Et toi sublime naufragé
Jujubier germé
Jubile à jamais
Oui ! C’est de jubilation qu’il s’agit. De la baie talibée, on ne ressort pas indemne. Cela n’est d’ailleurs pas le souhait du poète, maitre-nageur qui se transforme en maitre-noyeur dans ce sublime océan de trésors lit d’amours fil de salut.
Océan, Amour, Salut : trois mots qui surnagent dans l’odyssée poético-mystique de Bamba le talibé. D’élan en élan, il heurte et se heurte aux voiles cosmiques et aux lumières diaphanes de la gnose mystique. Son poème, parfois psalmodique, parfois cantique, parfois panégyrique, se faufile en mille et une images et retrouve un langage nouveau-né de sa plume pluri influencée. En Serigne Touba le repère révéré, il tient son guide avéré et plonge dans le chant nourrissant comme l’enfant qui tête le sein de sa mère. Il trouve là, dans cette innocence, une âme virgine qui l’exalte et le sublime. Alors bonjour les extases mesurées et les transes balkaniques ; le daanu jéll se transforme en daanu leer. L’émotion de la connaissance empirique, euphorique, s’osmose à la lumineuse flamme de l’esprit éclairé et
le voici s’asseoir blanchement turbanné
le voici noir telle l’harmonie première
le voici d’espoir en son atlantique antre.
Le premier élan est dans le mimétisme transcendental de lam yabdu mislul mustapha muhamadi. Ici, le poète, séduit, se laisse entrainer dans cette ode au prophète de l’Islam en dystiques, reprend et perd son souffle à l’infini tant le chant et le chanté sont vertigineux. Alors, il avoue : rythme de mes rimes et règle de mon mètre. Un chant qui s’éternise en plusieurs formules et prières, un requiem pur et musulman mouride de soufi adepte de l’islam pacifique. Celui-là de
Ahmadou Bamba qu’il nous a bien informés Par Massalik viatique des gens bien formés et il poursuit
Ta jihad d’égorgeur hérésie sacrilège
Sa jihad d’éveilleur détruit tes sortilèges.
Ici le poète, en apôtre, plaide et sème la pensée de son maitre contenleue dans le Viatique du paradis « Massalikul Jinana » et, faisant d’une pierre deux coups, il invite les jeunes à ne pas se laisser endoctriner par les nouveaux prophètes du terrorisme.
Et l’euphorie le reprend après ce bref moment de lucidité historique et il écrit
Euphorie qui m’émeut
Que mon cri soit béni
Pour fleurir le Fameux
Et cueillir l’euphonie.
Eh bien, il passe de l’euphorie à l’euphonie et, d’élan en élan, il se casse la tête et se cogne le cœur et se déchire la peau sur les multiples secrets indicibles. Cette épreuve voulue et visiblement douce harmonie pour l’auteur, il en profite pour lever le voile sur quelques faits historiques de son Maitre sublimé, évoquant tour à tour son enfance –jeune prodige et arroseur de nation – le temps de son appel – écoutez mon discours …je suis votre secours – et de sa mission – vont venir vers ma ville et ma mosquée ocrée.
Cette ville Touba et sa mosquée feront l’objet de la prochaine halte ou de la pause et du repos du talibé transporté dans le tumulte de la transe. Et il retrouve la quiétude avec le poème Touba roche bénie Touba ruches et nids oui un refuge pour calmer sa folle tournée ponctuée de douze élans, un chiffre fort qui n’est pas fortuit. L’élan 8 est donc plus qu’un poème mais une litanie, une formule magique voire hypnotique qui apaise et endort et apporte une certaine quiétude à la plume.
Cette plume qui n’hésite pas à emprunter des vers et des passages de célèbres qasida ou écrits de Serigne Touba pour en faire des sortes de poèmes témoignages historiques et récits didactiques, sûrement pour les enfants qui liront ces lignes simples et rythmiques :
Ourdi fut ce procès
Par le chef de Saint Louis
Le Saint doit renoncer
Ou c’est l’exil pour lui (…)
Ô toi chef de Saint Louis
N’est pas à toi Saint Louis
Mon Dieu, Dieu de Saint Louis
Est le chef de Saint Louis.
Dans ce vers court concis et doté d’un génie poétique limpide il traduit – que dis-je ! – il recrée dans la langue française cette fameuse réponse devenue un chant qui usa les oreilles de Faidherbe alors Gouverneur de Saint-Louis. D’autres élans seront également consacrés au départ, au voyage, au séjour, à l’exil et au retour de Bamba, un retour triomphal car le captif de Dieu a survécu aux multiples pièges et plans de liquidation des créatures de Dieu.
Alors, il reprend de plus bel son chant qui ici prend des allures d’hymne et d’étendard vocalisés par les poètes de la Pléïade mouride que revisite et revivifie le poète. Son chant ne tombe jamais car son souffle est en apnée. Déjà, il toise l’univers marin. J’ai triplement marché, écrit-il ; en réalité il ne marche plus, il nage et se noie dans son amour infini
Puis le rivage me consola
Patience, impatient cabri
Une vague viendra
Et tu seras son ressac …
et le voilà qui s’osmose donc dans cet océan d’amour.
Ahmad Le Resistant…
Que tonne ton canon
Ahmad au grand renom
Tu as dit trois fois non
Je prie trois fois ton nom
Que tonne ton canon.
Une poésie vespérale qui conclut comme le soir l’aubade du premier chant ciselé dans le mètre wolofal, lui-même hérité de la technique arabique du poète zélé laudateur. Et le poète replonge gaiement dans cet océan d’allégresse où se pâme son âme ivre de voluptés plurielles rendues par les pulsations de sa plume non seulement trempée dans cette mer intérieure mais qui mouille tranquillement à la baie talibée.
Tranquillement. Jusqu’aux
Mugissements des vagues de l’océan Embruns de vieilles…
Écume poudreuse…
et le voici qui reprend son élan vers d’autres sauts, voire d’autres chutes vertigineuses. Un élan coulant, liquide, limpide océan et qui engloutit tous les talibés dans à la fois l’action de grâces que constitue le bernde du jour de Magal – oui le Graal et la coupe d’amour – et du trop-plein Cànt ; et qui noie également tous les talibés dans cet autre univers aquatique, insondable, qu’est l’océan
O seyant océan
Bamba est certes
L’évidente vérité des vers de Baye Moussa Ka
Il est l’océan sans bord sans nord
L’océan de trésors lit d’amours fil de salut
Océan, Amours, Salut : trois mots qui surnagent dans l’odyssée poético-mystique de Bamba qui, en bon disciple, suit les conseils avisé du poète le plus célébré de la Pléiade bambiste dont lui-même se veut aujourd’hui héritier ou en tout cas continuateur des œuvres. Alors il se jette et se lave …
Lave-toi de son eau tu seras beau
Nage et reviens chargé de rubis à partager
Vingt-huit saphirs du 18 Safar
Pour offrir foi voie loi voix et joie
Aux fourvoyés des pleins midis
Et toi sublime naufragé
Jujubier germé
Jubile à jamais
Voilà que se ferme le cycle des noyades, dans une coupe de fées, mieux au fond du gai grimoire du poète de Baie talibée.
Amadou Moustapha Dieng est journaliste, poète