Il était midi, un été, lorsqu’une dame d’origine africaine, habillée d’un joli boubou couleur argentée nous dîmes « Bonjour » à la sortie d’une épicerie de quartier. Situation plutôt inédite pour que nous lui demandâmes si elle avait un problème. « Oui » nous répondit-elle, « besoin 18 € pour mon transport ». Nous lui donnâmes un billet de 20 € et au moment de rejoindre notre voiture, elle nous suivit en nous remerciant, répétant à plusieurs reprises « Merci, c’est gentil », donnant l’impression que c’était les rares mots qu’elle connaissait de la langue de Molière.
Et lorsque nous fumes prêt à démarrer la voiture, elle déboutonnât son chemisier et nous montra le haut de sa poitrine, où apparaissait une cicatrice chirurgicale. Elle nous expliqua avec ses mots qu’elle venait d’arriver en France et avait besoin de se soigner le cœur mais recherchait pour l’heure simplement de quoi manger. Elle qui parlait à peine la langue française, avait compris que dans notre société, il valait mieux être propre sur soi et prétendre manquer de quoi payer son transport pour obtenir de quoi se nourrir. Hélas…
Nous sortîmes de notre poche 10 malheureux € supplémentaires et elle se mit à chanter. Sa virtuosité vocale dans cette langue qui nous est étrangère nous mit les larmes aux yeux. Nous baissâmes la tête, et lâche, nous nous en allâmes. Nous réalisâmes que nous avions cédé aux stéréotypes validant la thèse selon laquelle « migrant » ne pouvait rimer avec « talent ». Et pourtant…
A pied, sans papier, sans parler français et malade, elle était « Capable ». Capable d’éblouir, Capable d’attendrir par cette autre chose qui est en elle mais qui ne se voit à l’œil nu. A défaut de ne pouvoir s’alimenter, elle nous alimentait d’émotions.
On dit, pour vivre bien vivons caché,
Dans ce contexte nous dirons, pour vivre bien vivons voilé,
Avec ce voile qui dissimule à nos yeux, les malheurs qui nous entourent,
Avec ce voile qui dissimule à nos yeux, tant de contre-vérités et qui nous abreuve de clichés et de préjugés,
Avec ce voile qui nous permet de sentir, mais nous empêche de ressentir.
Combien sont-elles ? Combien sont-ils ? Si on prenait le temps de faire un inventaire de leurs passions, de leurs talents, techniques, artistiques, physiques, moraux, peut-être comprendrions nous mieux la valeur d’une vie humaine d’où qu’elle vienne.
Ces êtres que l’on brade sur le comptoir des arbitrages politiques, voire personnels. Pour ces Hommes, qui ne demandent qu’à accoster après une « croisière meurtrière », on se croirait au temps des Gladiateurs, qui, arrivés en fin de combat, attendent leur sentence dictée par la direction du « pouce vertical » du roi et fils indigne « Commode ».
Dans cette Union Européenne, fière de s’afficher comme une Association d’Etats de droit pour Tous, pour ces Hommes venus d’ailleurs, touchés dans leurs chairs, parce qu’affamés et souvent en manque de soins, aussi court qu’il sera jugé de la durée de leur séjour, qu’ils aient juste droit à un traitement « Digne » et « Commode ».
Fabrice Kom Tchuente est Auteur du recueil « Engagements Poétiques » publié aux éditions Persée