Le lundi 29 juillet dernier, tôt le matin, des éléments de la Division des investigations criminelles (Dic) débarquaient chez Adama Gaye pour l’arrêter. Très présent sur les réseaux sociaux, il a eu le temps quand même de poster trois messages pour «alerter» le monde sur son arrestation. L’information s’est répandue comme une traînée de poudre. Le lien est vite fait avec ses publications virulentes sur les réseaux sociaux. Des publications qui, il faut le dire, n’épargnent personne, des gens du pouvoir comme de l’opposition et mêmes les journalistes. Et effectivement, c’est bien pour ses publications sur ce Facebook qu’il fut interpelé. Trois jours plus tard, il sera inculpé pour «offense au Président de la République et atteinte à la sûreté de l’Etat».
Mais bien avant sa mise en examen formel, les réactions et commentaires ont fusé de partout. L’Ong Reporters Sans frontières, par un tweet, dénonçant «l’arrestation du journaliste et activiste» et réclamant sa libération. Gageons que, d’ores et déjà, le Sénégal va dégringoler dans le futur classement de Rsf. Toujours est-il que ce tweet a soulevé le débat sur la qualité et le statut d’Adama Gaye. Est-il encore journaliste ? Certains estiment que non. Je me permets de prendre leur contre-pied. Au sens stricto sensu, Adama Gaye est et demeure bel et bien journaliste pour avoir eu un diplôme et exercé ce métier pendant des années (il est sorti du Cesti en 1980). Même s’il s’en est écarté ces dernières années pour se lancer dans la communication (il fut directeur de la communication de la Cedeao et d’Ecobank) et faire de la consultance sur les questions pétrolières et gazières. Tout comme un médecin ne cesse jamais d’être un médecin même s’il ne pratique plus, un journaliste de formation ne cessera jamais d’être journaliste. C’est un statut, une profession. Tout comme le plombier (clin d’œil à Jeune Afrique). De journaliste, Adama Gaye en a eu la formation et la carrière des plus respectables. On ne peut pas le lui enlever même s’il n’est plus en activité. Tout le monde s’accorde à dire qu’il est l’un des plus brillants journalistes du Sénégal voire de l’Afrique. Ses analyses sur la géopolitique africaine et sur la Chine sont d’une grande densité. Etant peut-être très jeune pour me délecter de sa plume lors de son passage, par exemple, à Jeune Afrique au début des années 1990, j’ai pu quand m’en faire une idée récemment dans une contribution publiée dans un site panafricain dont le sujet portait sur la Zone de libre-échange africaine (Zleca). Du très lourd. Le ton du texte en question est loin de ce qu’Adama Gaye nous a habitués depuis 2015 quand il a commencé sa «guerre» contre tous ceux qui ne pensent pas comme lui.
Maintenant, à mon avis, la question qu’il faut se poser c’est celle-ci: dans ces messages au vitriol sur Facebook, Adama Gaye agissait-il en tant que journaliste ? Ma réponse est non. Pour la simple et bonne raison que, jusqu’à la preuve du contraire, la plateforme créée par Mark Zuckerberg n’est pas un organe de presse. Ce qu’on y publie reste une opinion personnelle. Même si on est journaliste, cela ne peut nullement engager la responsabilité de sa rédaction. Et puis, les messages pour lesquels il a été inculpé n’ont rien d’un article de presse. Dans la forme, ce n’est en rien différent des milliers de posts que des citoyens, chaque jour, publient sur Facebook pour flétrir la gestion du pouvoir en place. Comme je l’ai lu quelque part, «ce qu’il écrit sur son mur n’a ni la forme d’un papier de presse ni la consistance» et j’ajouterai qu’ils ne respectent en rien les règles de base d’un article de presse. Faut-il le rappeler, le journaliste en activité est celui dont le métier est d’écrire dans un journal et, par extension, d’informer à travers un média : presse écrite, radio, télévision. Son travail consiste ainsi à collecter, vérifier, sélectionner, synthétiser et commenter des faits pour les présenter au public. Pour ce que j’en sais, Facebook n’est pas un média. Ce que l’auteur de ce texte y écrit ne peut et doit aucunement engager «Le Soleil». En cas de dérive, le seul pénalement responsable, c’est bien moi. En cas de poursuite, je ne le serais pas en ma qualité de journaliste, mais plutôt en tant que simple citoyen ayant fauté. D’ailleurs, il ne faut pas être plus royaliste que le roi. Adama Gaye lui-même ne considère pas avoir été arrêté en tant que journaliste. En témoignent ses propos rapportés par l’Agence France presse, après qu’il a été mis en examen : «Je me considère comme un prisonnier d’opinion, un détenu politique retenu pour ses écrits basés sur des faits précis, des questions vitales par rapport à la souveraineté nationale du Sénégal, notamment la gestion des hydrocarbures». Voilà qui est dit.