissante directe avec le pouvoir et de dépasser le sentiment de culpabilité comme quoi ils seraient réfractaires à la cause du développement. Et puis il y a une adoration vis-à-vis du chef. Pour les plus récalcitrants, ceux qui n’ont pas peur des libertés, c’est la répression comme à l’occasion de la manifestation contre la gestion pétrolière et gazière relatée par le document BBC.

« Il y a des choses qui dépendent de nous ; il y a des choses qui ne dépendent pas de nous », disait Epictète. Les AVC se produisent au regard entre autres de notre mauvaise alimentation et de notre stress. Cela dépend en conséquence de nous. Mais les insuffisances techniques et des ressources humaines d’un hôpital, à fortiori universitaire, assimilé en 2011 par un professeur en cardiologie à un mouroir, ne dépendaient pas de ma feue belle-mère ! C’est du ressort de l’Etat. Ce même Etat qui, depuis 59 ans, a fait du développement le prétexte de tous les sacrifices consentis par les sénégalais jusqu’à ce jour. Le délabrement avancé d’une école à Guédiawaye en face de la luxueuse villa attribuée à Aliou Sall, ne dépend pas non plus de ses usagers. Avec l’explosion des inégalités, et celle de nouvelles fortunes fulgurantes depuis 2000, comment un peuple aussi extraordinaire que les Sénégalais, alors que le taux de pauvreté est encore élevé, peut-il acquiescer l’insoutenable ?

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Jean-Paul Sartre expliquait que tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces. Cette patience et « masla », n’ont-elles pas atteinte leur limite des lors qu’au bout des efforts le développement ne vient toujours pas ? Macky Sall sait qu’il joue gros, il a une obligation de résultat avec sa deuxième phase du PSE pour faire oublier toutes les atteintes à la démocratie et aux libertés. Le pétrole et le gaz sont au cœur de son dispositif. C’est pour ces motifs qu’il a tout intérêt à faire vite oublier l’affaire Aliou Sall et à maintenir le syndrome de Dakar. La mobilisation du 14 juin nous édifiera sur la pérennité ou non de ce syndrome !

edesfourneaux@seneplus.com







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