Me voici à Abidjan en provenance de Douala. Un plaisir renouvelé d’être ici, la « capitale » de l’Afrique francophone, où je me sens chez moi. Comme souvent, j’ai sur moi quelques francs CFA d’Afrique centrale et je suis dirigé au bureau de change de l’aéroport Félix-Houphouët-Boigny. Je voudrais un peu de cash en CFA d’Afrique de l’Ouest. À ma grande surprise, le taux de change appliqué est de 20 % ! Inimaginable ! Trouvant ce taux excessif, je décide d’aller faire le change en ville. Eh bien ! En ville, aucun bureau de change, aucune banque, aucun cambiste « informel » n’accepte de prendre les CFA d’Afrique centrale. « Si nous les prenons, personne ne les rachètera, ça ne sort pas ! » m’entends-je dire partout, alors que je manifeste mon étonnement. Le chauffeur de mon taxi me conseille alors d’essayer à Treichville, le quartier populaire d’Abidjan où on trouve tout.
Las ! Le seul agent de change « informel » qui accepte de prendre mes CFA d’Afrique centrale a prévenu le taximan : « C’est compliqué : je peux changer… mais à 30 %. » Les bras m’en tombent. Je dois rendre les armes. Et je décide de retourner, désespéré, à l’aéroport pour changer à 20 %.
Conclusion provisoire de cette péripétie : le franc CFA (du moins celui d’Afrique centrale) est devenu une monnaie de singe. En réalité, il est désormais dévalué au sens propre comme au sens figuré. Un euro s’échange aujourd’hui à plus de 740 francs CFA, au lieu de 656, le taux normal. Celui d’Afrique de l’Ouest résiste encore : mais pour combien de temps ?
Si à un niveau individuel cette monnaie est devenue un problème, pour les entreprises et les banques elle est tout simplement devenue un obstacle objectif pour la conduite des affaires. Des différents points qui obscurcissent le climat des affaires dans notre environnement économique, la monnaie figure désormais parmi les plus importants.
La liste est longue des handicaps qui se dressent sur le chemin des acteurs économiques en Afrique centrale : pénurie de devises, hausse importante des taux de change, sanctions dures contre les banques qui enfreignent la réglementation sévère des changes, menace de dévaluation. Les transferts d’argent par les opérateurs tels que Western Union, MoneyGram ou WorldRemit sont devenus incertains. Les virements bancaires vers ou en provenance de l’étranger prennent des semaines, voire des mois, pour être positionnés.
Le système CFA est non seulement en train d’asphyxier les économies de la zone, mais il impose de nouvelles contraintes. Pour un expert avec qui j’ai discuté de la question, il s’agit d’une véritable sanction contre les dirigeants et la nomenklatura d’Afrique centrale qui se sont enrichis en fonctionnant depuis des décennies en marge des règles et ont pris en otage les économies de leurs pays.
C’est paradoxalement la France qui est, avec la BEAC – Banque des États de l’Afrique centrale –, à la manœuvre pour imposer de nouvelles règles. Cellesci sont résumées dans un projet d’amendement aux statuts de la zone franc CEMAC « afin d’apporter de meilleurs mécanismes d’intervention en cas de détérioration des positions extérieures ». En clair, pour faire face au problème de la rareté des réserves en devises de la zone ou, pour être plus précis, le niveau de réserves nécessaires pour assurer la parité franc CFA/euro. Sans entrer dans les détails techniques, selon cette réforme, le taux de couverture de l’émission monétaire, c’est-à-dire le rapport entre les avoirs extérieurs de la BEAC et ses engagements, devra être de cinq mois : pour cela, chaque pays devra céder à la Banque centrale commune le produit de ses exportations à hauteur d’une couverture de cinq mois. Les pays de la zone pourront-ils se soumettre à cette discipline alors que la France a, dans les faits, renoncé à assurer sa garantie monétaire ? La CEDEAO, pendant ce temps, avance à grands pas dans son projet de monnaie unique.