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Pluralisme Et Diversité Au Sein De L’opposition : Ma Contribution Au Débat Sur Le Dialogue National

Pluralisme Et Diversité Au Sein De L’opposition : Ma Contribution Au Débat Sur Le Dialogue National

«Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent !» Les différences d’approche au sein de l’opposition et leur expression publique participent d’une certaine vitalité démocratique, parce qu’en politique aussi, il faut tuer l’hypocrisie colportée souvent par l’unanimisme. Tout le monde ne pense pas la même chose dans l’opposition ni au sein de la coalition au pouvoir d’ailleurs et le Peuple, ultime décideur doit, à des moments déterminés, savoir qui pense quoi parmi celles et ceux qui président ou aspirent à présider à ses destinées. Par contre, ce que l’opposition a en commun, du moins en théorie, c’est sa volonté de s’opposer aux orientations et aux politiques publiques mises en œuvre par le pouvoir en place. Par-delà ce trait commun, chaque parti politique digne de ce nom a sa vision, son projet de société et son programme qui doivent être confrontés aux autres visions, projets et programmes. C’est sous ce rapport que, personnellement, je comprends les publications de certains d’entre nous qui s’opposent au dialogue national et qui s’en prennent à leurs alliés qui y participent. C’est aussi à ce titre que je réagis ici aux critiques qui sont formulées par ceux-là, de façon à apporter, de mon côté, ma petite lumière sur les questions soulevées.

Il me semble tout d’abord important d’insister sur les problèmes de forme. Un débat d’idées n’est pas un chœur de quolibets encore moins un concours de caractérisations gratuites. Il est l’expression de points de vue analytiques, argumentés et documentés pour fonder ou réfuter des thèses ou hypothèses.

Je rappelle ensuite que ceux qui attaquent les «dialogueurs» participent pourtant au dialogue politique considéré comme un volet du dialogue national. Leurs représentants siègent en face de ceux du pôle du pouvoir dans le cadre de la délégation des plénipotentiaires du Frn (Front de résistance nationale) et discutent avec eux.

Troisièmement : C’est un droit démocratique de prendre part à un aspect du dialogue et de ne pas prendre part aux autres aspects. A cet égard d’ailleurs, les acteurs politiques sont avantagés par rapport aux acteurs économiques comme le patronat, ou sociaux comme les organisations syndicales et paysannes, qui ne sont pas parties prenantes du dialogue politique, tandis que les organisations politiques qui le désirent prennent part aux autres aspects du dialogue national. Est-il donc raisonnable d’exercer son droit à choisir dans le menu du dialogue national ce qui vous convient tout en refusant aux autres le même droit de choix ? La politique étant par définition transversale, pourquoi devrais-je refuser au Professeur Datt de s’intéresser au débat sur l’avenir de l’école dans le cadre du dialogue national ? Devrait-on arracher le droit de la ministre d’Etat Aïda Mbodj à prendre part au dialogue sur les enfants de la rue ou sur les violences faites aux femmes au motif que ce n’est pas le dialogue politique ? Pourquoi doit-on nier le droit de quelqu’un d’autre à s’intéresser au débat sur les ressources pétrolières et gazières dans le cadre du dialogue national ? Je vais plus loin : dans sa plateforme, le Front de résistance nationale appelle clairement «à la mobilisation et à la lutte pour exiger l’instauration d’une véritable démocratie politique, électorale, sociale et citoyenne dans notre pays». Je souligne ici la dimension sociale et citoyenne du combat qui justifie la présence, dans le Front, d’organisations syndicales et de mouvements citoyens. C’est précisément pour faire droit à cette exigence sociale et citoyenne que le Front a ajouté dans sa dénomination le qualificatif «social» en devenant Front démocratique et social [je souligne] de résistance nationale. C’est dire que rejeter ces autres dimensions – citoyenne et sociale – dans le combat du Front, pour ne s’en tenir qu’au volet politique et électoral revient, quelque part, non pas à trahir (ce serait excessif), mais à s’éloigner de la plateforme. Pour tomber facilement sous la critique que beaucoup de nos compatriotes font – à tort ou à raison – aux acteurs politiques. Ainsi, selon leurs pourfendeurs, ces derniers ne s’intéresseraient qu’aux élections et pas assez au sort des populations. Il me semble en conséquence qu’il y a des postures qui ne sont pas raisonnables parce qu’elles renvoient de leurs auteurs une image d’arrogance, même s’ils peuvent s’en défendre. Et c’est inacceptable. Comment peut-on considérer ses compagnons de l’opposition comme du gibier, en manipulant des images et des formules du genre «la question du chef de l’opposition est un malicieux appât du pouvoir pour attirer et diviser l’opposition» ?

