Samedi 15 juillet 2017. Neuvième édition de la finale de la Coupe de la ligue de football du Sénégal. le Stade de Mbour, l’équipe fanion de la Petite Côte, affronte l’us Ouakam de Dakar. Une finale qui s’annonce pour le moins épique tant les supporters des deux camps sont réputés bouillants tandis que les deux équipes, elles, du fait de leur excellent jeu, ne sont plus à présenter. Le stade Demba Diop — portant, justement, le nom du mythique député-maire de Mbour, assassiné à coups de couteau le 03 février 1967, à l’âge de 39 ans, au cours d’une réunion à la gouvernance de Thiès, par Abdou Ndaffa Faye — ce stade Demba Diop, donc, doit abriter la confrontation dans la capitale dakaroise.
Du côté des autorités, la finale, coïncidant avec la campagne des élections législatives lancée cinq jours plus tôt, le 10 juillet plus précisément, est reléguée au second plan. Ni le président de la République, Macky Sall, encore moins son ministre des Sports, Matar Bâ, obnubilés par les législatives pour conforter la majorité mécanique du camp présidentiel à l’assemblée nationale, ne participent à cette fête de la jeunesse. Conséquence, l’effectif des forces de l’ordre est largement insuffisant, pour ne pas dire ridicule, pour une rencontre de cette envergure. Quand il s’agit seulement du petit peuple en Afrique, on ne se gêne point. Dans les grandes démocraties, le pouvoir craint le peuple et se dévoue pour lui. Dans les démocraties bananières, c’est l’inverse. le peuple est mis aux pas et ses ressources pillées. Sans autre forme de procès. Et les coups de matraques et de grenades lacrymogènes sont là pour rappeler aux impertinents citoyens lambda, que le pays…c’est pas eux ! le destin a parfois de ses cruautés… Bref passons !
La finale démarre dans une ambiance de folie où les deux formations, toutes deux arborant des couleurs identiques — le traditionnel rouge et blanc —, rivalisent d’ardeur et de virtuosité sur la pelouse. Les Ouakamois ouvrent le score et jubilent. le Stade de Mbour égalise et double la mise en début de seconde période. Demba Diop est en ébullition. Les supporters de l’us Ouakam, qui ne digèrent pas cette remontada, commencent à lancer des pierres. Le match est interrompu. Les forces de l’ordre, en nombre réduit, sont impuissantes. Les supporters mbourois, pour fuir l’intifada de leurs adversaires, se replient tous sur la tribune couverte. Sous le poids du surnombre, un pan de la tribune, qui venait pourtant de faire l’objet d’une réfection ayant coûté près d’un demi-milliard de nos pauvres francs, dit-on, s’affaisse.
Les supporters avec ! Le bilan est lourd. Tragique. Huit morts et plus de 300 blessés sont relevés côté mbourois. La fête se transforme en drame et en cauchemar. C’est l’onde de choc dans la capitale de la Petite Côte où les familles sont dans la consternation la plus totale. L’identité des victimes reste, jusque tard dans la soirée, un mystère. Terrible. Parti pour ramener la Coupe du Sénégal, le Stade de Mbour rentre avec huit cercueils. Une façon de dire puisque les corps des victimes sont retenus à Dakar pour les besoins de l’autopsie. Ils ne seront livrés que quelques jours plus tard, nuitamment, aux familles avec recommandations fermes de les enterrer séance tenante. Certains sont même en état de putréfaction. Des populations traumatisées se mobilisent ainsi de 00h à 05h dans la nuit du vendredi 21 au samedi 22 juillet 2017 pour enterrer et accompagner leurs morts dans les différents cimetières de la localité.
