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L’irrésistible Tentation Népotique

L’irrésistible Tentation Népotique

Depuis Senghor, chacun des quatre présidents sénégalais successifs a eu l’occasion de nommer des membres de sa parentèle à de hautes fonctions publiques. Mais après l’ère de « Monsieur Fils » (Karim), sous Abdoulaye Wade, le rôle prêté à « Monsieur Frère » (Aliou) sous Macky Sall est à l’origine d’un scandale sur fond d’hydrocarbures qui n’en finit pas de rebondir… 

Le Sénégal, affublé du statut de « vitrine de la démocratie en Afrique », aura beaucoup flirté avec la promotion par ses chefs d’État successifs de leur parentèle proche.

Le président Abdou Diouf avait fait de son frère cadet, Magued, son ministre de la Modernisation et de la Technologie, puis celui de l’Industrie, de l’Énergie et des Mines. Le président Léopold Sédar Senghor, président de la République de 1960 à 1980, avait nommé son neveu, Adrien Senghor, ministre d’État et ministre de l’Équipement. Le président Abdoulaye Wade, à la fin de son règne, avait quant à lui confié un ministère d’État et quatre portefeuilles ministériels à son fils Karim.

Avec le reportage de la BBC intitulé « Un scandale à 10 milliards de dollars », le monde entier sait désormais que le frère du président Macky Sall a été nommé par décret présidentiel directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Selon la BBC, Aliou Sall aurait touché 250 000 dollars de Frank Timis, son précédent employeur, lorsque ce dernier a vendu à British Petroleum (BP) la concession de gaz dont la licence a été signée par Macky Sall peu après sa première élection. Concession revendue à un prix inconnu et pour des royalties de garantie qui s’élèveraient, selon la BBC, à 6 000 milliards de francs CFA sur quarante ans.

Aliou Sall aux premières loges

C’est dans les colonnes de Jeune Afrique que le président Sall indiquait pourtant, en 2016, avoir signifié à son frère cadet Aliou, dès son élection, qu’il ne signerait jamais de sa main un décret le nommant à une quelconque fonction publique – quoique Aliou Sall eût de quoi prétendre servir l’État au plus haut niveau. Attaché économique à l’ambassade du Sénégal en Chine, après des études à l’École nationale d’administration (ENA) en France, il était rentré de l’empire du Milieu quelques mois auparavant pour soutenir la campagne de son frère Macky.

Le président Sall finira par parjurer sa promesse, en nommant Aliou à la direction générale de la CDC, une entreprise publique qui dispose d’avoirs conséquents (estimés à 150 milliards de francs CFA) et qui est l’actionnaire principal du pavillon aérien national, Air Sénégal, pour 40 milliards de F CFA.

Il est vrai qu’Aliou aura su forcer son propre destin politique en se faisant élire maire de Guédiawaye (une grande ville de la banlieue de Dakar), en 2014 ; puis, dans la foulée, président de l’Association des maires du Sénégal. Le président Sall regrettera-t-il la nomination de son frère ? Sa majorité présidentielle est en tout cas actuellement très chahutée par l’opposition et la société civile, suite à l’affaire révélée par la BBC.

Le dossier de la demande de permis de prospection de gaz par un homme d’affaires chinois proche de Frank Timis, Macky Sall l’a trouvé sur son bureau en arrivant au pouvoir en mars 2012. C’est Karim Wade, « ministre aux quatre portefeuilles » du régime précédent, qui avait diligenté le dossier, deux mois seulement plus tôt. Le controversé dossier Petro-Tim, étrangement, aura donc été initié par « Monsieur Fils » (Karim Wade) et finalisé par « Monsieur Frère » (Aliou Sall). Entre-temps, un système a cédé la place à l’autre. Mais les deux pouvoirs successifs de Wade et Sall semblent se répondre sur le même tempo, comme dans un chœur antique.

Wade et Sall, Janus à deux têtes ?

Abdoulaye Wade et Macky Sall, Janus à deux têtes ? Malgré sa proximité passée avec Abdoulaye Wade, dont il fut le Premier ministre emblématique, le directeur de campagne à la présidentielle de 2007 et le président de l’Assemblée nationale, Macky Sall n’a donc pas retenu la leçon selon laquelle le peuple sénégalais avait congédié son prédécesseur pour confusion des genres entre la famille et l’État.

La famille de Macky Sall est en tout cas aux premières loges dans la gestion de l’État. Le frère de la Première dame, Mansour Faye, est ministre de l’Hydraulique. Son beau-père, Homère Seck, est responsable de l’APR (parti présidentiel) dans la ville de Rufisque et président du conseil d’administration de la société publique Petrosen (encore les hydrocarbures !). L’oncle du président, Abdoulaye Thimbo, est maire de Pikine, autre grande ville de la banlieue dakaroise. Sans compter, donc, « Mister Brother », Aliou Sall, dont la goutte de sang présidentiel est celle qui menace de faire déborder le vase trop plein du ras-le-bol des Sénégalais envers la tentation népotique au sommet de l’État.

Interdire les nominations familiales ?

Le code électoral sénégalais, réformé en janvier 2017, dispose que ne peuvent être membres de la Commission électorale nationale autonome (Cena) « les parents jusqu’au deuxième degré des candidats à la présidence de la République ». Devra-t-on aussi interdire les membres de la parentèle des chefs d’État sénégalais de toute prétention à la candidature présidentielle suivante (Karim Wade a été candidat à la candidature de celle de 2019), de fonction ministérielle ou de direction générale d’une grande société publique, qui est souvent un strapontin pour viser plus haut ?

Comme a pu le dire, en son temps, le président ivoirien Laurent Gbagbo : « Un président de la République par famille et par siècle, ça suffit largement ! »







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