Non, ce n’était pas l’expression d’une quelconque célébration d’une défaite comme d’aucuns pourraient le penser, pour ensuite s’en étonner voire s’en offusquer. Cette grande déferlante de foules venues de partout, suivie d’une procession joyeuse à travers les artères de la capitale qui a accueilli le retour au bercail de l’équipe nationale de football, nous apparait assurément comme le signe de quelque chose d’autre. Une fois de plus, elles renseignent sur l’insoutenable nostalgie de l’excellence qui les habite.
Pour les plus âgés notamment qui, à force d’attendre l’avènement d’une ère nouvelle, ont parfois l’impression que « c’était mieux avant ». Pour les plus jeunes qui expriment au contraire le désir de s’identifier à des symboles forts dans lesquels puiser et sédimenter une estime de soi. Au-delà du football, sport roi, cette formidable mobilisation fédératrice est d’autant plus remarquable que tout le monde peut s’accorder sur son caractère libre et spontané.
En se cotisant pour peindre les trottoirs, nettoyer les rues et les draper aux couleurs du drapeau national ; attendre ensuite sous une forte chaleur avant d’avaler à pied des dizaines de kms pour suivre les héros qui ont incarné des jours durant leurs espérances, les populations signifiaient que tout le reste devenait dérisoire. Elles préféraient s’en tenir au fait que les joueurs se sont battus comme des « Lions » sur le terrain, comme en attestent les statistiques de leur domination sur tous les plans du match de la finale, excepté celui des fautes. Ne leur importait alors que l’ivresse de lendemains qui chantent. Aussi, à travers cette mobilisation populaire, ont-elles fait montre d’une formidable capacité de résilience. Non point comme la propension à encaisser, à tout digérer et à s’endormir assommées par le poids des désillusions. Bien au contraire, cette forte énergie racontait une résilience conquérante.
Récusant toute malédiction, loin des postures suicidogènes du renoncement et de l’abdication, cette foule massée devant les grilles du palais et qui avait du mal à se disperser après que les « Lions »se sont retirés avec le chef de l’Etat et le staff sportif, exprimait en fait son envie furieuse d’un avenir qui s’écrit avec elle et qui réconcilie avec l’engagement et l’abnégation endogènes, à l’image du coach Aliou Cissé. Sa mobilisation invitait par ailleurs à l’urgente prise de conscience par les autorités de la nécessité de proposer des réponses performantes aux problèmes socioéconomiques qui les assaillent. Faut-il, pour s’en convaincre, rappeler que ce sont ces mêmes populations renforcées par l’impatience des nouvelles recrues qui, en 2000, avaient rendu possible « la respiration démocratique », suite à l’avènement de la première alternance politique. Deux mandatures plus tard, ce sont encore elles qui ont refusé de poursuivre une aventure qui menaçait de dévoyer complètement leurs attentes et leurs espérances.
Encore elles qui, depuis 2012, ont majoritairement adhéré à la promesse d’une « République vertueuse ». Ce qui ne les empêche nullement d’exercer toujours une vigilance tranquille, comme pour dire aux hommes et femmes politiques qu’il est désormais des lignes rouges qui ne peuvent être impunément franchies. Qu’il y a surtout des aspirations à satisfaire, des engagements à respecter. Et ce n’est pas pour rien qu’il arrive à la jeunesse révoltée de convoquer parfois Thomas Sankara, le Rwanda ou le Cap- Vert, en dépit de leurs insuffisances respectives, préférant donner une prime à la volonté de bien faire. Celle là même qui se sert du pouvoir comme instrument au service de la satisfaction des attentes des populations. Tel est, nous semble-t-il, le message de cette ferveur populaire.