Le lendemain, des marches sont organisées spontanément, à travers les artères de la capitale du tourisme sénégalais pour réclamer justice. Les listes qui briguent les suffrages des populations pour les élections législatives, toutes confondues, sont interdites de meeting dans la cité. Aucune manifestation politique n’est permise par des populations meurtries par la perte de leurs fils. Pendant ce temps, le Premier ministre d’alors, Mohammed Abdallah Boun Dionne, qui s’est découvert de nouveaux talents de danseur, s’adonne à une séance de «Mbaraas» maîtrisée, à Ziguinchor. Belle image d’un pays qui vient d’enregistrer la pire tragédie sportive de son histoire ! Belle image, surtout, de l’indifférence des gouvernants à la tragédie d’une partie du peuple. La Coalition Benno Bokk Yakaar (BBY), la mouvance présidentielle, donc, qui devait tenir meeting à Mbour le dimanche 23 juillet annule son rendez-vous et se plie aux recommandations des populations. La tête de liste de ladite coalition, le même Premier ministre Mohamed abdallah Boun Dionne, en catimini, profite du moment pour remettre au président du Conseil départemental de Mbour, Saliou Samb, par ailleurs responsable apériste local et président du Stade de Mbour, la somme de 21 millions de francs CFa. les 16 millions en guise de soutient ou « diakhal » aux familles éplorées et 05 millions pour la prise en charge médicale des blessés dont certains se trouvent dans un état traumatique. la confrontation avec les populations de Mbour qui revendiquent toujours justice ne peut avoir lieu dans ce contexte.
Le chef de l’état viendra présenter ultérieurement ses condoléances aux familles endeuillées. C’est du moins ce qui avait été promis puisque, à ce jour, Macky Sall n’a toujours pas présenté ses condoléances à Mbour. Tout au plus, a-t-il convoqué des mois plus tard, moyennant des espèces sonnantes et trébuchantes, des responsables apéristes accompagnés de quelques membres des familles des victimes pour les recevoir au palais de la République et, accessoirement, présenter ses condoléances. Quand on vous disait la complexité des relations peuple et pouvoir en afrique…
Mbour vote nul
Il faut dire que le contexte était tendu, les nerfs à fleur de peau et les autorités étatiques, qui ont joué l’apaisement dans cette affaire pour ne pas mécontenter la communauté léboue de Dakar — la priorité numéro 1, c’était de récupérer la mairie des mains de Khalifa Sall, l’ennemi juré d’alors —, sont déclarées personae non gratae à Mbour. Les résultats des législatives reflèteront la douleur et la colère des Mbourois. Moins de 33 % des inscrits ont accompli leur devoir civique dans le périmètre communal de Mbour. et fait inédit, 1130 Mbourois, en mémoire des disparus, ont délibérément voté nul après s’être passés le mot sur les réseaux sociaux. Faisant ainsi des bulletins nuls l’un des cinq (5) premiers choix des Mbourois devant une quarantaine de listes. un vote symbolique et un signal fort. Comme l’un des plus célèbres faits d’armes de la Grèce antique, la bataille des Thermopyles. en effet, victime d’une trahison qui fragilisa son alliance, l’armée grecque se retrouva avec un seul contingent de Spartiates sous la conduite du roi léonidas 1er et 300 soldats de Thespies pour la défense de l’entrée du défilé des Thermopyles qui commande l’accès de la Grèce centrale, le long de la mer egée. Une armée réduite et non moins redoutable un certain 11 août 480 avant J.C, pour faire barrage à la grande armée de l’empire achéménide du roi Xerxès 1er, forte d’environ 300000 hommes. La prise d’athènes par les Perses n’enlèvera rien à la bravoure et au sens du sacrifice légendaire des Spartiates en infériorité numérique criarde. Aujourd’hui encore, cette bataille des Thermopyles est l’un des symboles de la résistance grecque. autre symbole, autre lieu, d’autres chiffres. 1130 pour l’histoire.
Justice pour les victimes
Pour en revenir au drame de Demba Diop, dans la capitale de la Petite Côte, les populations réclament justice. Le 19 septembre 2019, l’us Ouakam est reconnue exclusivement responsable d’un mouvement de foule et de l’affaissement d’un pan de la tribune ayant entraîné la mort de huit (8) personnes. Elle perd le match sur tapis vert et est suspendue de toutes compétitions pendant cinq (5) ans. Last but not least, elle est rétrogradé à une division inférieure. Ses dirigeants rejettent la sentence de la Fédération sénégalaise de football (FSF) et saisissent, le 02 octobre 2017, le Tribunal arbitral du Sport (TaS), l’instance suprême en matière de litiges sportifs. le TaS, rendant son verdict le 17 janvier 2018, lève l’exclusion de toutes compétitions de l’uSO pendant cinq ans, ainsi que sa rétrogradation dans une division inférieure. Pour cette instance sportive mondiale, «l’uS Ouakam ne pouvait être tenue pour seule responsable des tragiques incidents survenus lors de la finale de la Coupe de la ligue sénégalaise 2017, notamment eu égard à l’état du stade et au dispositif de sécurité mis en place à cette occasion, lequel était largement insuffisant». Le TaS a, en revanche, confirmé la victoire du Stade de Mbour en finale, sur tapis vert, et condamné Ouakam à verser une amende de 500 000 francs CFa (au lieu des 10 millions initialement prévus). «Cette décision, précise d’ailleurs le TaS dans son communiqué, ne concerne que le volet disciplinaire et sportif de cette tragique affaire et est sans aucun lien avec d’éventuelles procédures devant les autorités judiciaires du Sénégal, civiles et/ou pénales, actuelles ou à venir». Alors qu’en est-il des autres responsables du drame, notamment la Fédération sénégalaise de football et sa ligue, le ministère des Sports et le maître d’œuvres de la réfection du Stade ? Il est patent que la responsabilité de la Fédération sénégalaise de football et de sa ligue est lourdement engagée pour avoir programmé le match sans s’assurer d’un dispositif de sécurité adéquat et à la dimension de l’événement. À ce jour, ces dirigeants, en partie responsables de cette tragédie, vaquent tranquillement à leurs occupations et continuent de se la couler douce sans être nullement inquiétés. Autre responsable de la tragédie : l’État du Sénégal par le biais de son ministre des Sports Matar Bâ, lequel a octroyé le marché de réfection du stade Demba Diop.
