Il y a cinq mois Macky Sall sortait victorieux d’une élection présidentielle très disputée. A l’arrivée, point de contentieux postélectoraux. En revanche un des candidats, Ousmane Sonko en l’occurrence, de surcroît le benjamin, s’illustrait de fort belle manière avec un score plus qu’honorable qui le propulsait au devant de la scène comme la révélation politique du scrutin.
Assez vite, il tira les enseignements, renonçant à tout recours auprès du juge constitutionnel et décidant de reprendre son bâton de pèlerin à la rencontre des Sénégalais. On avait compris : il prépare la prochaine présidentielle et celle-là n’était pour lui qu’une fenêtre de visibilité devant lui servir de rampe d’ascension. Sonko a donc pour lui le temps pourvu simplement qu’il n’empile pas maladresses, empressements et ambiguïtés.
La même ingéniosité politique, le même principe d’anticipation animent le président élu qui, en supprimant le poste de Premier ministre, entend monter au créneau pour sentir le pouls du pays profond et vivre en temps réel les transformations qu’il a impulsées. Sans poids lourds dans l’attelage gouvernemental, il va au charbon. De ce fait, il est « l’ennemi préféré » de l’ancien inspecteur des impôts déterminé à empoisonner son second mandat en creusant son sillon sans compromission tout en déréglant le pendule de la gouvernance vertueuse. L’un est dans la déconstruction, l’autre dans l’édification.
Si cela requiert chez les deux un effort à consentir, l’intensité les différencie d’autant qu’ils n’ont pas le même rapport au temps. L’élection terminée, tous les candidats défaits, à l’exception de Sonko, s’emmurent dans « un silence de décence » n’entendant déroger à cette règle non écrite que lorsque le contexte et la conjoncture politique le dictent ou le justifient. S’agit-t-il d’un pacte républicain ? A tout le moins l’esprit qui l’inspire flotte dans l’air. C’est aussi la trace d’une démocratie qui se consolide au fil des ans.
Or, une telle trajectoire jure d’avec l’impatience et la tension permanente entretenue par certains dans le but de maintenir la pression quitte, par moments, à accentuer la poussée de fièvre. Une crise existentielle affleure, touchant deux leaders. L’un Abdoul MBaye, ancien Premier ministre dont la candidature à la présidentielle a été rejetée pour insuffisance de parrainages, voit dans la conjoncture politique actuelle une occasion de rebondir. Il ne s’en prive pas du reste. Au contraire, il fait feu de tout bois. Il jongle et s’époumone en perturbateur du jeu. N’ayant aucun mandat électif, l’ex-banquier Abdoul Mbaye, sabre au clair, se cherche dans les méandres du sable mouvant avec l’espoir d’une improbable redistribution des cartes. Il bouge dans tous les sens : vite et fort.
L’autre, le centralien Mamadou Lamine Diallo, député, pourfend comme il peut le régime de Macky Sall, dénonçant urbi et orbi ses « excès de pouvoir » et les « viols à répétition » de la loi. Lui aussi espère remonter dans l’opinion à mesure qu’il fréquente les plateaux audiovisuels. Objecteur hors pair, il affiche une farouche et inflexible opposition à Macky Sall qui ne trouve guère grâce à ses yeux quand bien même ils ont eu à cheminer ensemble dans le fameux Mouvement du 23 juin 2012 baptisé alors « M 23 ».
Ainsi, l’ancien Premier ministre et l’ancien Conseiller de deux Premiers ministres sous le régime du Président Abdou Diouf sont sur des itinéraires qui ont toutes les chances de se croiser un jour pour faire chorus. Leur convergence d’opinion dans la réprobation de la gouvernance du régime actuel les rapproche plus que de raison en même temps qu’elle suscite un bâillement d’indifférence des observateurs attentifs de l’échiquier politique.
Pour avoir été au cœur de l’exécutif, ils savent pertinemment que l’exercice du pourvoir diffère de la conquête du pouvoir. Leur passion soudaine déclenchée par la perspective d’exploitation des richesses virtuelles du pays démultiplie leur hostilité à l’égard de la Présidence Macky Sall et ce d’autant qu’ils ont le sentiment d’être écoutés des Sénégalais. A eux deux de faire montre d’une franche habileté pour recréer des liens forts et attachants avec leur compatriotes excédés des petites lâchetés du monde politique et désenchantés par la mobilité (transhumance) des personnels dirigeants des divers partis politiques.
Devant l’immobilisme et l’absence d’alternative crédible au sein de l’opposition, ou les citoyens s’abstiennent d’agir ou ils se projettent dans des aventures suscitées par un discours plus ou moins radical ou populiste. Dans les deux cas, la démocratie en souffrirait. Il y a certes des manœuvres d’appareil tout comme une sincérité ou une conviction qui se lisent à travers les initiatives déployées.
Pour preuve, l’examen suivi du vote ce weekend de la LFR (Loi de Finance Rectificative) a donné un avant goût de la recomposition de l’échiquier politique en cours. Des lignes de fractures apparaissent. Face aux casse-tête des économies, le budget devrait refléter la sincérité de la situation comme y invite le président du Groupe parlementaire BBY, Aymérou Gningue. Mieux, le ministre des Finances Abdoulaye Daouda Diallo, avait saisi ses collègues par courrier pour élaborer la loi de finances avec en toile de fonds la réduction des dépenses sauf celles incompressibles : le social, la santé, la sécurité et l’armée entre autres. Sans toutefois laisser filer le déficit. L’exercice de partage de la contrainte s’est traduit par des coupes dans les dépenses des divers ministères, pour alimenter ceux de création récente consécutive au dernier remaniement.
L’épreuve de vérité a lieu sur les contrats pétroliers et gaziers. D’où les vociférations qui polluent l’espace sociopolitique. Jadis la politique s’apparentait à un engagement. L’intérêt collectif primait. Au gré des soubresauts, la société sénégalaise, craquelée voire éclatée, devient plus individualiste et à intérêt immédiat. Abdoul MBaye le sait. Saura-t-il le traduire en actes politiques majeurs ? Patience…