«Avec la liberté d’expression, vient la possibilité de dire des conneries et parfois même des horreurs et que c’est à la société de réagir, non pas en brimant la liberté d’expression, mais de condamner par la parole ces paroles inacceptables». – Philipe Couillard, ancien Premier ministre québécois
Les passages itératifs de Clédor Sène dans certains médias « mainstream » font devenir chèvre à certains journalistes qui, sous le coup de l’hyper-émotion, versent dans le compassionnel-sensationnel et s’érigent en censeurs. Jean Meïssa Diop (JMD), toujours peiné de voir Clédor plastronner sur nos écrans, n’a pas hésité à publier sur sa page facebook un post qui en dit long sur son désir et son plaisir de censurer celui qu’il regarde comme l’assassin du juge Babacar Sèye. «Un organe de presse, très à cheval sur l’éthique professionnelle, a pris une décision très ferme : tout journaliste qui aura interviewé Clèdor Sène sera sanctionné avec rigueur». Et l’ancien membre du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) de conclure avec délectation qui fleure le cynisme que c’est une «belle leçon pour les autres chaînes de radio et de télévision». Voilà le message posté le 15 juin à 15h 03 par JMD, lequel se fonde sur l’éthique professionnelle pour valider la censure exercée sur Clédor par la 2STV. Mais JMD devait préciser que c’est El Hadj Ndiaye, himself, qui a pris cet oukase pour enjoindre à ses journalistes de ne point permettre à Clédor de mettre les pieds dans sa structure médiatique. Position corroborée la nuit du 16 juin dans l’émission «Lii ci deuk bi» animée par le jeune journaliste Mamadou Lamine Kâ, lorsqu’en direct, El Hadj Ndiaye déclare, après avoir réfuté de telles accusations mensongères, que «dorénavant, Clédor Sène ne passera plus sur la 2STV parce que ladite télé est sa propriété».
Etant donné que mes connaissances en matière d’éthique et de déontologie sont très limitées pour ne pas dire quasi-nulles, j’aimerais que les doctes journalistes, pontifes moralisateurs, bien-pensants médiatiques baba-cools qui s’érigent en censeurs sélectifs, me disent quelle est cette école de journalisme qui enseigne qu’un «assassin» qui a passé une décennie en prison avant d’être gracié puis amnistié n’a pas droit à s’exprimer devant les médias. «Aucun code de déontologie n’interdit à un organe de presse d’interviewer quelqu’un comme Clédor, mais j’estime que pour des raisons morales (en ayant une pensée pour la famille Sèye), je trouve indécent que Clédor parcourt des plateaux de télévision et studios de radio comme pour narguer et les Sénégalais et les Sèye», m’a répondu JMD, heureusement, dans sa page facebook.
Abracadabrant qu’un journaliste de la trempe de JMD, réputé pour sa chronique croquante et croustillante d’antan à Walf quotidien en l’occurrence «Media voce» et son «Avis d’inexpert» qui parait aujourd’hui dans les colonnes de l’Enquête, puisse s’ériger opportunément en apologiste de la censure. Il est loisible à JMD d’avoir de la compassion pour la famille de Me Sèye ou de se formaliser chaque fois qu’il voit Clédor parader sur les plateaux, mais de là à se délecter de la privation d’un droit fondamental en démocratie, c’est verser dans le déni de la parole, donc dans la censure.
Après l’assassinat, Clédor Sène, Assane Diop et Pape Ibrahima Diakhaté avaient été jugés et condamnés à des peines carcérales de 18 et 20 ans. Pourtant aujourd’hui, plus que jamais, cet assassinat sordide reste enveloppé d’un linceul sombre de mythes (mensonges) et de mystères même si un jugement a été rendu. D’ailleurs, Clédor, en 2015, dans une émission de la Sen TV, a exigé, pour les besoins de la clarification, a demandé «à la majorité parlementaire d’abroger la loi Ezzan, et aux magistrats qui ont perdu un de leurs supérieurs dans cette affaire, de tout faire pour que le dossier soit rouvert pour que les choses soient tirées au clair». Mais il faut rappeler, selon les propos de Babacar Gaye, que «la loi Ezzan a été concoctée dans le bureau de Macky Sall, alors Premier ministre d’Abdoulaye Wade». Et pour l’ex porte-parole de Wade «c’est l’actuel président de la République, alors membre influent du PDS, qui a lui-même choisi le député Ibrahima Isidore Ezzan dans l’intimité de son bureau pour porter cette loi».
Il faut préciser que ni les pouvoirs successifs de Diouf, Wade et Sall, ni la famille de Me Sèye qui a empoché, en guise d’indemnisation, 200 ou 600 millions sous le régime de Wade, ne veulent que la vérité-lumière jaillisse de cet assassinat abject. Alors vouloir s’arc-bouter sur une décision de justice (une justice aux ordres) dictée par des circonstances politiques pour établir la culpabilité exclusive de Clédor sur l’affaire Me Sèye me parait désinvolte et orientée selon la boussole d’accusation du régime socialiste d’alors.
Pour finir, j’aimerai inviter mon ami Jean Meïssa et tous les journalistes donneurs de leçons de morale sélective et situationnelle à méditer les propos de Mame Less Camara, cet autre monument de la presse, qui s’est prononcé sur la question à travers le site Pressafrik : «Aucun média n’a le droit de se fonder sur un passé judiciaire pour exclure une personne du champ de la communication. C’est complètement intolérable ! Je crois qu’il ne faut pas confondre le sentiment personnel qu’on peut avoir en bien ou en mal et la qualité de l’information qu’on peut retirer de quelqu’un. Toutefois, si le patron de la presse qu’est la 2STV exécute sa menace, ça mériterait une mise au point (…). Cette stigmatisation ne peut être fait par un média».
Cette menace est mise à exécution puisque, dans l’émission «Lii ci deuk bi» du 16 juin dernier, El Hadj Ndiaye, en direct, a fait savoir à tous les Sénégalais que «désormais, il ne veut pas voir Clédor Sène à la 2STV».
Bannissant toute posture censoriale fondée sur un passé judiciaire, la position du directeur des études du Cesti, Mamadou Ndiaye, s’inscrit dans le même sillage que la réflexion de Mame Less. «Aucun média ne devrait décider de bannir un citoyen même s’il a eu un passé criminel», soutient-il.
Une presse indépendante et dynamique est indispensable à la bonne marche de la société alors que la sous-information, l’intoxication et la censure l’atrophient. Certes, l’hyper-émotion est devenue aujourd’hui la spécialité d’une certaine presse démagogique qui joue occasionnellement avec le compassionnel-sensationnel, mais ses émotions factices ou réelles ne doivent pas la conduire à imposer l’omerta à un citoyen même si son passé «ensanglanté» lui colle à la peau comme la tunique de Nessus. Et le remède-censure qu’ils proposent est un cautère sur une jambe de bois pour ne pas dire pire que le mal qu’ils veulent guérir.
PS : Cette mesure censoriale de JMD et des journalistes de la même étoffe est-elle applicable aux violeurs de nymphes et voleurs de milliards (déguisés en consultants en agriculture ou experts en pétro-gaz) qui se transbahutent de média en média ?