Le 18 juin 2019, les populations de Dougar Sérère ont vécu le jour le plus sombre de leur histoire millénaire. Elles ont été réveillées par les vrombissements d’engins lourds de terrassement et les bruits de botte de dizaines de gendarmes armés jusqu’aux dents, préposés à la protection des agents de la Société Peacock investments qui ont jeté leur dévolu sur les réserves foncières et les champs de ce village paisible. Peacock et ses sbires ont accompli leur sale besogne avec un zèle particulier. Rien n’a été épargné : des maisons ont été réduites en gravats, des champs en préparation pour les semailles détruits, des bornes de délimitation de parcelles et des haies arrachées.
Pour comprendre le génocide économique en cours perpétré par Peacock, il faut remonter au 23 juin 2010. C’est ce même jour que le ministère des Finances du Sénégal a produit un rapport proposant le retrait des terrains aménagés attribués au projet malaisien dans le cadre du programme gouvernemental «Une famille un toit» et leur attribution à la Société Peacock investments (voir 00 5908 Mef/Dgid/Dedt). Le même document propose la cession de 80ha de terrain à Peacock investments, mais sans préciser la location.
Le 13 août 2010, un décret signé par le Président Abdoulaye Wade et le Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye, en son article premier, décide d’immatriculer au nom de l’Etat du Sénégal «une parcelle de terrain du domaine national sise à Diamniadio, d’une superficie de 80 hectares» en vue de son attribution par voie de bail. Encore une fois, sans préciser la location de ladite parcelle. Mais étant donné les stipulations du rapport de présentation cité plus haut, il ne fait aucun doute que cette parcelle doit se situer sur le domaine aménagé pour le projet malaisien.
Cette opinion est justifiée par l’article 3 dudit décret qui dispose qu’«aucune indemnité n’est due du fait de cette opération, l’occupant étant le bénéficiaire de la régulation». Il est évident que l’occupant des terres de Dougar sont les habitants dudit village qui exploitent ces terrains depuis des temps immémoriaux et n’ont aucun bénéfice à tirer des opérations d’une compagnie privée, mue uniquement par l’appât du gain facile. De surcroît, ni le Conseil rural ni le Conseil municipal n’ont été consultés, et par conséquent, n’ont jamais délibéré sur la question de la cession des terres de Dougar à l’Etat et, a fortiori, une organisation privée.
Une lecture, même superficielle, des documents brandis par Peacock pour justifier l’accaparement des terres de Dougar révèle des paradoxes, des contradictions et des bizarreries qui ne laissent aucun doute sur les intentions malveillantes de cette société et de ses complices.
Premièrement, le rapport de présentation du ministre des Finances affirme, sans équivoque, que les terrains attribués à Peacock investments se situent dans la zone aménagée qui était destinée au projet malaisien. Comment se fait-il alors que Peacock revendique les terres de Dougar, non aménagés et se trouvant à au moins deux kilomètres du site dudit projet ?
Deuxièmement, comment peut-on comprendre, comme mentionné dans le paragraphe no 5 du rapport du ministre des Finances cité plus haut que «l’enquête de commodo et incommodo …n’a enregistré aucune observation de la part du public…» ? Comment peut-on croire que les populations auraient consenti à la confiscation des terres qui constituent, pour la plupart d’entre eux, leur unique source de revenus, sans protester et sans demander un dédommagement ? En tout cas, pas une seule personne à Dougar ne se rappelle avoir parlé aux agents de la direction de l’Enregistrement des domaines et du timbre qui auraient mené l’enquête.
Troisièmement, pour qui connaît les lourdeurs de la bureaucratie sénégalaise, la complexité et le caractère éminemment sensible des questions foncières, comment peut-on comprendre que toute la procédure qui aurait abouti à l’aliénation des 80ha de terre de Dougar, affectant des milliers de Sénégalais, n’ait duré que 51 jours (23 juin au 13 août 2010) ? Pourquoi la précipitation ? Surtout que Peacock ne s’est rabattue sur Dougar que 9 ans plus tard, lorsque la finition de l’autoroute de Mbour et l’inauguration de l’Aéroport international Blaise Diagne ont rendu la zone lucrative pour les spéculateurs fonciers.
Quatrièmement, comment se fait-il que l’Etat puisse décider d’affecter des terres du domaine national à un opérateur privé sans en indiquer l’exacte location et sans consulter les populations concernées ?
Cinquièmement, Peacock parle parfois d’un bail qui lui aurait été accordé sur les terres de Dougar, parfois d’un titre foncier. Les populations attendent toujours qu’elle présente ces documents.
Considérant les menaces qui pèsent sur le futur des populations, on peut dire qu’il fait Timis sur Dougar, au sens figuré comme au sens propre. L’accaparement des terrains de culture et des aires d’extension du village plonge les 10 mille âmes vivant à Dougar dans une nuit noire de pauvreté et de désespoir sans fin. D’autre part, les sommes d’argent en jeu dans cette opération concoctée par ce qui apparaît comme une mafia politico-affairiste, bénéficiant de protection au plus haut sommet de l’Etat, s’inscrit dans le prolongement d’autres opérations du même genre (Bambilor, vallée du Fleuve Sénégal, les Niayes, Tassette, Mbour 4 etc.) L’affaire Frank Timis et Petro Tim n’en est qu’une dimension. Si Peacock et ses protecteurs réussissent leur coup, ils pourraient empocher sans bourse délier des milliards sur le dos de pauvres paysans abandonnés par un Etat qui, en se mettant au service de gangsters économiques sans foi ni loi, trahirait sa vraie raison d’être, c’est-à-dire veiller sur les intérêts du Peuple. Et qu’on ne nous parle surtout pas de continuité de l’Etat, car il n’y a pas point de continuité légitime dans l’illégalité et l’arbitraire comme c’est le cas ici. La continuité ne doit être évoquée que lorsque les actes posés par le gouvernement précédent sont conformes à loi et à l’éthique de bonne gouvernance. Les populations ont appris que Peacock aurait commencé à vendre sur le site de Dougar des parcelles de 150 m2 à 6 million de F Cfa pièce. Pour évaluer la somme qu’elle pourrait amasser, il est facile de faire l’opération arithmétique : 6.000.000 Cfa x 5,333.
Cheikh BABOU
Professeur d’histoire
baboucheikh@yahoo.com