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Le Sénégal, Malade D’une Certaine Manière De Faire De La Politique !

Le Sénégal, Malade D’une Certaine Manière De Faire De La Politique !

L’élection présidentielle sénégalaise de 1988 a eu lieu un certain 28 février, le même jour que les élections législatives. Elle a été remportée par le Président sortant, M. Abdou Diouf du Parti socialiste, avec un peu plus de 73% des voix. Il est suivi de Me Abdoulaye Wade du Pds (25,80%), Me Babacar Mbaye Niang du Plp (0,73%) et en dernière position Landing Savané d’Aj/Mrdn (0,25%). Le taux de participation était de 58,8%, soit un peu supérieur à celui des élections législatives du même jour (57,9%). L’annonce des résultats avait déclenché des violences, car l’opposition soupçonnait des fraudes massives. Plusieurs leaders, dont Me Abdoulaye Wade, sont arrêtés et incarcérés. L’état d’urgence décrété ; l’Armée, la gendarmerie et la police occupaient nuit et jour les rues de Dakar où régnait un couvre-feu de 21h à 6h du matin. C’est dans ce climat tendu, aggravé par les douloureux évènements entre le Sénégal et la Mauritanie, que la classe politique a fini par comprendre que le pays courait droit vers le risque d’embrasement du front socio-politique. Le Président Abdou Diouf appelle l’opposition au dialogue, avec un grand «D». L’opposition accepta la main tendue de Diouf qui a procédé à la mise en place d’une commission cellulaire, dirigée par le magistrat émérite M. Kéba Mbaye (père de Abdoul Mbaye- Act), président du Conseil constitutionnel d’alors. Pour mieux apaiser le climat politique, le Président Diouf s’engagea à ne changer aucune virgule des conclusions et recommandations de la commission cellulaire. Le 20 novembre 1991, le Sénégal se dote d’un nouveau Ccode électoral, résultant des travaux de ladite commission cellulaire. C’est le fameux «Code consensuel», tant galvaudé de nos jours.

Il s’en était suivi l’élargissement du gouvernement à une partie de l’opposition : Le Pds obtient quatre portefeuilles ministériels, dont celui de ministre d’Etat, occupé par son secrétaire général national Me Abdoulaye Wade. Le Pit de Amath Dansokho s’était contenté d’un seul portefeuille ministériel (ministère de l’Urbanisme), occupé par Amath Dansokho himself. Les élections qui ont suivi l’adoption et la promulgation de ce code, notamment la Présidentielle de 1993 (21 février) et les Législatives (9 mai 1993), ont fait l’objet de vives contestations.

Mme Andrésia Vaz, présidente de la Cour d’appel de Dakar, n’a pas voulu ou pu publier les résultats provisoires d’une élection plus que jamais contestée. Se débinant de ce que chacun considérait comme l’une des missions essentielles de sa juridiction, Mme Vaz a préféré filer la patate chaude à M. Kéba Mbaye, président du Conseil constitutionnel, qui finit par rendre sa démission-surprise le 3 mars 1993 à la tête du Conseil constitutionnel.

Le 15 mai de la même année, Me Babacar Sèye, vice-président du Conseil constitutionnel, que l’on disait prêt à publier les résultats des Législatives du 9 mai 1993, est abattu par balles en plein jour. L’assassinat est sans doute politique, même si la machine judiciaire a hésité à en désigner – publiquement – les commanditaires. Le pays venait de frôler le second blocage institutionnel de son histoire, après la rocambolesque mise en scène du faux coup d’Etat de 1962-63. Ironie du sort, la classe politique de 1993 avait déjà concocté un Code électoral, dit «consensuel».

Pour mieux comprendre l‘ambivalence des hommes politiques, je vous invite à partager avec moi cet extrait d’un entretien accordé au journal Sud au Quotidien dans son édition n° 21 du 3 mars 1993 par M. Kéba Mbaye qui évoquait le contexte et les motifs de sa démission de la présidence du Conseil constitutionnel :

«Sud au quotidien :

-Qu’est-ce que vous considérez comme échec dans votre mission au point d’en tirer la conséquence qui est la démission présentée ce matin (hier matin, 2 mars 1993) au chef de l’Etat (Abdou Diouf) ?

Kéba Mbaye : Compte tenu du rôle que j’ai joué dans l’élaboration du Code électoral en tant que président de la commission cellulaire de réforme, de tout ce que j’en attendais et de ce que je vois actuellement, je considère que je suis arrivé à un échec. Il faut appeler un chat un chat. Je devais donc en tirer les conséquences et surtout profiter de l’occasion de cette ultime chance pour sortir de cette situation qui est produite par la décision du Conseil constitutionnel.

-Etes-vous parti à cause des pressions à la fois politiques et populaires ?

La seule chose déterminante dans ma décision, c’est le fait que je me suis aperçu que j’étais dans l’erreur. Je m’étais trompé. Mais depuis qu’on a adopté ce Code, je me suis dit que le Sénégal a passé le barre, mais je me rends compte qu’il se trouve maintenant de l’autre côté.

-Vous semblez vous reprocher beaucoup de choses. Vous n’avez de cesse de répéter : je me suis trompé, je n’avais pas compris, j’étais dans un nuage. Pourquoi cette sorte de d’auto culpabilisation ?

Je suis quand même un juriste de carrière. J’ai un certain âge. J’ai présidé la commission de réforme du Code électoral. C’est un hasard, c’est parce que je suis juriste … Si je sais que le travail que j’ai effectué me semble être à des endroits un échec, je ne pense pas en tenir compte dans ma façon d’analyser les choses.

-Si vous étiez en face des hommes politiques, qu’est-ce que vous leur auriez dit ou suggéré de faire au­jourd’hui ?

Je leur aurai dit, asseyez-vous ensemble et discutez largement et successivement des problèmes de notre pays ! Sortez-nous les solutions de nos maux ! Qu’ils se concertent et qu’ils discutent ensemble dans la fraternité et la sincérité ! Ça c’est mon rêve. Certainement moi je suis un utopiste.»

Comme on le voit, nos textes de loi ne sont pas certes parfaits, mais ils seraient au moins acceptables si on avait des hommes politiques un peu plus responsables et un peu moins politiciens.

La politisation à outrance du dossier sur le pétrole et le gaz révèle une démarche politicienne et machiavélique qui ramène l’enjeu du pouvoir politique au centre des préoccupations de ces hommes qui, au nom de la défense des intérêts du Peuple, s’occupent plutôt de l’exécution de leurs propres agendas politiques.

Mamadou Bamba NDIAYE

Ancien ministre chargé des Affaires religieuses

ndiabamba1949@gmail.com

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