Le système éducatif sénégalais vit, depuis des décennies, une crise multiforme et
asymétrique, marquée par des perturbations et des dysfonctionnements dont la fréquence et
la durée nous invitent à une introspection. Cette situation expliquerait peu ou prou le fort
taux d’échec aux examens scolaires.
Au vu d’une telle situation, on serait tenté de se poser un certain nombre de questions :
Quelle corrélation y a-t-il entre les perturbations et les contre-performances scolaires ?
Quels sont les facteurs liés à l’organisation et au pilotage du système éducatif ?
Comment les systèmes et les dispositifs d’évaluation contribuent-ils à ces contre-
performances structurelles ?
Les curricula sont-ils en adéquation avec les réalités d’un monde en perpétuel devenir ?
Il serait, pour nous, trop ambitieux de vouloir répondre à ces quatre interrogations majeures
à travers cette contribution, mais nous tenterons de susciter la réflexion dans un contexte où
les exigences des citoyens des pays du Sud sont de plus en plus prononcées en matière
d’efficacité, d’efficience et de qualité de l’éducation.
I. Corrélation perturbations /contre-performances
Les grèves des enseignants constituent sans nul doute l’indicateur majeur de l’instabilité du
système. Les principales revendications des syndicats d’enseignants tournent autour de la
revalorisation de la fonction enseignante : l’équité dans l’octroi des indemnités, des
indemnités à payer à temps, des questions relatives à la carrière des enseignants, un
traitement correct des salaires des contractuels, des volontaires et vacataires, etc.
Ces revendications sont légitimes et préoccupent les enseignant(e)s au plus haut point parce
que posant un problème de justice et d’équité.
Mais au regard de la situation actuelle du pays, répondent les politiques, tous les problèmes
ne peuvent pas être satisfaits, hic et nunc.
C’est pourquoi, il est impérieux que l’Etat dise objectivement aux syndicalistes ce qu’il est
possible de faire dans le court, le moyen et le long terme. Les enseignants qui constituent
l’écrasante majorité des agents de la fonction publique sont trop souvent victimes de la loi
du nombre et sont par ce fait traités en parents pauvres du système. Cela engendre des
frustrations que seule une justice sociale parfaite peut éteindre. Un dialogue sincère et
permanent doit être instauré pour trouver un échéancier de résorption des gaps qui tienne
compte des contraintes budgétaires en relation avec les agrégats macroéconomiques du
pays.
La corrélation perturbations-taux d’échec aux examens scolaires est à relativiser si on sait
que durant des années où on a frôlé l’année blanche le système a produit des résultats
relativement meilleurs que ceux enregistrés pendant celles considérées comme stables (sans
aucune perturbation). Par exemple, en 2018, l’année scolaire a été sauvée de justesse alors
qu’on a eu un taux de réussite de 35,9 % au Bac, contre 31,6 % en 2017 où il n’y a aucune
perturbation. Pour le BFEM, le taux tourne autour de 52 % pour les deux années.
L’élémentaire qui a connu plus de perturbations a vu ses résultats du CFEE connaitre un
bond fulgurant en passant de 45 % en 2017 à 55 % en 2018.
Indépendamment des perturbations, le démarrage tardif des cours constitue l’une des
causes majeures de la péjoration du quantum horaire.
Ceci s’explique par :
– Le retard dans le démarrage des cours érigé en règle, même si les autorités
rassurent chaque année avec le slogan « ubbi tey jàng tey » qui est loin
encore d’être une réalité dans la plupart de nos établissements du fait des
écarts constatés entre les inscriptions et le démarrage effectif des cours ;
– Le retard dans la mise à disposition des personnels enseignants qui se fait
après l’ouverture, surtout ceux sortants de la FASTEF ou des CRFPE.
Ce sont là quelques problèmes majeurs qui impactent le plus négativement l’efficacité,
l’efficience et la qualité de notre système éducatif. Ces facteurs ne semblent pas
suffisamment pris en compte par les différents acteurs, encore moins par les organisations la
société civile dont la plupart agissent plus par opportunité que par principe. Quant aux
pouvoirs publics, ils restent jusque-là, plutôt obnubilés par le renseignement des indicateurs
de performance exigés par les partenaires techniques et financiers (PTF), les seuls qui
semblent se soucier de l’efficacité et de l’efficience des ressources qu’ils injectent dans le
système éducatif.
II. Gestion et pilotage du système
L’efficacité et l’équité des systèmes éducatifs sont fortement tributaires de la cohérence de
leur architecture organisationnelle et institutionnelle globale et de la qualité de leur pilotage.
