Charismatique et autoritaire, le président de la République du Rwanda devient le nouveau maître du jeu. Il est aujourd’hui le chouchou de la jeunesse africaine, celui qui insuffle le plus de dynamisme et de réformes dans son pays, et dans les institutions panafricaines et régionales. Dans un continent en manque de repères, Paul Kagame fait preuve d’ovni. L’Afrique n’avait pas connu un dirigeant aussi adulé, mais parfois aussi décrié. C’est que Kagame maîtrise la communication et le marketing politique. Il séduit, même au-delà des frontières et des populations africaines. “J’ai été impressionné par Paul Kagame”, apprécie ainsi l’ancien président français, Nicolas Sarkozy. L’année dernière, il a été désigné meilleur dirigeant africain par CNBC et par Forbes Africa. Mais qu’est ce qui fait le charme de cet homme mystérieux et discret ? Comment a-t-il gagné la bataille de l’opinion publique africaine et mondiale ? Que fait-il de plus ou de mieux que ses collègues ?
La fabrication d’un storytelling
Ce n’est pas un secret. Les grands leaders savent utiliser l’art de construire des histoires. Ce sont, en général de bons storytellers qui ont le don de jouer avec les affects et de capter l’attention. Si Paul Kagame a pu toucher les émotions et gagner la sympathie de millions de jeunes Africains, qui ne jurent que par lui, c’est d’abord parce qu’il a su percer les imaginaires en utilisant la technique du storytelling. Au départ, c’est une histoire dramatique. Un beau pays, le Rwanda, le pays des Mille Collines, qui se déchire dans un génocide atroce de la minorité Tutsi par les Hutus. Le pays s’effondre complètement. Personne n’aurait parié que 20 ans après, le Rwanda serait l’un des moteurs de l’innovation et de l’essor en Afrique. Le PIB du Rwanda est pourtant passé de 1,989 milliard en 1998 à 9,509 milliards en 2018. L’espérance de vie a grimpé, passant de 44 ans à 68 ans durant la même période.
Narrer une autre destinée pour son pays
Le rôle de Paul Kagamé, dans cette renaissance, est primordial. C’est lui qui, par son action radicale, a changé son pays. Il a su souder et redonner espoir à un peuple complètement anéanti en mettant en oeuvre un discours qui a transcendé les divisions. Paul Kagamé a pu narrer une autre destinée pour son pays. Dans le nouveau récit qu’il s’est évertué à diffuser, le Rwanda et ses habitants sont devenus des forces de progrès. C’est une communauté qui participe à sa propre guérison, avec des programmes de réconciliation comme le “Ndi Umunyarwanda” qui veut dire “Je suis Rwandais” et qui veut mettre en exergue “l’importance de sentir en soi “l’esprit Rwandais, les valeurs liées à cet esprit et les interdits nécessaires pour le faire régner” ; il y a aussi “l’Umuganda”, une séance mensuelle de travaux communautaires obligatoires. Le gouvernement a aussi créé un fonds (le Farg), pour prendre en charge les orphelins du génocide.
Il y a, dans ces deux exemples, l’idée de provoquer une volonté commune et de faire naître des valeurs partagées. La promesse du message peut être déclinée ainsi : “Ensemble nous allons construire une nation tolérante et solidaire”. Paul Kagamé utilise cette arme redoutable du storytelling pour mener à bon port son pays. Il a mis en branle une véritable catharsis. Bien sûr, les Rwandais jouent le jeu et confirment leur adhésion. Les plus de 12 millions d’habitants du pays se sentent en paix et protégés. La nation a connu un essor phénoménal. Tout cela ne serait pas possible si Kagame n’avait pu faire concilier parole et action. Il y a chez lui, indiscutablement, une éthique de la responsabilité. Il fait ce qu’il dit et dit ce qu’il fait. Des engagements difficiles à tenir aujourd’hui en politique, à cause du temps long que nécessite le changement, qui se heurte très souvent au temps court de l’élection. C’est que Kagame bénéficie aussi de sa longévité à la tête du Rwanda qui lui permet de concrétiser sa politique et d’agir en profondeur sur les réalités sociales et les complexités inhérentes à l’exercice du pouvoir. Kagame a eu énormément de temps et d’énergie pour faire du Rwanda un pays à revenu intermédiaire, à l’horizon 2020, comme il le souhaite.
