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Melancholia

Une forêt généreuse que quelques incendies de brousse avaient malmenée sans jamais la ravager. Elle commençait à l’entrée de Coubanao, juste au point de jonction avec Finthiock. Une haie d’Eucalyptus dès l’abord, des palmiers roussis par l’astre solaire parsemés au gré du foisonnement des hectares, les acacias, ceinturaient le paysage. Généreuse en fruits, en ombres reposantes, en lianes tissées, la forêt tel un nid, abritait le village. Quelques sacs plastiques usagers s’invitaient au décor, s’enroulant au gré du vent sur les tiges, s’étalant le long des routes, comme d’importuns déchets. La verdure reprenait pourtant son droit malgré toutes les agressions.

La forêt était la frontière naturelle du village, sa bordure verte ; les jours heureux, elle était aussi sa providence. De rares biches, des lapins, des singes malingres, des écureuils, entre autres animaux malicieux, y faisaient leur affaire indiscrètement. La grande toison verte aux prémices du village s’érigeait en défense naturelle pour les populations.

Du modeste campement de coopérants où nous logions, demeure charmante en briques rouges à la lisière du bois, elle constituait notre horizon. On voyait, assis sous l’ombre du fromager géant qui noyait la maison, le cirque des singes qui s’invitaient à nos repas et à nos palabres. Ils allaient ensuite s’abreuver à côté du puits, et voltigeaient dans les branches de l’anacardier qui ornait la cour.

Il nous fallait, tout au plus, enjamber la clôture de fortune en bois de rotin, et le terrain de football, pour y glisser et festoyer avec les offres de la forêt. A force, elle était devenue une dépendance, une pièce annexe de la maison, où nous raffermissions notre camaraderie en s’offrant quelques échappées. Nous n’avions pas dix ans, mais les liens étaient déjà scellés dans un trésor commun.

Tous les jours où l’école daignait nous offrir du temps libre, sous la houlette de notre chef de bande, nous étions quatre, cinq, voire six, fièrement accompagnés par notre chien Totala, à aller taquiner la forêt dans une partie de chasse et de cueillette indolentes, au cours de laquelle, génie et candeur mêlés, nous arrivions à nous régaler d’agapes somptueuses.

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Jugez de la belle affaire : une bande de mômes, pieds nus, tapant dans la balle, et caressant la duveteuse queue des écureuils que notre chien venait de capturer, sans urgence et remplis d’insouciance, il nous arrivait un temps de figer le bonheur dans l’éternité – ou l’inverse. Si l’on appartient à son enfance comme le confesse Saint-Exupéry, je dois confier qu’il ne m’est resté aucun souvenir amer de Coubanao. Rétrospectivement, je crois y avoir empilé, patiemment, une réserve d’amour inépuisable pour affronter les hideurs du monde.

Il est une propension naturelle de la nostalgie à embellir le souvenir. On n’y coupe pas. Les yeux de l’enfance ne sont pas tenus aux lucidités violentées des adultes. Nous n’étions pas prévenus du devoir de dire adieu à nos rêves, et d’ailleurs pourrions-nous nous entêter, comme le firent Bernanos et Senghor, à éterniser l’enfance.

En refoulant Coubanao le printemps dernier, ivre de ma curiosité, incertain d’y revoir les merveilles de mon enfance, je craignais que le trésor fût endommagé. La forêt avait tenu, juste avait-elle dû, supporter l’érosion, les tempêtes de sable, et quelques autres dérèglements qui ont entamé sa splendeur. Mais le temps n’était pas aux regrets.

Agustu m’avait serré si fort en m’accueillant, avec son grand sourire, que nous avions voyagé dans notre enfance en un flash. Il avait gardé le visage de nos jeunes années, un grand rire, des grands yeux vivifiés par une ardeur. Il était torse nu et portait sur la gueule quelques cicatrices. Ses mains étaient restées dures, son corps décharné mais sec et solide. Un mince bouc venait donner à son visage des airs de vieil enfant.