Tout le monde sait que cette disposition concernant le chef de l’opposition est présente dans la Constitution depuis des années, sans qu’on n’ait jamais entendu des leaders en face du pouvoir se disputer sur la question. Le jour où elle viendra en discussion sur la table de l’opposition, ladite question sera traitée et réglée avec hauteur et dignité. Penser le contraire au point de parler d’appât pour attirer et diviser l’opposition, c’est plutôt cela qui est une véritable curiosité dans la tête d’un leader de l’opposition. Je constate par ailleurs que, même la situation économique est convoquée pour épingler ceux qu’ils appellent les «dialogueurs». Suivons leur raisonnement exprimé en ces termes : «Macky Sall chercherait, après sa politique économique désastreuse, à faire partager par son dialogue national les mesures d’ajustement structurel devenues indispensables et qui accroîtront la souffrance des populations sénégalaises les plus démunies.» Ne s’arrêtant pas à si bon chemin, les permis pétroliers sont convoqués, ainsi que toutes sortes de prétextes pour justifier leur refus du dialogue. Attitude que l’on peut leur reconnaître le droit d’adopter, sauf que les arguments qui relèvent d’une gouvernance en cours ne sont, dans aucun pays au monde, des raisons que l’on évoque pour ne pas discuter. Un dialogue politique n’a de sens et de pertinence que lorsque pouvoir et opposition achoppent sur des points clés qui affectent ou peuvent affecter la paix civile et/ou la stabilité du pays. A moins que ce ne soit des raisons dirimantes liées à une menace extérieure avérée ou une catastrophe naturelle qui l’exige. Autrement, dans une situation normale, le gouvernement gouverne et l’opposition s’oppose jusqu’aux élections prochaines et, en cas de défaite du pouvoir, ceux qui gagnent changent ce qu’ils ont dénoncé par le passé. Un dialogue entre pouvoir et opposition doit donc être fonction des enjeux qui caractérisent la situation globale d’une part et des chances de conclure un accord d’autre part. La situation au Venezuela me semble infiniment plus complexe que celle du Sénégal d’aujourd’hui. Dans ce pays d’Amérique latine, déstabilisé par des troubles politiques, des centaines de milliers de gens descendent régulièrement dans la rue, les uns pour contraindre le pouvoir en place à partir, les autres pour soutenir et conforter ce même pouvoir. Des millions de citoyens émigrent vers d’autres pays et de très nombreuses victimes sont dénombrées. Au moment où ces lignes sont écrites, les protagonistes du drame vénézuélien sont en train de discuter en Norvège, loin de leur pays, pour trouver les voies d’une paix durable au Venezuela. Naturellement, au Venezuela, les responsabilités déstabilisatrices de Donald Trump et de son Administration devront être tirées au clair le moment venu. Ici au Sénégal, s’il est vrai que nous sommes fermement opposés au régime de Macky Sall, devrions-nous pour autant attendre d’en arriver à certaines situations comme celles en cours dans certains pays de la sous-région pour redécouvrir les vertus d’un dialogue qui permette d’atteindre des consensus forts pour une paix et une stabilité qui sauvegardent les intérêts fondamentaux, immédiats et à long terme du Peuple sénégalais ? Comment peut-on sous-estimer ses compagnons de l’opposition au point de penser qu’en allant au dialogue national, ils endossent des mesures d’ajustement structurel issues de politiques publiques qu’ils n’ont eu, ni à élaborer ni à mettre en œuvre ?

