Amadou Lamine Sall
Poète
Lauréat des Grands Prix de l’Académie française
Notre pays n’a pas mal. Il se construit.
L’avenir nous prépare encore de surprenantes mutations politiques et sociales. Pour l’heure, la justice est notre seul refuge. Le seul endroit où il nous est donné d’espérer et de croire qu’enfin, nous naissons tous égaux. Si elle a mal, nous avons mal. Voilà pourquoi elle doit se hisser d’elle-même !
Notre pays se construit ! Rappelons-nous la confession d’un brillant fils d’une très vielle nation, Dominique de Villepin : « La France a déjà échappé plusieurs fois au naufrage : la guerre de Cent-Ans, les guerres de Religion, la Fronde, la Révolution française, la Commune, les deux conflits mondiaux, la décolonisation […] De la Fronde à mai 68 en passant par les chocs révolutionnaires, le passé de la France témoigne d’une propension naturelle à la guerre civile et à la division. Un siècle a été nécessaire pour passer de la Révolution à la Révolution, un autre pour trouver un équilibre satisfaisant entre la démocratie parlementaire et la primauté de l’exécutif ».
Le Sénégal ne fait que naître, mais il grandira très vite !
Nous devons commencer par vaincre « notre paresse, nos doutes, nos hésitations, notre incompétence ». C’est d’une nouvelle culture qu’il s’agit ! Mais nous savons tous que la quête de cette nouvelle culture est ardue car il nous faut tuer à la hache les nouveaux fondements meurtriers de nos pratiques et mœurs. Ce qui est effrayant, c’est que ces fondements sont portés à la fois par une jeunesse hâtive et des adultes irresponsables. Une décadence partagée et pire : souvent même assumée dans une inconscience désarmante !
Il est vrai que le Sénégal ne sourit plus, mais nous, nous tenons à penser et à croire à ce que le Saint Père François recommandait sur notre nos sociétés d’aujourd’hui : « Savoir se taire, éviter les bavardages ; quand on parle des autres, on est tenté d’en dire du mal, ce qui signifie souvent les détruire ». Les Sénégalais seraient-il devenus oppressifs et tragiques ?
Nous devons refonder le lit de nos vertus, de nos valeurs, de nos mœurs, de nos pratiques, de notre foi, de nos relations mitoyennes, de nos respects réciproques. Il est vrai que les hommes politiques ne nous y aident pas toujours. Évoquons pourtant ici, un peu surpris, les mots non moins véridiques du si célèbre artiste compositeur et chanteur Irlandais Bono : « Nous pouvons être utiles mais notre action n’atteint pas en rien l’impact de celle des élus, envers lesquels on est souvent injustes. On les insulte. Mais la plupart travaillent énormément. On oublie que la démocratie n’est qu’une étincelle dans l’histoire de la civilisation. Il y a un risque à être trop cynique et à dénigrer le processus démocratique. La paix est intervenue en Irlande parce que des gens ont accepté le compromis. Tout le monde a gagné parce que personne n’a gagné ».
Certes, mais nous sommes chez les « Grands Blancs », comme disait Senghor, et les territoires de l’esprit ne sont pas toujours forcément les mêmes qu’en Afrique ! Les hommes politiques africains orgueilleux et « moitrinaires » n’ont pas toujours été prêts au compromis ! Pourtant, il nous le faut ! Nous sommes tous responsables de l’Afrique ! Si celle-ci ne regarde pas les défis futurs, elle pourrait périr. Comme l’Europe le veut pour l’Europe, elle a besoin elle aussi de sa propre identité, mais ouverte sur le monde ! Elle doit gagner sa vie par elle même et ses ressources naturelles le lui permettent, mais elle doit aussi rester en vie, c’est à dire taire ses divisions, ses conflits, castrer ses prédateurs, rendre heureux ses peuples, recréer l’espoir, réinventer un nouveau chant pour la terre.
Nous ne sommes pas, au regard de l’identité et de la puissance de nos cultures africaines, de ceux qui croient que la jeunesse africaine seule est porteuse de l’avenir du continent. Un proverbe de chez nous y répond : « Les jeunes vont vite, très vite même. Mais ce sont les anciens qui connaissent le chemin ». Toute vieillesse, toute connaissance, ont « valeur de diplôme » ! Disons simplement que nous devons faire le chemin ensemble, même s’il est désormais reconnu, au regard de nos dévastatrices mutations sociales, qu’un vieillard qui meurt n’est plus une bibliothèque qui brûle !
