Plus de 90 % du commerce international se fait actuellement par voie maritime. Le rôle des ports dans la structure économique des pays est un des éléments stratégiques, expliquant l’attention accordée à la communauté portuaire (travailleurs, entreprises, institutions) par les autorités. Malgré la sophistication croissante du secteur – avec les processus de numérisation et de standardisation des cargaisons (conteneurs) –, induite par les transformations de la navigation internationale, le rôle des travailleurs portuaires (les dockers) demeure un facteur essentiel pour le développement du commerce et de l’activité générale du pays.
Les premiers jalons du statut juridique des dockers
Au Sénégal, le travail portuaire dit « formel » apparaît à partir de la construction du port de Dakar dans la deuxième moitié du XIXe siècle, du fait de la précarisation des conditions de travail. Les ouvriers du port étaient des chargeurs engagés au jour le jour sans contrat ni protection sociale. Ils venaient de l’intérieur du pays pour trouver un emploi à Dakar. Répartis en équipe de cinq ou six membres, ils étaient placés sous la supervision d’un chef, lequel exerçait une forme de contrôle social.
La pénurie de main-d’œuvre au Sénégal au cours des deux guerres mondiales et la création d’organisations syndicales transforma leurs conditions du travail. Le statut juridique des dockers, doté de caractéristiques spécifiques, constituait un élément important. L’émergence militaire du pays et l’importance du port de Dakar comme pilier de l’économie coloniale engendrèrent de nombreuses opérations de manutention des marchandises et la livraison de houille et de mazout.
Les premiers projets de codification du statut de docker furent explorés au cours des deux guerres mondiales, à l’instar de ce qui se passait dans la métropole. La mobilisation des syndicats et des partis politiques locaux renforça la position des travailleurs en vue de la reconnaissance de leurs droits essentiels. Néanmoins, ces derniers ne devaient obtenir le statut de dockers que dix ans après l’indépendance du Sénégal (en 1960).
1970, la consécration d’un statut
En février 1970, le décret 70-181 leur conférait le statut de docker et définissait les conditions spéciales du travail portuaire au Sénégal. Ce décret reflétait l’existence d’un collectif de travailleurs différencié qui permettait de protéger leurs droits sociaux, tout en leur assurant des conditions de manutention des marchandises correctes.
Ce décret donna aussi naissance au Bureau de manutention de la main-d’œuvre portuaire (BMOP) qui drainait les travailleurs vers les compagnies portuaires. Certes, des listes de travailleurs existaient depuis 1925, mais le BMOP permettait de réguler l’accès à différentes catégories professionnelles, et notamment à celle de docker professionnel permanent.
Le nombre des dockers professionnels tournait autour de 850 entre 1970 et 1990, renforcés par les dockers occasionnels et les journaliers engagés, selon les besoins. Tandis que les dockers professionnels étaient engagés prioritairement par les compagnies, les occasionnels et journaliers n’avaient pas de travail assuré.
À la fin XXe siècle, des changements institutionnels et des transformations technologiques majeures sont intervenus dans l’industrie maritime internationale. En 1994, dans le contexte des plans d’ajustement structurel mis en œuvre au Sénégal, le secteur de la manutention portuaire fut libéralisé. Au nom de la compétitivité, cette réforme (décret 98-814) réorganisa et libéralisa le secteur au détriment des droits acquis.
La loi supprimait ainsi le monopole de l’embauche du BMOP et donnait l’opportunité de créer d’autres bureaux privés administrés par les entrepreneurs. Ainsi, une autre structure, le Syndicat auxiliaire des transports du Sénégal, SATS fut créé.
Le docker à l’épreuve des mutations
À l’heure actuelle, il y a moins de 500 dockers (professionnels et occasionnels) à la disposition des compagnies portuaires au Sénégal. Selon les représentants du SATS, environ 2 000 journaliers cherchent un emploi à proximité du port de Dakar. Ce bureau compte 53 dockers permanents et 80 occasionnels, embauchant 1 600 journaliers chaque mois.
Le SATS s’occupe de la manutention des marchandises du trafic international (terminal conteneur inclus), tandis que le BMOP s’occupe des compagnies sénégalaises. La création des deux bureaux a divisé les syndicats à Dakar. Alors que les dockers du SATS ont rallié l’International Dockers Council (IDC) en tant que partie intégrante d’un syndicalisme corporatif, c’est-à-dire globalisé, le BMOP fait toujours de la résistance au Sénégal.
Au cours du XXe siècle, le secteur portuaire au Sénégal a donc connu des mutations profondes. Il a su s’adapter aux dynamiques globales. À cet égard, les conditions et l’organisation du travail, les stratégies économiques familiales des ouvriers, l’adaptation au nouvel environnement institutionnel ou la contribution des dockers aux mouvements sociaux mériteraient des études spécifiques et approfondies.
Daniel Castillo Hidalgo est Maître de conférences, Universidad De Las Palmas de Gran Canaria. Cette contribution est un extrait adapté de l’article : Castillo Hidalgo D. & Wélé, M. (2018), « Les dockers dakarois. L’organisation du travail dans un port ouest-africain, 1910-1990s », Canadian Journal of African Studies, 52 (2), pp. 183-203.