Des quatre pouvoirs, la Justice et la presse (si tant est que celle-ci puisse être considérée comme un pouvoir) sont les plus régulièrement décriés au Sénégal ces dernières années. Sans doute parce qu’elles sont rattachées à deux valeurs essentielles dans une société : la justice et la vérité (à travers l’information véhiculée par les médias). Il est ainsi fréquent d’entendre des citoyens de tous bords plaider pour une justice et une presse « libres et indépendantes ».
Or, il convient de relever que l’institution qui porte le nom prestigieux de Justice répond mal à son nom, quel que soit le pays considéré. En effet, comme le souligne un éminent penseur africain, le rôle des tribunaux et des juges qui y officient n’est pas de décider de ce qui est juste ou injuste, mais de ce que la loi décide dans les litiges qui leur sont soumis. Mais ce qui est légal n’est pas, de ce fait, juste. C’est pourquoi, il serait plus approprié de rebaptiser ce que nous appelons actuellement « ministère de la Juste » « ministère de la Loi » ou « ministère de la Loi et du Règlement ».
Selon Platon, la justice est une vertu, peut-être la plus haute des vertus qui se confond avec la sagesse. Tout le monde conviendrait que tout ce qui est légal ne saurait être, par là-même, juste, sage et bon. L’idéal serait donc non d’avoir un Etat de droit, comme le réclament tous ceux qui luttent pour la démocratie, mais un Etat juste. Le même raisonnement s’applique pour la presse. L’idéal, ce n’est pas d’avoir une presse « libre et indépendante », mais une presse « véridique ». Autrement dit, c’est ce qu’elle fait de son indépendance et de sa liberté qui comptent.
L’autre méprise, à notre sens, c’est de croire que les institutions peuvent être vertueuses en elles-mêmes. Ce n’est pas une justice indépendante qui produit des juges indépendants, mais des juges indépendants, une justice indépendante. Idem pour la presse, ce n’est pas une presse libre et indépendante qui produit des journalistes libres et indépendants, mais le contraire. Tout comme ce n’est pas un Etat juste qui fait des dirigeants justes, mais ce sont des dirigeants justes qui font un Etat juste. Partant de ce raisonnement, Obama avait donc tort de dire que l’Afrique n’a pas besoin « d’hommes forts mais d’institutions fortes ». Les institutions ne sont que ce qu’en font les hommes (humains). S’ils sont… forts de la justice on aura des institutions vertueuses. Et vice versa.
En définitive, il n’existe pas de média indépendant (tout organe est inféodé à un groupe d’intérêts), mais des journalistes libres et honnêtes avec les faits… Un juge qui, dans son intime conviction, applique les lois de son pays, sans parti pris, est « indépendant ». Mais a-t-il pour autant rendu la justice. En revanche, comme l’écrit notre éminent penseur, « lorsque des juges délibèrent sous la pression, quelle qu’elle soit, ils ne sont plus au service de la justice, mais de la vengeance. Ce n’est plus la loi qui les guide, mais la passion, si bien qu’ils écoutent non plus leur conscience, mais leur cœur ». Un journaliste qui prend aussi des libertés avec les faits, pour préserver quelque intérêt que ce soit, n’est plus au service de la vérité et aurait trahit le public, l’unique garant de sa légitimité. En revanche, s’il accepte de balayer quotidiennement devant sa conscience et ne transige jamais avec la sacralité des faits, il est « libre et indépendant », fut-t-il employé dans un média « contrôlé » par quelques intérêts particuliers.
Faire ce constat ne signifie nullement perdre de vue quelques limitent objectives pour l’honnête journaliste ou l’honnête juge. Par exemple, une ligne éditoriale trop restrictive, des lois iniques, destinées à transformer le juge en simple exécutant d’une injustice planifiée… Cette question débouche sur une autre plus vaste : le degré de maturité d’une démocratie et les rapports de force en son sein.