Même s’il y a beaucoup d’acquis dans le management, notamment le renforcement des
capacités des acteurs et l’élaboration des outils de gestion du système, force est de
constater toutefois l’existence de dysfonctionnements qui plombent l’efficacité et l’efficience
de l’Ecole, au regard des ressources humaines, financières et matérielles extrêmement
importantes qui y sont injectées.
Le taux d’échec aux évaluations certificatives prouve, s’il en était encore besoin, que la
machine scolaire n’est pas en bon état. Elle consomme beaucoup de carburant et ne roule
pas comme il faut.
La gestion et le pilotage stratégique de notre système éducatif ont souvent souffert de son
instabilité institutionnelle.
Aussi, plusieurs dysfonctionnements constatés remettent en cause la notion de « système ».
En effet, on note le renforcement du cloisonnement entre sous- secteurs : faiblesse ou
absence de lien entre la Case des Tout Petits et l’Ecole Maternelle, entre l’Enseignement
élémentaire et l’enseignement Moyen (dans un contexte de mise en place d’un cycle
fondamental de dix ans – loi 2014 …) A cela faudrait-il ajouter la lancinante question de la
qualification des enseignant(e)s, notamment des professeurs tant à l’initiale qu’en continue.
Dans la même veine, comment une Direction, la Direction de la Planification et de la Réforme
de l’Education (DPRE) en l’occurrence, peut-elle coordonner la mise en œuvre de la politique
éducative, c’est-à- dire coordonner les activités des autres directions, alors qu’il y a un
Secrétariat général au ministère ? Cela expliquerait-il la faiblesse voire l’absence de
coordination constatée ou bien certains conflits de compétences entre directions ?
Par ailleurs, les collectivités territoriales trainent les pieds dans la prise en charge réelle des
compétences qui leur sont transférées en matière d’éducation dans le cadre de la
décentralisation.
III. La problématique de l’évaluation
La problématique de l’évaluation mérite qu’on s’y arrête un moment.
En effet, l’analyse du système de pilotage de l’évaluation des acquis d’apprentissage, en
particulier l’examen du BFEM, révèle des dysfonctionnements structurels majeurs. Les
médiocres résultats du premier tour de cette année en sont révélateurs.
Nous renversons la question en la formulant de la façon suivante : serait-il pertinent de
commettre les professeurs de collège, de lycée ou les IEMS/IVS à la fonction de
management des examens de fin de cycle et des établissements de l’enseignement
élémentaire ?
Le contraire existe pour l’enseignement moyen ! Cette situation est préjudiciable au
développement de ce sous-système éducatif.
Au demeurant, l’évaluation des apprentissages est depuis quelques décennies une discipline
académique au carrefour de la psychologie, de la psychopédagogie, de la psychosociologie,
de la psychométrie, de la statistique, des techniques quantitativistes, des techniques
d’élaboration et de validation d’items, etc. Elle requiert de ce point de vue des acquis dans
les domaines précités, un vécu et une professionnalité avérés et reconnus.
La première incohérence découle du fait que le cycle moyen ne dispose pas d’un dispositif
d’évaluation propre à l’image de l’Office du baccalauréat qui soit doté d’un personnel qualifié
tant du point de vue du background universitaire (Bac+5 ou M2, ingénieur) dans une
discipline liée à l’enseignement dans ce sous-système que professionnel (CAE-CEM, CAEM,
CAES, CAPES, Agrégation, CAESTP, ETC).
Pour ce qui est de la qualité métrologique des épreuves en Sciences et en Mathématiques du
BFEM 2019 tant décriée par les praticiens et les parents d’élèves, nous consacrerons un
article de portée scientifique une fois les résultats finaux publiés.
Il est urgent qu’un large débat soit ouvert et qui aille dans le sens de faire évoluer nos
pratiques dans ce domine afin que le système en tire meilleur parti !
IV. Des contenus programmatiques pour une école de développement
Au-delà de l’acuité de ces problèmes et des solutions impératives qu’il convient de trouver, la
promotion d’une véritable Ecole de développement reste le redoutable défi à relever.
En effet, après plus d’un siècle d’indépendance, il faut oser réformer notre Ecole malade
parce que inadaptée à nos réalités socio-culturelles et inapte à former des citoyens en
mesure de prendre en charge les questions de développement de notre pays.
L’offre éducative qu’il convient de diversifier ne répond pas à la demande réelle avec une
population constituée de 54,6 % d’analphabètes.