Ainsi, Paul Kagame a décliné un plan très détaillé, appelé Vision 2020. Dans l’incipit du document, le président du Rwanda est très clair. Il veut bâtir un nouveau sens commun. “La Vision 2020 reflète les aspirations et la détermination des Rwandais à la construction d’une identité rwandaise d’unité, de démocratie et d’inclusion, après de longues années marquées par des régimes autoritaires et exclusivistes.” Les piliers de ce projet sont : la bonne gouvernance et un Etat capable ; le développement des ressources humaines et une économie basée sur le savoir, le développement tiré par le secteur privé ; le développement des infrastructures ; l’agriculture à haute valeur ajoutée et orientée vers le marché ; l’intégration régionale et internationale. Il y a une trajectoire bien définie dont l’objectif est de transformer le pays et de le sortir “d’une situation sociale et économique profondément insatisfaisante”. Kagame a massivement renforcé l’accès à la santé et à l’éducation. Il a mis des moyens importants dans des secteurs clés : l’agriculture les mines et l’industrie, qui concentrent 57 % des projets du pays.
Séduire hors des frontières du Rwanda
Cette vision a été bien pensée et répond aux aspirations des citoyens rwandais (les électeurs), de la communauté internationale qui voit en Kagame un interlocuteur fiable, et des bailleurs de fonds. Les investissements dans le pays ont atteint 2 milliards de dollars en 2018, dont 47 % issus de créditeurs étrangers. Un record. Il s’est attaché les services d’éminentes personnalités comme Bill Clinton ou Tony Blair, qui lui ont assuré un lobbying auprès des investisseurs.
Vous souhaitez être perçu comme un dirigeant transparent ? Soyez transparent. La base de toute stratégie de branding, c’est la mise en oeuvre d’une relation de sincérité/vérité. Le branding n’est pas de la manipulation. Dans son pays et lors de son passage à la présidence de l’UA, Paul Kagame a toujours mis en avant son intégrité. Le président de la République rwandaise s’est posé en chantre du panafricanisme. Il est l’un des maîtres d’oeuvre de la Zlecaf. L’accord sur la Zone de libre échange continentale africaine a été signé par 54 pays sur les 55 que compte le continent. En outre, Paul Kagame milite activement pour l’intégration sous-régionale. Il est actuellement le président de l’Eac (la Communauté d’Afrique de l’Est qui comprend le Burundi, la Tanzanie, le Sud Soudan, le Kenya, l’Ouganda et le Rwanda). Il a la la volonté de dynamiser les échanges et de permettre une libre circulation des personnes et des biens. Mais le pari n’est pas encore gagné tant les dissensions et les conflits sont permanents dans la zone, avec notamment le Burundi. Les problèmes avec le voisin congolais ne sont pas encore réglés mais il y a une détente depuis l’élection de Félix Tshisekedi.