Une réfection déjà remise en cause lors de la réception du chantier, bien avant le drame. en effet, le 15 décembre 2014, le célèbre animateur Mamadou Sy Tounkara de la 2STV — aujourd’hui passé dans le camp du pouvoir en tant que conseiller spécial du président de la République ! — s’interrogeait en ces termes : «Qui est à l’origine d’une rénovation aussi médiocre ? (…) l’argent a-t-il été bien dépensé avec le maximum d’efficacité, sans corruption ni pots-de-vin ?» Dans une lettre adressée à Matar Bâ et rendue publique, M. Tounkara tirait déjà la sonnette d’alarme et dénonçait le caractère médiocre des travaux. «Le stade Demba Diop de Dakar, écrivait Mamadou Sy Tounkara au ministre Matar Bâ, qui date de 1963, a été fermé pour rénovation pendant six mois, de mai à novembre 2014, accusant un retard de deux mois sur le calendrier initial. A sa réouverture, le constat est amer : il n’y a toujours pas de tableau d’affichage ni de toilettes pour le public ; l’éclairage est toujours aussi médiocre car les projecteurs n’ont pas fait partie des travaux. Bref, le travail a été bâclé. Pourquoi ? Qui est à l’origine d’une rénovation aussi médiocre ? Le budget de 400 millions FCFA n’était-il pas suffisant ? L’argent a-t-il été bien dépensé avec le maximum d’efficacité, sans corruption ni pots-devin ? (…) Or, le sport moderne ne peut se faire sans infrastructures dignes de ce nom. Est-il acceptable qu’aucun stade du Sénégal ne soit aux normes internationales, car même le stade Léopold Sédar Senghor, le plus grand, est dépourvu de tableau d’affichage, ce qui est suffisant pour le disqualifier de toute rencontre internationale officielle ? En tout état de cause, votre passage au ministère des Sports aura été un gros échec si vous ne réussissez pas à doter notre pays, au moins, d’un seul stade présentant toutes les fonctionnalités et standards des stades modernes». Mais ça, une telle pertinence, pour ne pas dire une telle insolence, c’était avant.
Avant que Mamadou Sy Tounkara ne transige du côté du pouvoir, encore une fois. Malgré cette interpellation courageuse et véridique qui pointant du doigt ce que tout le monde savait, les autorités compétentes s’étaient bouché les oreilles et avaient fermé les yeux. Conséquence : la tragédie du 15 juillet. Après un tel drame, dans tout autre pays normal et de droit, le ministre aurait, à défaut d’être limogé sur le champ, présenté séance tenante sa démission pour se mettre à la disposition de la justice. Une justice qui, finalement, n’aura interpellé que quelques malheureux quidams dont un jeune internaute mal éduqué, Barra Fall, qui s’épanchait malencontreusement sur les réseaux sociaux. Quant à assane Thiam, Mame Boucounta Sow, Assane Dione, Seydou Diouf, assane Mbaye, Ndiokhor Diouf et Oulimata Tall, les huit victimes innocentes de cette tragédie, elles ont été passées, elles, par pertes et profits de la nation. Faut-il s’en scandaliser ? Tout cela se passe dans un pays qui s’appelle le Sénégal !