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Cheikh Anta Diop : Le Voyage Du Caire…(1974)

Toutes les histoires ne se ressemblent pas, surtout celles qui ont été écrites sur l’Afrique et sur les Africains…

Les Africains écrivent de plus en plus sur eux-mêmes et sur l’Afrique, mais ils ont eu des prédécesseurs illustres…

Le Professeur Cheikh Anta Diop, «l’enfant de Caytu», né dans le Baol, au Sénégal, en 1923, était historien – un éminent historien – mais il a étudié également plusieurs autres sciences exactes et sociales, l’histoire est une science…

Il est l’auteur, entre autres, de l’œuvre remarquable Nations nègres et culture publiée en 1955 (l’année de ma naissance…) et il restera dans notre histoire et dans l’histoire en général l’homme qui a défendu la thèse de l’antériorité des civilisations nègres ; l’Afrique est incontestablement «le berceau de l’humanité…».

Nous laisserons le soin, comme d’habitude, aux spécialistes venant d’horizons divers de rappeler ce que l’historiographie africaine et l’histoire universelle doivent aux travaux du Professeur Cheikh Anta Diop.

Un «grand voyage» du Professeur Cheikh Anta Diop mérite, cependant, d’être raconté : le voyage du Caire en 1974…

Je n’étais pas à Dakar, encore moins au Caire, à l’époque où cette histoire s’écrivait ; j’étais étudiant à Lyon-Villeurbanne (France) ; c’était l’hiver et je me souviens toujours de mes amis de «là-bas», tous mes amis de «La Doua» et de la ligne de bus n° 26…

Grande fut mon émotion en écoutant, un jour à la radio, un Sénégalais connu et respecté, évoquer «le cri» du Président Léopold Sédar Senghor au moment où le voyage du Caire – le Colloque du Caire – se décidait et se préparait à Dakar, au Sénégal.

Permettez-moi de citer le Président Léopold Sédar Senghor de mémoire (ma mémoire auditive) : «Ne laissez pas partir Cheikh Anta Diop seul, que les meilleurs l’accompagnent au Caire…»

Ainsi parlait le «poète des bolongs du Sine», le président de la République du Sénégal ; il avait un grand respect pour le Professeur Cheikh Anta Diop malgré tous les sujets qui les opposaient, notamment au plan politique ; cette attitude remarquable et élégante doit être saluée, car elle honore l’homme et l’Africain qui avait pu, bien sûr, prendre déjà la mesure des enjeux liés à la tenue du Colloque du Caire en 1974.

J’ai «imaginé» ce voyage et «le raconter» devient un plaisir que je souhaiterais partager avec tous les lectrices et lecteurs de cette modeste contribution.

1970 : l’Unesco sollicite le Pr Cheikh Anta Diop et l’invite à devenir membre du Comité scientifique international pour la rédaction de «L’Histoire générale de l’Afrique».

Le Professeur Cheikh Anta Diop accepte, mais il pose quelques préalables et parmi ceux-là, l’organisation par l’Unesco d’un Colloque réunissant des chercheurs de réputation internationale.

28 janvier 1974 : le Colloque du Caire s’ouvre sur le thème «Le peuplement de l’Egypte ancienne et le déchiffrement de l’écriture méroîtique».

Vingt (20) spécialistes prennent part au Colloque au nombre desquels nous pouvons citer :

le Professeur Théophile Obenga de l’Université Marien-Ngouabi à Brazzaville ;

L. Habachi, Oriental institute, University of Chicago, Usa ;

R. Säve-Söderberg, Université d’Uppsala, Suède ;

G. Mokhtar, direction des Antiquités, Egypte

Le Professeur J. Devisse, Université Paris VIII.

Cinq (5) observateurs assistent au colloque et parmi eux nous pouvons citer Papa Amet Diop, journaliste du quotidien Le Soleil qui va couvrir l’événement historique.

L’Unesco a dépêché, au Caire, deux représentants.

Le Colloque du Caire commence le 28 janvier 1974 et se termine le 3 février 1974 : il a duré sept jours, mais ces sept jours aussi ont «ébranlé le monde»…

Les communications, lors du Colloque, furent de grande qualité : l’Afrique, réhabilitée, pouvait être fière de cet historien éminent et audacieux, servi dans ses recherches par une formation scientifique des plus solides et par un savoir encyclopédique.

La thèse relative à «l’Afrique berceau de l’humanité» est aujourd’hui largement répandue et acceptée : grâces soient rendues au Professeur Cheikh Anta Diop !