Passé l’émotion des retrouvailles imbibées de larmes bénies, mes yeux pouvaient enfin réconcilier mes souvenirs à mon horizon. Fulgurante et frappante, l’impression première fut celle d’une histoire qui s’était arrêtée. Coubanao s’était toiletté à peine, il étrennait ses vieux charmes ; sa forêt était là, et je revois encore Totala, notre chien, nous gratifier de sa plus belle capture en trois ans de chasse : une biche que l’on offrit, grands seigneurs, aux adultes du village. Je revois les tournois de foot, les cérémonies de luttes, où Xajay, le chétif virtuose, raflait la mise devant Kilo, le Goliath déchu. A l’impossibilité de redonner une vie au souvenir, se substituait la prise réelle avec son cadre resté inviolé. On se console comme on peut…

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En parcourant tout le village, je revois Coubanao Ba crier sa bienvenue, Tambacounda revêtir sa discrétion légendaire, Niéné, son masque de force tranquille, Kaoungack sa frénésie et Yentine sa retraite paisible. Tous ces quartiers avaient leur tempérament. A chaque halte, la petite assemblée bienveillante, qui plus de 20 ans après, posait le regard et reconnaissait d’un clignement de cil, l’enfant du principal. Et les étreintes se succédaient, le disputant aux effusions d’amour, de fierté, de reconnaissance, dans un territoire où la gratitude avait été élevée au rang de vertu suprême. Le temps y renforce la mémoire au lieu de l’éroder.

Alors, ici comme ailleurs, dans cette communauté de destins liés par la Casamance, on voile les blessures de pudeurs comme on peut. Les petits sourires cachent bien des histoires. Il me fallut quelques heures, pour pénétrer, au-delà des visages accueillants, la vérité d’une vie difficile.

L’inviolabilité est une vertu de discrétion, mais elle a un coût. La pudeur est belle morale, mais elle ne guérit rien. Le nuage des puanteurs voisines rode, même au plus près des demeures paisibles. Les populations restent fragiles et amères, les fourneaux y crient leur désarroi. Au-delà de la dignité des visages, toujours habités d’humanisme, l’œil y trahit les drames de l’impuissance. Alors quand le fait-diversier, depuis la capitale, y relate les épisodes sanglants de la guerre casamançaise, on y tend à peine l’oreille, occupé à résoudre les équations brulantes du quotidien et le chœur grinçant des ventres vides.

Epargnés, par une curieuse bénédiction, des affres du conflit casamançais, Coubanao et les Kalounayes, semblaient dans une tour d’ivoire. Les coupeurs de route, les crapuleries inhérentes aux conflits qui durent, les affrontements n’y ont jamais véritablement prospéré. Du temps où la revendication pour l’indépendance connaissait son faste, émergeant de légitimes colères, d’injustices et de frustrations, une sympathie rapide – quoique timide – y avait éclos pour le MFDC. Rien de plus. Encore moins, quand un jour, notre homme fort du village, Koi, avait été tué par des rebelles. L’une des seules manifestations de ce conflit à Coubanao, c’était ce meurtre lâche, resserrant les liens d’une fratrie villageoise frappée en plein cœur.

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Si l’ignorance explique presque toujours les drames humains, vrai du racisme comme de guerres à caractère – parfois – ethniques, la violence ne peut avoir l’excuse de l’ignorance. Le conflit casamançais, devenue zone carrefour d’enjeux multiples, déborde de sa sphère première, parce que surtout, aucune pédagogie nationale n’a émergé, pour toucher au cœur de cette parcelle du Sénégal qui s’est confortée dans sa réclusion pour ne pas dire son exclusion.

A Coubanao, le monde nous semblait loin. Je le vis encore, cet éloignement que tous les nouveaux satellites qui coiffent les cases, n’arrivent pas à vaincre. On s’y sent étranger au Sénégal. L’idée de nation y a achoppé sur le sentiment de ne pas faire partie d’une cause commune. A cela, les renforts militaires, les mannes financières corrompues, ne peuvent rien offrir si le préalable historique du conflit est nié : c’est dans le cœur des hommes que naissent les conflits, c’est dedans que doit germer la paix.

Quand l’actualité fait irruption dans l’Histoire, il est du devoir des acteurs de privilégier le temps long et de s’interdire les effets de manches coutumiers aux vagues qui ne s’élèvent furieusement que pour mieux s’écraser. A Coubanao, les morts sont des deuils de plus, les cimetières ne font pas distinction. Le village s’est dépeuplé, me rendis-je compte, victime d’exode et de la mort des pauvres. J’erre dans le village, en compagnie d’Agustu, et en une journée, il m’avait donné la liste. Je me dévêts de ma nostalgie, le pays d’enfance s’envole. Le souvenir n’y suffit plus de baume, malgré l’artifice littéraire. Il faut juste raconter les gens. A défaut de gloire, ou de postérité, ils peuvent avoir une trace. C’est une des taches du texte que de rendre – essayer au moins – immortels les anonymes. Ce carnet vous les racontera.

[À suivre…]

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