De l’idée à l’action : La modernisation du message et des infrastructures
Kagame a aussi beaucoup investi dans les infrastructures pour appâter une clientèle internationale. Rwandair est devenu l’un des fleurons de l’aviation en Afrique. Le pays est réputé pour sa sécurité, pour la propreté et l’assainissement public, ainsi que pour ses routes en très bon état. Le Centre de conventions de Kigali a coûté 300 millions de dollars. Le Rwanda est devenu une place d’affaires réputée en Afrique, où se multiplient les grandes conférences. Cette image de marque assure la croissance du secteur touristique. 438 millions de dollars ont atterri dans l’économie grâce à ce positionnement et la perception du pays des Mille Collines. Le tourisme haut de gamme s’est beaucoup développé. Pour visiter le Parc national des Volcans et voir des gorilles, il faut débourser pas moins de 1500 dollars ! Le site visitrwanda.com vend très bien la destination : “Reconnu comme le pays des mille collines, le paysage magnifique du Rwanda et son peuple chaleureux et amical offrent des expériences uniques dans l’un des pays les plus remarquables du monde. Il est doté d’une biodiversité extraordinaire, avec une faune incroyable vivant à travers ses volcans, sa forêt pluviale de montagne et ses vastes plaines.” Les autorités du pays ont même signé une convention avec le club de football anglais Arsenal, pour donner une visibilité mondiale au Rwanda et à ses trésors. Pour donner plus d’éclat à l’image du pays, le régime de Kagame a passé des contrats avec des groupes internationationaux, spécialisés en communication et en marketing, notamment Racepoint Global et Solimar.
Un leader en phase avec son époque
Concernant la communication digitale, Paul Kagame est présent sur les réseaux sociaux. Il a 1,5 millions d’abonnés sur Twitter ; 349,000 abonnés sur Instagram ; 953,000 followers sur Facebook. Il fait partie des dirigeants africains les plus actifs sur ces plateformes. Pour se défaire de l’image austère et un peu mystérieuse qui lui colle à la peau, le président rwandais joue beaucoup la carte des selfies. Il se laisse prendre en photo en compagnie de jeunes admirateurs (trices) pour montrer qu’il est accessible, et un peu “M. tout le monde”. Il met en avant sa famille.
Paul Kagame joue beaucoup sur les valeurs d’égalité et de justice sociale. Il se montre très proche de la jeunesse rwandaise. Il a initié “MeetThePresident”, une conférence où il se tient presque en gourou, devant 2000 personnes, encourageant les jeunes de son pays à se lancer dans l’entreprenariat. Paul Kagamé entend faire de son pays une startup nation. Il a pour cela beaucoup investi dans les technologies. Le programme “One Laptop per Child”, initié en 2008 est un exemple de la volonté du président rwandais de développer le potentiel numérique dans son pays. Autre mesure populaire et très appréciée, l’égalité homme-femme. Un règle maintenant inscrite dans la constitution du Rwanda. Le Rwanda est d’ailleurs le seul pays où les femmes sont majoritaires au Parlement. Elles ont 51 sur les 80 sièges que compte l’Assemblée.
On peut toujours dire que Kagame n’est pas un leader imbu de valeurs démocratiques, qui respecte les libertés individuelles. Des opposants sont emprisonnés, les dissidents ont peur du régime de Kigali. Une candidate à l’élection présidentielle de 2017, Diane Rwigara, a retrouvé ses photos nues sur Internet, avant d’être emprisonnée. Elle affirme que ce serait l’oeuvre du parti au pouvoir. Elle a finalement été disqualifiée lors de l’élection présidentielle où Paul Kagame est arrivé en tête avec un score soviétique… Plus de 98 % des suffrages exprimés. D’autres protesteront pour dire que l’essentiel est là, Paul Kagame est un bon commandant qui mène son pays vers la prospérité, après avoir gagné la bataille de la stabilité sociale et du progrès économique. Quoi qu’il en soit, le président rwandais a pu construire une image forte et développer son capital sympathie. Pour lui d’abord, pour son pays ensuite. Cette représentation positive n’est pas le fruit du hasard mais la résultante d’une stratégie bien pensée, articulée autour d’une ligne directrice et appliquée dans des territoires bien ciblés. Ce qui manque a beaucoup de dirigeants africains, en fin compte, au contraire de Paul Kagame, c’est une structure communicationnelle cohérente, en adéquation avec les valeurs de sa population.
Ibrahima Kane est Cofondateur et responsable Solutions chez Groupe Gaynako