Il a tant rêvé d’entrer dans l’histoire par la grande porte. Le voilà servi. En franchissant l’autre jour le portail de la Maison d’arrêt, Adama Gaye, sourire en coin, lève les bras au ciel et fait le V de la victoire ! Son incarcération, consécutive à des propos jugés attentatoires à l’honorabilité du Chef de l‘Etat porte la signature du ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Malick Sall qui dit « assumer ses responsabilités ».
Ces deux hommes, vivent dans le repli de leur âme, une situation très cornélienne. Amis de longue date, ils se sont connus jeunes, puis ont cheminé dans une grosse complicité débordant jusque dans leurs familles respectives. L’un, avocat d’affaires prospère, l’autre, journaliste exubérant, ils avaient en commun l’amour de la liberté, le désir ardent pour chacun de se réaliser par soi-même, l’attachement au terroir et la transformation du quotidien par un esprit entreprenant dont ils étaient pourvus à satiété.
Une sincérité non feinte rythmait la marche de leur amitié qui s’est même consolidée au gré des épreuves de vie dans un bel élan de fraternité. Ils respectent la vie humaine et tous deux sont guidés par une soif de connaissance, l’envie de partager et le souci de comprendre les avatars sociaux. Bref, ils ont la curiosité chevillée au corps : normal au regard des professions dont ils sont des incarnations abouties.
D’où vient alors le grand écart ? La cassure ? La déchirure ? Sans doute est-il tôt pour percer le mystère dans ce flot d’élucubrations, d’empathie, de sympathie, de compassion ou d’indifférence. Les fins observateurs de surcroît attentifs, scrutaient la courbe de cette relation assujettie aux engagements politiques des concernés. Malick Sall, nanti d’une large surface sociale au Fouta, a pris goût à la politique sur le tard. Tandis que Adama Gaye, dont le talent et la virtuosité ont séduit plus d’un, a fréquenté tous les régimes qui se sont succédé, de Diouf à Macky.
Au juste, de quoi Adama est-il le nom ? Son inculpation est-elle à mettre sur le compte de son « Mur de Lamentations » ? Professionnel jusqu’au bout des ongles, il manie avec dextérité toute la panoplie des genres rédactionnels. Qu’à cela ne tienne, notre confrère n’ignore rien des réseaux sociaux qui, semblables aux zélés de Iahvé, « détruisent les opinions et déconstruisent les jugements ». Son usage presque abusif des « hordes heureuses » le confinait dans d’étroites limites, le poussant à s’isoler comme un loup solitaire pour mieux afficher sa désinvolture à l’égard des ordres établis. Sachant très bien ce qu’il faisait, il ne devrait point s’étonner des conséquences possibles découlant de ses posts. Tout porte à croire d’ailleurs qu’il en était conscient.
Lorsqu’il pourfend l’Etat et ses démembrements, il cesse d’en être un défenseur. Ses critiques battent de l’aile pendant que ses diatribes enflent à vue d’œil. Ce qui l’expose, dès lors que ses sorties prennent du relief. Mieux, il met dans le vent le Garde des Sceaux garant des libertés et détenteur des « clés de la société » sénégalaise. Entre la République et l’ami, il n’y a pas photo, trivialement dit. Sous ce rapport, le Ministre qui se place dans une posture républicaine, songe plus à protéger l’intégrité des Institutions qu’à voler au secours d’un ami en délicatesse avec les convenances judiciaires.
Les philippiques de l’ancien journaliste de Jeune Afrique, frisaient l’indécence et abordaient des aspects de vie que la morale réprouve. Pourquoi une telle obstination de la part de Adama Gaye dès lors que les sujets de contestation sont divers et variés ? Homme de médias, à l’aise sur les plateaux de télévision, ce journaliste chevronné, peut, si la lucidité l’inspire, décortiquer les sujets complexes, donner de la graine à moudre sans verser dans les disputes de fontaine. Sa plume, aussi alerte qu’acerbe, devrait plutôt se mettre au service des bonnes causes et non ajouter de la confusion aux controverses afin de bétonner le sentiment d’appartenance des Sénégalais à une nation déjà forgée mais encore vulnérable parce qu’en proie à des dissensions qu’entretiennent certains amuseurs de bal celtique.
Ces derniers pilonnent la gouvernance du pays. C’est leur droit. Dans l’aveuglement, ils s’attaquent au fondement de la cohésion sociale du pays. Ils n’ont pas le droit. Ils y ont d’autant moins droit qu’il s’agit d’un grave manquement à un devoir vanté par l’hymne national : « …dissipant les ténèbres (…) Sénégal, nous faisons nôtre ton grand dessein » !
Les attaques de Adama Gaye étonnent par leur virulence alors que tout le prédisposait à donner le ton de cet hymne fouettant la fierté d’un « peuple tourné vers tous les vents du monde ». Nous en sommes à ce stade justement avec l’exploitation imminente des hydrocarbures qui constituent hélas, l’unique champ de tir de notre confrère détenu. C’est à croire qu’il érige ce sujet en une vérité intemporelle. La question du pétrole et du gaz obsède, importune et tourmente à la fois.
Ceux qui en font aujourd‘hui leur feuilleton d’été devraient s’apercevoir que leur rejet du modèle de gestion de cette matière préconisé par les pouvoirs publics les rapproche pour frapper ensemble dans l’espoir d’engranger plus tard des dividendes politiques provenant de l’assaut. Notre pays évolue-t-il dans une préhistoire fantasmée ? Une tendance assez nette se dessine et projette même une montée des radicalités centrées sur Ousmane Sonko auquel pourraient se greffer Abdoul MBaye et Mamadou Lamine Diallo, Abdoulaye Wade jouant le régulateur de cet « axe paradoxal » qui se construit timidement. Un comble ! Une grande diversité traverse néanmoins ce courant politique introuvable. Il apparaîtrait hétéroclite du reste, mais sa progression s’appuyant sur le score de Sonko à la présidentielle de février pourrait constituer une force face au « système » honni et haï. Dans ce vaste mouvement arc-en-ciel, ne négligeons pas les groupes qui détestent l’élite. Va-t-on assister à une bipolarisation de l’échiquier politique avec les hydrocarbures comme point de fixation d’une ligne « Maginot » ?