J’aurais aimé entendre de sa famille, de ses proches, de ses amis, mais surtout et avant tout de lui-même quelques mots décrivant l’atmosphère de ce voyage du Caire en 1974, la préparation du voyage, la liste des documents rassemblés, l’état psychologique dans lequel il se trouvait, car le Pr Cheikh Anta Diop savait qu’il partait pour défendre l’Afrique avec «ses armes miraculeuses», son savoir vaste et étendu et il savait qu’il ne perdrait pas cette bataille, une des plus belles, menées au cours de sa carrière.

«Il tenait aussi entre ses mains périssables le destin d’un continent…», pour paraphraser le ministre de la Culture du Général de Gaulle, l’écrivain talentueux et fécond André Malraux.

Les mots empruntés à l’écrivain André Malraux ont «cinquante ans», car ils furent prononcés le 1er avril 1966 à Dakar, à l’ouverture du Festival mondial des arts nègres, qui a également donné toute sa place aux thèses célèbres et solides du Professeur Cheikh Anta Diop.

Je suis membre, depuis novembre 2011, des Amitiés internationales André Malraux (Aiam) et je salue mon ami Pierre Coureux, président des Aiam.

Lorsque sonne l’heure de la bataille – la dernière – aucun compromis, aucune compromission n’est plus possible : «Oser lutter, oser vaincre…»

Le Professeur Cheikh Anta Diop, «l’enfant de Caytu», a lutté et vaincu lors du Colloque du Caire en 1974 : «Je pars, je démontre et je reviens…», aurait-il pu dire.

Heureuse et lumineuse coïncidence de l’histoire : le Professeur Cheikh Anta Diop, homme engagé politiquement, a créé, avec ses nombreux amis et camarades, le 3 février 1976, le Rassemblement national démocratique ; ce jour du 3 février, jour de clôture de la fin du Colloque du Caire en 1974 – la fin d’un long cycle – est un repère historique important pour le grand historien universel que fut le Professeur Cheikh Anta Diop.

C’est aussi curieusement le même jour – 3 février 2016 – qu’un ami poète, «la poésie rythmera toujours l’action…», m’a invité à écrire un texte sur le Professeur Cheikh Anta Diop, exercice redoutable s’il en est…

J’ai accepté en lui précisant que je n’étais pas historien, mais que raconter le «voyage du Caire» du Professeur Cheikh Anta Diop m’enchanterait beaucoup ; j’ai donc pris la plume – électronique – le 5 février 2016, au lendemain d’une date indélébile pour moi et ma famille élargie, le 4 février…

7 mars 1986 : le Sénégal bat l’Egypte, pays organisateur de la Coupe d’Afrique, par 1 but à zéro ; le Professeur Cheikh Anta Diop décédé un mois plus tôt, le 7 février 1986, n’a pas eu le temps de suivre cette rencontre mémorable qui lui aurait rappelé l’autre grande bataille intellectuelle, le Colloque du Caire en 1974, son Colloque, car l’homme véritable du Caire c’est bien lui et le souvenir du Caire sera irremplaçable.

J’étais au lycée (1973), avec son fils Jomo Diop, c’était il y a longtemps : je le salue au nom de tous ses amis.

J’étais parmi les femmes et les hommes rassemblés devant le domicile du savant, le Professeur Cheikh Anta Diop, le 7 février 1986, à Fann Résidence, quelques heures après l’annonce de sa disparition ; que la terre de Caytu où il repose lui soit légère !

Je ne sais qui a accueilli le Professeur Cheikh Anta Diop à son retour du Caire en 1974 (à quelle date est-il rentré ?) lui et toute la délégation qui l’accompagnait ; ce grand moment devrait pouvoir être raconté un autre jour ou une autre nuit au Sénégal ou au Caire… (peut-être à Bombay).

Combien j’aurais aimé être présent à l’accueil de ce «savant monumental», car il est des heures où le destin de l’Afrique, de ses filles et de ses fils «se joue et se détermine…»

Je ferai, pour ma part, dimanche 7 février 2016, Inch’Allah, le «voyage de Caytu…»

7 février 1986/7 février 2016 : un homme, une thèse, un continent, la terre entière…

A chacun son voyage : Caytu ressemble peut-être – phonétiquement- à Tombouctou…

«Le Sphinx est toujours près des Pyramides», disait l’artiste et premier directeur du Musée du Louvre sous le Général Bona­parte, Dominique Vivant Denon.

Toutes les histoires ne se ressemblent pas, surtout celles qui seront écrites par les Africains sur l’histoire des autres Peuples et des autres continents, même les continents disparus comme la Lémurie…

Jean Michel SECK

BP 231

Dakar

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