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Ce dialogue national pourrait, selon eux : «Ressembler à ceux qui furent organisés par Macky Sall en 2016, puis en 2018, manquant de sérieux, rassemblant des laudateurs en tout genre, et transformant l’opposition en faire-valoir pour des décisions déjà prises et qui seront imposées à la classe politique et à l’ensemble du Peuple sénégalais.»

De mon point de vue, 2016 et 2018 n’ont rien à voir avec 2019 en termes de contexte. Avant 2019, Macky Sall préparait sa réélection dans les conditions que nous avons tous dénoncées et combattues (en vain) tandis qu’après l’élection de février 2019, il tire son dernier mandat à la tête du pays. Si en 1991-92 l’opposition, avec à sa tête Abdoulaye Wade, avait rejeté la main tendue de Abdou Diouf, le Sénégal n’aurait pas eu de règles consensuelles de dévolution démocratique et pacifique du pouvoir. Et l’on ne peut dire ce qu’aurait été le pays à l’heure qu’il est, si le contraire était advenu. Il est donc clair que le présent dialogue national n’est pas une mascarade, tout comme il coule de source que l’opposition n’est pas autour de la table pour servir de faire-valoir à quoi que ce soit. Il s’agit pour nous de défendre bec et ongles la plateforme du Frn.

Les anti-dialogue s’opposent aussi au report des élections locales. Je suis personnellement et par principe pour le respect du calendrier républicain. Mais nous devons aussi être cohérents. C’est nous-mêmes, Front de résistance, qui avons proclamé urbi et orbi dans nos documents que nous n’irions plus à une quelconque élection avec les règles actuellement en vigueur. Or, d’après nos plénipotentiaires, rien que l’audit du fichier électoral, sur place et sur pièce comme nous l’avons demandé, prendra plusieurs mois parce qu’il faudra faire le tour du pays dans une approche nécessairement itérative. S’y ajoute la nécessaire révision exceptionnelle du même fichier pour permettre l’insertion des jeunes arrivés en âge de voter. Et bien d’autres aspects importants concernant le processus électoral. Devrions-nous développer une posture infantile du genre «puisque le pouvoir veut le report des élections nous devons refuser» ? Non ! Si les exigences de l’opposition pouvaient être satisfaites en respectant le calendrier républicain, nos plénipotentiaires dont la rigueur est connue de tous en auraient administré la preuve et exigé en conséquence le respect de la date des élections locales. Mais tel n’est pas le cas. Devrions-nous dès lors renoncer à nos exigences en avalisant les règles que nous avons déjà rejetées, tout juste pour gêner le pouvoir qui veut le report des élections ? J’ai lu qu’ils soulèvent aussi les problèmes que pose le report des élections locales comme argument supplémentaire pour conforter leur position. Tel ne me semble pas être le bon réflexe. En effet, à partir du moment où le report est justifié, les problèmes qu’il pose doivent être simplement adressés pour leur trouver solution et non pas servir de prétexte pour baisser les bras et aller à des élections sur la base des règles actuelles.

