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Vivre à Thiès, Travailler à Dakar

Vivre à Thiès, Travailler à Dakar

En temps normal, le trajet maison-travail dure quinze minutes. Cependant, je remarque de plus en plus que la durée de ce trajet s’allonge : cette semaine, il m’est arrivé plusieurs fois de faire le trajet en plus d’une heure.

Les parkings d’automobile prolifèrent à Dakar, de même que les annonces de vente de voitures d’occasion. Le premier réflexe des Sénégalais, quand ils signent un Cdi, est de contracter un prêt pour acheter une voiture. Ils le justifient parce que la voiture est, selon eux, une nécessité. Dans le contexte actuel, je serai enclin à être d’accord avec cette opinion. Prendre les transports en commun est pénible à Dakar ; aux heures de rush, les bus sont surchargés. Ajoutons à cela leur imprévisibilité : nul ne maîtrise leurs horaires, tandis qu’en général ceux du travail sont fixes.

Cela crée un cercle vicieux : plus de personnes qui achètent des voitures entraînent des routes plus encombrées avec toutes les conséquences négatives que cela entraîne : perte de temps, moins d’heures disponibles pour se consacrer à des activités utiles, diminution de la productivité. Cette situation est frustrante : nous avions prévu de faire quelque chose, mais les embouteillages nous en empêchent. Nous rentrons à la maison fatigué, notre réflexe est de dormir, et ainsi nous passons moins de temps avec notre famille.

Cela concerne Dakar. Venons-en à la desserte des autres villes du Sénégal !

Une partie de ma famille vit à Koumpentoum, une ville située dans la région de Tambacounda et distante de 407 kilomètres de Dakar. Le trajet Dakar-Koumpentoum dure 8 heures, alors qu’il aurait pu se faire en 5 heures. Quand j’étudiais au Canada, je vivais à Chicoutimi, une ville distante de 400 km de Montréal. Généralement, je prenais le bus pour me rendre à Montréal. Malgré les arrêts, le trajet se faisait en 5 heures parce que les routes étaient en meilleur état.

Mieux encore, en Europe, avec le développement du Tgv, les durées des trajets longues distances sont encore plus courtes. Cela permet un gain de temps. Appliquer cette stratégie des Tgv permettrait de désengorger Dakar. Je connais une personne qui vit à Thiès, mais travaille à Dakar, elle prend le train tous les jours pour se rendre à son travail, au centre-ville. Imaginons si le Sénégal disposait de Tgv, les Sénégalais pourraient habiter Mbour, Thiès et travailler à Dakar. La pression sur le foncier baisserait à Dakar, et le prix du mètre carré reviendrait à un prix plus raisonnable.

Le Sénégal est un petit pays, les distances Nord-Sud et Est-Ouest sont de moins de 600 km. La desserte du pays par un système de trains rapides n’est pas une utopie. A terme, cela permettrait de désengorger Dakar et de donner plus d’opportunités aux autres régions. Si je pouvais vivre à Mbour ou Thiès dans une maison plus spacieuse et plus abordable et pouvoir travailler à Dakar, je n’hésiterais pas à le faire, ce qui est certainement le cas de la majorité des Dakarois. Pour cela, il faut créer les conditions pour atteindre cet objectif : faciliter la desserte des autres villes du Sénégal par des trains rapides.

Je n’ai pas encore parlé de la route, tout simplement parce que je ne crois pas qu’encourager les voitures individuelles serait la solution. Je préfère l’approche européenne : des transports en commun efficaces plutôt que celle nord-américaine : la voiture. Les routes doivent être construites, mais dans mon optique elles le seraient pour le transport de marchandises : pouvoir acheminer rapidement le poisson de Kayar vers Tambacounda, les fruits de la Casamance vers Saint-Louis. De plus, encourager la voiture individuelle dans une ville comme Dakar reviendrait à la transformer en Lagos, avec les go-slow, ce temps interminable passé dans les voitures avec toutes les pertes qu’elles engendrent pour un point : retard, non-respect des délais et perte de points de croissance.

Dans le cas spécifique du transport inter-dakarois, les transports en commun devraient être encouragés en mettant en place un système de bus fiable et éventuellement le métro à terme. Au Canada, les heures de passage des bus sont affichées sur les arrêts : il est possible de planifier ses trajets. Il est aussi possible de connaître les différents moyens de transport disponibles pour se rendre disons de Pikine à Liberté 6. Ce sont des pratiques qui ne sont pas difficiles à implanter, et qui gagneraient à l’être. Si Dakar disposait d’un métro, quel serait l’intérêt d’avoir une voiture, le métro serait un moyen de transport plus rapide pour les déplacements pendulaires. Les jeunes Sénégalais ne verraient plus la voiture comme une nécessité. Cela entraînerait un cercle vertueux : les routes seraient plus libres, il y aurait moins de pollution, la balance commerciale serait moins déficitaire avec moins d’importation de pétrole et de voiture.

Si ces actions ne sont pas entreprises, Dakar risque de devenir comme Lagos. Dakar ne dispose plus d’espace pour étendre les routes. La solution serait de développer les transports en commun et encourager ainsi les Sénégalais à l’adopter. A long terme, cela accroîtrait la qualité de vie des Dakarois et un meilleur positionnement international. Pour le Sénégal, il s’agira de devenir plus compétitif par la qualité des infrastructures qui sont un avantage pour attirer les investisseurs.

Comment financer tout cela ? Le Sénégal s’apprête à exploiter ses hydrocarbures. Un pourcentage des revenus tirés du pétrole doit être consacré aux infrastructures. Encore, le Sénégal peut émettre des obligations pour le financement de ses infrastructures. A terme, l’augmentation du taux de croissance que ces infrastructures engendreront, les investissements supplémentaires qu’elles attireront lui permettront de les rembourser. Dans la course pour attirer les investisseurs, des infrastructures de qualité sont un atout, et le Sénégal doit l’exploiter.

Améliorer les infrastructures, développer des transports en commun de qualité, le Sénégal dispose de ces moyens pour désengorger Dakar et rendre plus attractives les autres régions. De plus, ils lui permettront d’améliorer la qualité de vie des Sénégalais et d’anticiper sur demain : éviter que Dakar ne devienne Lagos avec tous les problèmes que cela engendrerait. A terme, ils permettront aussi au Sénégal de devenir plus attractif pour les investisseurs internationaux parce que la qualité de ses infrastructures les attirerait. Ce chantier doit commencer maintenant : à terme, nous serons pris dans un goulot d’étranglement, et cela a commencé. Rappelons-nous la durée du trajet travail-maison il y a cinq ans et aujourd’hui, et nous nous rendrons compte qu’elle a fortement augmenté ! Ces actions doivent être entreprises aujourd’hui parce qu’elles ne finiront pas dans un ou cinq ans : elles s’étaleront dans le temps.

P.S : La saison des pluies me conforte sur la nécessité de meilleures routes au Sénégal. J’ai passé quarante-cinq minutes dans les tunnels de la corniche quand il plut ce jeudi 18/07.

 Moussa SYLLA

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