Dans le système éducatif formel qui reçoit l’écrasante majorité du budget de l’éducation,
presque tout le monde se plaint du faible niveau des élèves et de leurs enseignants. Chaque
fois que cette question est agitée, pouvoirs publics, enseignants et parents d’élèves se
renvoient la balle, personne ne voulant porter le « bonnet d’âne ».
Pourtant la réalité est implacable au vu des résultats de nos élèves aux examens scolaires
ces dernières années.
Le taux de réussite moyen au Bac durant ces cinq dernières années tourne autour de moins
35%, moins de 50% au BFEM et autour de 43 % au CFEE.
Ces résultats appellent des correctifs urgents afin que le système soit plus performant, plus
crédible et plus efficient.
Parmi les correctifs à apporter, figure en bonne place la question des contenus des
programmes qui mérite une attention particulière.
Pour améliorer la qualité de l’éducation par la définition de programmes scolaires pertinents,
le Sénégal a élaboré un Curriculum de l’Education de Base(CEB). Ce curriculum est basé sur
l’approche par les compétences.
Désormais, ce sont les enfants eux-mêmes qui gèrent leur propre savoir, ils se prennent en
charge. Les enseignants ne font que donner des indications. Le curriculum s’articule autour
de la réalité quotidienne du vécu de l’enfant. Ce ne sont pas des enseignements abstraits,
mais des enseignements actifs, des enseignements que les enfants pourraient reproduire
dans la vie quotidienne en termes de comportement, en termes de savoir-faire et de savoir-
être.
Malheureusement, il n’existe, pour le moment qu’à l’élémentaire d’où une rupture d’approche
entre les autres ordres d’enseignement, surtout le moyen avec qui l’élémentaire devrait
constituer le cycle fondamental (obligation scolaire de 10 ans).
Aussi, les programmes de ces différents ordres d’enseignement devront être réformés pour,
dans le cadre d’une pédagogie intégrative, asseoir les compétences minimales devant
permettre aux élèves de réussir aux évaluations certificatives.
Il y a incontestablement une rupture à faire pour jeter les vraies bases d’une Ecole capable
de prendre en charge les questions de développement.
Le principal problème de notre système éducatif réside dans l’inadéquation entre la
demande et l’offre éducative nationale.
Pour pallier cette difficulté, il urge de donner à nos langues nationales la place qui est la leur
dans notre système éducatif.
En effet, comme le disait le Professeur Cheikh Anta DIOP, il est impossible de vouloir
enraciner une société dans sa culture à partir d’une langue étrangère. L’enseignement ou le
développement à partir d’une langue étrangère ne peut avoir de signification que s’il a pour
finalité l’assimilation ou l’asservissement. L’importance de la langue maternelle dans le
processus de développement des peuples et des nations a été suffisamment démontrée,
amenant ainsi l’UNESCO à consacrer le 21 février, Journée internationale de la langue
maternelle.
Faire de nos langues nationales la base de notre système éducatif ne se pose plus en termes
de nécessité mais d’impératif. Cela ne veut pas dire pour autant renoncer au français. Le
français reste la langue officielle d’enseignement mais il ne sera utilisé qu’après avoir installé
chez nos élèves de solides compétences de base dans les langues nationales.
En définitive, il apparait clairement que l’Ecole sénégalaise est plongée dans une crise
profonde et a besoin d’une refondation. Il est important de rappeler que l’Ecole est à la fois
le reflet ou le prolongement de sa société même si son rôle majeur est la transformation de
celle-ci. Donc il est tout à fait naturel de voir l’école éternuer au moment où la société est
enrhumée.
Il est temps d’arrêter de penser toujours qu’il nous faut des réformes pour changer notre
Ecole. Il y en a eu suffisamment, toujours coûteuses et il n’est pas exagéré de se demander
si ces réformes n’ont pas atteint leurs limites.
Notre système éducatif a enfin besoin de sortir des sentiers battus après cinquante ans
d’indépendance. Il est enfin temps d’admettre qu’il nous faut corriger notre manière de
penser et d’aborder la question de l’Ecole. Il nous faut un modèle d’Ecole avec un cycle de
base adossé aux langues, véritables véhicules de nos valeurs et de nos cultures qui doivent
nous permettre de formater un citoyen de type nouveau suffisamment enraciné dans sa
culture et ouvert aux changements du monde moderne pour nous faire franchir l’ère de la
pauvreté et du sous-développement.
Fait à Dakar le 24 juillet 2019
El Hadji Abdou WADE dit Mara,
Professeur de lettres, spécialiste des questions d’éducation.
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