Commençons par tuer les germes d’une morale fondée sur la quête prédatrice et gluante de l’argent; fondée sur la désertion de l’école et la sécheresse des connaissances; fondée sur l’effondrement de la pensée et l’humiliation de l’esprit; fondée sur le bannissement de toute quête éthique; fondée sur l’éloge du mensonge, la honte rendue licite, l’impasse de nouveaux horizons politiques et démocratiques, l’irrationalité de systèmes modernes de gouvernance, les contradictions religieuses, les postures impures, la mort programmée de Dieu au regard des crimes, des viols, de l’amplification de cruels fléaux sociaux jamais imaginés. Nous voici installés aujourd’hui dans une civilisation du naufrage, du recroquevillement sur soi, du libéralisme sauvage et aveugle. L’être humain s’est dépouillé de toute valeur de bonté et de discernement. Il a fait du mal son pain. Il s’est aliéné avec le diable. Il est ainsi devenu le symbole d’une détresse humaine sans nom. Il ne se cherche plus. Il s’est installé dans la puante fosse. Il a baissé à la fois les bras et le cœur. La foi qui aurait pu le sauver et l’élever, s’est enfuie. Il n’émet plus aucun soupir de paix. Son âme est un long râle d’angoisse. Le bonheur est pour lui une très lointaine illusion. L’espoir et Dieu se sont évanouis. L’espace social et économique est devenu la pire des anti thérapies. L’être humain est désemparé. Il est devenu fragile et défaillant. Il lui faut alors très vite retrouver le goût de Dieu et d’une foi libératrice. Qui disait qu’être athée c’est être dans l’antichambre de Dieu avant que l’on ne vous annonce auprès de Lui pour découvrir soi-même sa propre quête d’Interrogation et de Vérité ? L’homme doit valider ce chemin de foi. D’abord apaiser son cœur, freiner le galop de sa déraison. L’homme doit faire progresser l’humanité et non le faire reculer dans la barbarie. Pour y arriver, le premier refuge est l’amour. Viennent ensuite la quête de connaissances, de lumières reposantes, l’interrogation devant les progrès virginaux et vertigineux de la science et de notre état d’être inachevé devant l’émerveillement du cosmos et de l’univers.
Bien sûr, la misère, la faim, les maladies, le dénuement, le rejet, la solitude, l’isolement social, le sentiment d’injustice, d’inégalité, d’esclavage, ont conduit à douter de l’existence du Bien et de s’interroger sur la présence de Dieu. Mais c’est faire fausse route Nous secrétons nous-mêmes notre propre venin. Nous sommes nos propres loups. Le Grand Horloger de l’Univers nous a laissés notre liberté et nous avons fait de cette liberté notre propre perte. A la vérité, nous avons la réponse à tout à condition de croire. Croire d’abord en soi, dans la bonté et la générosité. C’est un choix personnel. « Je ne pense pas, dit Frédéric Lenoir, que des êtres humains débarrassés de Dieu deviennent nécessairement meilleurs et plus humains […] jusqu’à présent, aucune découverte scientifique n’a prouvé la non-existence de Dieu, mais toutes ont fait reculer l’explication religieuse du monde […].
En Afrique particulièrement, nous avons trop laissé les hommes politiques avoir autorité sur nos existences. Qui fixe le prix de notre pain, de notre récolte, de notre ticket de bus, du litre de carburant, de nos factures d’énergie, d’eau ? Qui fixe nos tarifs de lit d’hôpital ? A quoi servent nos richesses nationales, nos impôts engloutis dans des trains de vie étatique, tels des gouffres sans fin ? Qui laisse polluer nos villes ensevelies sous les poubelles en attendant la peste et le choléra ? Qui bouleverse l’écologie et l’environnement par des projets hâtifs, sans avis des habitants, au seul nom de la raison d’État et qui assassinent, spolient, exilent des populations fragiles et démunies ? Qui laisse le faux contredire le vrai sous la corruption et le copinage ? Il nous faut vaincre cette malédiction. On dirait qu’en Afrique, ce n’est point Dieu qui a créé les hommes mais ceux qui les gouvernent. Et les hommes sont devenus à leur image.
Nous voici dans une situation inédite ! « L’acte éducatif nous plonge désormais dans des angoisses infinies ». Mêmes les adultes sont atteints de dérèglement et deviennent des contre-exemples. Notre avenir ? Il est commun, mais il n’est pas seulement dans les questions économiques et techniques. Il participe d’un autre mystère, d’un retour de l’homme vers l’homme dans l’humilité et la grandeur. Nous devons reprendre le chemin rompu de notre filiation spirituelle.
Le Sénégal est notre trésor. Le plus beau et le plus précieux des trésors ! Veillons sur lui tous ensemble, même dans les « illusions perdues ». Nous en appelons à un responsable et chlorophyllien compromis national.
Vue du ciel, « la terre est belle, lumineuse, elle est une et pacifique ».
Et si nous tentions d’y croire, pendant qu’il est encore temps ?
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