Monsieur le Président,
Par lettre n°11/ACT/SP/PDT du 19 octobre 2016, j’ai attiré votre attention sur de graves anomalies de procédure ayant conduit à attribuer des permis miniers de recherche et d’exploitation d’hydrocarbures à un groupe de sociétés contrôlées par le dénommé Frank Timis en violation de la loi et de la réglementation sénégalaises.
Premier ministre à l’époque des faits, ayant apposé mon contreseing sur les décrets qui achevaient la procédure d’attribution des titres miniers concernés, après vous avoir exposé les résultats de recherches personnelles, j’écrivais notamment dans ledit courrier :
« Nous vous recommandons donc, Monsieur le Président de la République, en votre qualité de Gardien de notre Constitution et des intérêts supérieurs de notre Nation, d’engager sans délais toutes les enquêtes requises pour éclairer le peuple, sauvegarder ses intérêts, assurer la récupération au moins des 30% des droits sur les permis détenus par Timis Corporation. Également, au nom de la bonne gouvernance et de la gestion sobre et vertueuse, sanctionner avec la plus grande sévérité, si la faute est avérée, ceux qui ont mis en place tout ce système qui aboutit à la spoliation du peuple sénégalais. »
Je n’ai jamais reçu réponse de votre part ; je n’ai non plus eu connaissance de la moindre mesure conservatrice que vous auriez pu faire prendre. Certaines mesures auraient pourtant assurément permis de sauvegarder quelques intérêts du peuple du Sénégal puisque les sociétés de Frank Timis bénéficiaires des permis dans la plus totale illégalité n’avaient pas encore reçu l’intégralité de la cession programmée de leurs droits attribués par l’État du Sénégal.
Je suis par contre resté attentif à tous vos propos et décisions sur cette grave affaire, notant depuis le documentaire de la BBC y consacré (début juin 2019) une logorrhée particulière qui n’épargne plus aucun de vos alliés et collaborateurs. Vous avez également daigné sortir de votre trop long silence, et vos quelques propos permettent de noter la stigmatisation « d’ennemis de la Nation » et « d’hypocrites » (par usage d’un terme ouolof qui renvoie aux mécréants dans un contexte de jour de korité et à l’intérieur d’une mosquée). Nous avons enfin relevé votre volonté affirmée de faire la lumière sur cette grave et douloureuse affaire en visant de nouveau « ceux qui s’agitent ».
Par contre, de tous vos propos je n’ai toujours rien perçu qui irait dans le sens de la sauvegarde des intérêts de notre peuple. Les boucs émissaires seront identifiés, des têtes tomberont assurément, vos proches ne seront pas épargnés : cela est le miroir de votre grand courage puisque des photos opportunément rafraichies vous montrent déjà en treillis de combat. Vos troupes ont déjà trouvé les plus belles insultes et autres menaces qu’elles font fuser dans tous les sens, privilégiant pour cibles les lanceurs d’alerte. Mais aucun de vos mots n’a encore abordé l’essentiel qui permettrait de sauvegarder ce qui peut encore l’être des intérêts du peuple sénégalais, seule cause au service de laquelle nous nous sommes mis. Pourtant, il vous suffirait en ces heures graves de répondre à une seule question. Elle est la suivante :
Monsieur le président, ingénieur spécialisé dans les questions pétrolières et ancien directeur général de la Société des Pétroles du Sénégal (Petrosen), au regard des éléments aujourd’hui connus sur les sociétés Petrotim Limited, PetroAsia Resources Limited et Timis corporation Limited du groupe Frank Timis, l’attribution de permis miniers dans le domaine des hydrocarbures à ce groupe de sociétés a-t-elle oui ou non violé la loi et la réglementation sénégalaises ?
Votre réponse audible à cette question simple permettra d’engager immédiatement des mesures fortes de protection et de réparation des torts subis par la Nation sénégalaise et le retour d’une partie de ses ressources spoliées. Soyez assurés que nous ne refuserons pas de mettre à votre disposition les moyens qui permettront la victoire du Sénégal sur ce front d’intérêt national.
Cela devrait vous être d’autant plus facile que votre réponse en quelques mots ne gênera en rien votre détermination à débusquer par les enquêtes déjà engagées les « ennemis du peuple » que vous tenez à poursuivre, avec l’espoir que votre justice ne les trouvera pas uniquement du côté des lanceurs d’alerte.
De grâce, monsieur le président, répondez à cette question au nom des intérêts de la Nation sénégalaise, au nom de votre serment aussi.
Veuillez agréer, monsieur le président, l’expression de ma respectueuse considération.
Abdoul Mbaye est ancien Premier ministre