Drôle de pays !
D’un côté, les autorités politiques proclament leur volonté inébranlable
de tenir un dialogue avec les forces vives de la Nation. De l’autre, elles
accroissent la tension ambiante, en brimant les libertés d’expression et
de manifestation et en emprisonnant, à tour de bras, des citoyens,
surtout coupables de continuer à exiger la transparence dans la gestion
des ressources publiques, au-delà des arguties juridiques concoctées
par un ministre zélé et son procureur.
Cette manière de faire est en train de décrédibiliser le processus de
concertation ainsi que les acteurs politiques, qui lui sont favorables. À ne
considérer que le dialogue politique, portant principalement sur les
questions électorales, son opportunité et sa pertinence sont
profondément remises en cause par les tentatives de report unilatéral
des prochaines élections locales et le refus obstiné de la Coalition au
pouvoir, d’abroger la loi scélérate sur le parrainage.
Que dire alors de cette atmosphère délétère que nous vivons depuis le
hold-up électoral du 24 février dernier ?
Il est clair que nous vivons une crise sociopolitique manifeste, qui ne
constitue qu’un retour de manivelle d’une pseudo-victoire électorale,
obtenue au forceps et reposant sur des engagements faits durant la
campagne électorale, que la situation économique du pays ne permet
plus de tenir. Il en est ainsi des postes juteux des transhumants, des
promesses d’emploi aux militantes apéristes de la banlieue, aux jeunes
de Fatick et même aux marrons du feu.
La majorité est aussi victime du « syndrome du dernier mandat » lié au
fait que la seule personne capable de fédérer les forces disparates de
Benno Bokk Yakaar, à savoir, le président de la république ne peut plus
rempiler et voit donc son autorité s’étioler, à mesure qu’approche la date
fatidique des présidentielles de 2024.
De fait, la situation est caractérisée par d’inquiétants soubresauts au
sein du pouvoir de Macky Sall, confronté à la quadrature du cercle sur le
scandale Pétrotim, sans oublier des prémisses de plus en plus
irréfutables d’un ajustement structurel inéluctable. Et comme pour corser
l’addition, des phénomènes étranges, à forte connotation mystique se
déroulent sous nos yeux d’africains superstitieux, depuis l’incendie
mystérieux de la voiture présidentielle jusqu’à la disparition prématurée
d’éminentes personnalités politiques de la majorité, en passant par les
multiples frondes au sein de cercles très proches du président.
Mais ne nous y trompons pas !
Les causes de la défiance populaire, qui gagne en ampleur, n’ont rien de
surnaturel. Elles ont trait au renchérissement du coût de la vie, dont la
récente hausse du carburant est emblématique. Elles relèvent
également de la dette intérieure, qui étouffe les entreprises du bâtiment,
les établissements privés d’enseignement supérieur et beaucoup
d’autres sociétés, auxquelles l’État doit beaucoup d’argent.
Au niveau du monde rural, les arriérés de bourses de sécurité familiale
et les retards préoccupants de la pluviométrie augurent de lendemains
cauchemardesques.
Ces difficultés économiques, qui n’épargnent que les cercles les plus
proches du pouvoir, sont à l’origine de la détérioration du climat social,
que les bureaucraties syndicales ont de plus en plus du mal à juguler,
face au mécontentement des militants de base. Elles expliquent
également l’insécurité croissante, avec de nouvelles formes de
banditisme, auxquelles nos forces de sécurité ne sont pas préparées.
Face à ce tableau angoissant, très évocateur d’une explosion sociale
imminente, il est difficile de comprendre les atermoiements des ténors de
Benno Bokk Yakaar sur la nécessité de revoir leur copie.
Il ne leur est plus possible de gouverner comme ils l’ont fait durant le
premier mandat, car la base sociale de leur régime est en train de
rétrécir comme une peau de chagrin. Les masses fondamentales,
longtemps envoûtées par les artifices de la communication
présidentielle, ont de plus en plus l’impression d’être laissées pour
compte par des politiques, dont les fruits attendus à l’entame de ce
second mandat, sont loin d’avoir tenu la promesse des fleurs.
Elles attendent, de toute urgence, la rectification du processus électoral,
la libération des prisonniers et otages politiques ainsi que la fin de
l’impunité pour les hommes du pouvoir. Elles exigent aussi la refondation
des institutions, une revalorisation de leur pouvoir d’achat, des solutions
au chômage des jeunes, la réforme profonde des politiques publiques de
santé, d’éducation, de sécurité, de transport…etc.
Elles ne comprennent pas l’attitude agressive des faucons du palais, –
adeptes des libertés de répression et d’oppression à l’encontre de
l’Opposition – qui ne fait que favoriser une confrontation, qui pourrait être
salutaire, si elle devait déboucher sur l’éviction de ce régime calamiteux
et des perspectives d’une véritable alternative civile, pacifique au profit
des masses laborieuses.
Malheureusement, en lieu et place d’un front unitaire reposant sur un
programme alternatif, l’Opposition offre le visage de la division, du culte
des messies et des manœuvres politiciennes, à forte connotation crypto-
personnelle. Elle devrait se ressaisir et faire preuve de plus de
responsabilité, d’autant que notre pays est devenu de fait un pays
pétrolier et gazier, avec tous les risques attachés à ce nouveau statut.
NIOXOR TINE
leelamine@nioxor.com
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