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Pour terminer sur cette question du report des élections locales, disons-nous la vérité : la vérité est que ce pays n’a pas encore atteint la stabilité démocratique par la culture et les mécanismes de pérennisation, pour qu’on s’indigne du report des élections locales. Dès lors, ce sont les générations d’acteurs politiques qui se sont succédé sans arriver à cette stabilité démocratique qui devraient d’abord être épinglées au lieu de s’indigner sur des phénomènes dont les causes relèvent de nous-mêmes et n’ont pas encore été résolues. Je rappellerai à ce sujet que de l’An 1983 à aujourd’hui (2019), soit pendant 36 années, aucune élection locale ne s’est tenue à bonne date. Prévues en 1983, les élections locales se sont finalement tenues en 1984, puis en 1990 au lieu de 1989, puis en 1996 au lieu de 1995, ensuite en 2002 au lieu de 2001. Prévues en 2007, elles se tiendront en 2009. C’est en 2014 qu’elles ont été décalées de seulement quelques mois, mais elles ont quand même été décalées. Tel est l’histoire du calendrier des élections locales au Sénégal. Il n’y a donc rien de nouveau sous le ciel à cet égard. Les fraudes à l’état civil tout comme les fameuses notes de services le jour du scrutin et bien d’autres anomalies que nos amis mentionnent dans leur réquisitoire sont bien répertoriées par les plénipotentiaires de l’opposition dont la vigilance, mais aussi le pragmatisme n’ont pas encore été pris à défaut.

Last but not least, je fais observer que nos amis anti-dialogue, dans le cliquetis de leurs salves, ont oublié que nous nous battons aussi pour la libération sans délai de Khalifa Ababacar Sall et le retour de Karim Meïssa Wade dans son pays et pour le recouvrement total de leurs droits politiques. Cela aussi figure en bonne place dans notre plateforme et doit être sans cesse rappelé comme je l’ai fait devant le président de la République le 28 mai dernier au nom du Front de résistance nationale.

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Dans le fond, la différence entre pro et anti dialogue dans l’opposition est de l’ordre du mental. Lorsque, dans une stratégie d’évitement, les uns évoquent toutes les tares réelles et supposées du pouvoir pour se détourner du dialogue national, les autres, ne redoutant pas le corps-à-corps, vont au dialogue pour faire triompher les préoccupations de cette opposition dans un contexte nouveau. C’est encore une fois un réel problème de mental comme il en a été beaucoup question récemment.

Pourquoi vouloir faire croire à l’opinion ce qui n’est pas ? La presse nationale surveille le dialogue politique comme du lait sur le feu et en rend compte régulièrement avec professionnalisme. Ainsi, l’opinion publique sait que depuis le démarrage, le pouvoir a plutôt fait preuve d’une ouverture d’esprit avérée en accédant à l’essentiel de nos demandes. Nos plénipotentiaires l’ont attesté, ce qui a permis de trouver les plages de convergence nécessaire pour avancer. Si demain les choses devaient changer, cette même opposition aviserait. Pour le moment, ce n’est pas le cas.

Ce dialogue, ces concertations, ce n’est pas, du moins en ce qui nous concerne, une affaire de roublardise où chacun cherche à rouler l’autre dans la farine.

Une telle entreprise serait, de toutes les manières, vouée à l’échec. Les questions qui y seront traitées le seront au grand jour, au vu et au su de tous.

Pour toutes les autres dénonciations liées aux politiques publiques en place, la simple vérité est qu’une opposition doit s’y opposer et c’est ce qui est jusqu’ici le cas, à ma connaissance.

Concluons : Tout ce qui brille n’est pas de l’or. Le président de la République gouverne et discute avec l’opposition ; celle-ci de son côté doit s’opposer et discuter. Jusqu’à ce que des consensus forts soient trouvés comme en 1992. Tout le monde doit y aider ou, à défaut, faire preuve de retenue et de circonspection en attendant de voir «fu wànen di mujjéeki bëtëm» et non se poser en croisé anti-dialogue. Le Peuple, pour ce qui le concerne, ne s’y est pas trompé puisqu’il soutiendrait l’initiative du dialogue à plus de 70% si j’en crois les résultats d’un récent sondage. Je sais d’ailleurs que nos amis anti-dialogue ne veulent pas de son échec et qu’ils souhaiteraient plutôt se tromper. En fait, c’est un défi qu’ils ont lancé aux acteurs du dialogue national. Il faut simplement le relever.

Mamadou DIOP ‘Decroix’

Secrétaire général d’Aj/Pads, membre du Frn

Député à l’Assemblée national

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