Da la problématique de la dévolution monarchique à la décision de la CREI, le PDS a, du moins depuis la perte du pouvoir, un destin étroitement lié à la personne de Karim Wade. Sans rien préjuger de sa légitimité politique et même de ses compétences, on peut tout de même concéder qu’il a été l’arme dont se sont servi, aussi bien les adversaires politiques que les frères du même parti pour se positionner. Il y en a dans l’opposition dont l’ascension n’est due à aucune compétence, si ce n’est la cruauté avec laquelle ils ont pénalement, socialement et politiquement liquidé Karim Wade.
Au sein de PDS, on a rivalisé d’ardeur dans la défense du fils de Wade pour avoir la confiance de Wade. Entre les deux postures, il y a cependant des citoyens et des militants pro ou anti-Karim pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la politique. Mais de façon générale, la fibre affective, pour ne pas dire la passion, a fait son travail aussi bien pour les libéraux que pour leurs adversaires. Tandis que la haine contre le fils de Wade grandissait et s’ennoblissait d’un côté ; l’amour, la commisération et l’indulgence s’amplifiaient de l’autre.
La question de la culpabilité ou non de Karim Wade ne peut plus être aujourd’hui un élément déterminant dans l’analyse de la situation politique du PDS et même du pays. Que la façon dont Wade gère son parti soit anormale en démocratie, je pense que personne n’en disconvient : la question est plutôt avons-nous réellement des partis démocratiques ?
Si nous voulons faire une analyse lucide, nous devons apprendre à formuler nos postulats et nos énoncés en dehors des considérations subjectives et morales. Ce que Wade aurait dû faire (moralement parlant) n’est pas forcément rentable sur le plan politique. Ce qu’il aurait dû politiquement faire n’est pas, à notre avis, mesurable a priori. Il faut tenter de lire les nominations de Wade en fonction du contexte marqué par l’absence d’un leader charismatique au PDS, le dialogue national, les scandales du pétrole et l’image qu’on a désormais de ceux qui ont condamné Karim… Plusieurs paramètres nous semblent devoir être pris en compte pour tenter de comprendre (sans nécessairement partager) les mesures que Wade a prises pour redonner à son parti plus de vitalité.
D’abord le contexte du dialogue national semble avoir brouillé les calculs de Wade et du PDS. Le boycott est, on le sait, une arme politique à double tranchant. Sur quoi va déboucher ce dialogue ? Personne ne peut pour l’instant présager de ce qu’il en résultera concrètement, mais sur le plan politique, on peut s’attendre à deux consensus : un code électoral consensuel et un desserrement de l’étau politico-judiciaire (par une loi d’amnistie ?) ou (pourquoi pas ?) un gouvernement élargi pour apaiser le conflit sur le pétrole… Or n’oublions pas que Karim s’accroche toujours à l’injonction que les Nations Unies avaient faite au gouvernement de réexaminer son procès. Les répliques du genre « L’État ne va pas reprendre le procès, la condamnation est définitive, etc. », n’ont pas beaucoup de sens en politique. Pourquoi Karim devrait-il jouer le jeu du gouvernement en participant à un tel dialogue dont l’issue sur une loi d’amnistie faciliterait la tâche du gouvernement car, d’une pierre, il ferait deux coups…
Ensuite, si l’opposition commet l’imprudence de participer à un gouvernement d’union nationale, ce serait une catastrophe pour elle, mais ce serait pire pour le PDS. Des membres du PDS qui seraient dans le gouvernement pourraient jouer un jeu doublement trouble : soit se servir de leur position pour faire main-basse sur le parti, soit l’affaiblir par des agissements favorables au parti au pouvoir. De toute façon, les frustrations qu’un tel entrisme pourrait provoquer seraient probablement plus dévastatrices pour le PDS. Le pire pour Wade, c’est que le cas Karim était devenu une sorte clef passe partout dont tout le monde se sert pour régler des comptes. Pourquoi alors ne pas tenter d’infléchir la situation en assumant clairement ce que tout le monde le soupçonne de vouloir faire ou d’avoir déjà fait ? Cette posture a au moins un mérite : clarifier le jeu et l’enjeu politiques internes au PDS et fédérer les jeunes qui croient en Karim autour d’un parti nouveau ou d’un PDS en quête d’un renouveau. C’est évidemment risqué voire suicidaire, mais ils n’y a pas de projet politique sans risque : les jeunes ont l’avantage de ne pas être obligés de justifier le passif de la gestion antérieure, parce qu’ils ne sont comptables de rien. Personne d’entre eux n’a un dossier à la CREI ni dans les organes de contrôles.
En outre, puisque c’est seul Karim qui a été jugé sur les vingt trois mis en cause par la CREI, pourquoi vouloir lui infliger une double peine ? Tous les esprits sensés s’accordent sur le caractère barbare d’une telle juridiction : donc ses décisions ne peuvent pas avoir de légitimité, même si elles restent légales. Pourquoi devrait-on confier le PDS à d’autres accusés des mêmes crimes et dont personne ne sait comment ils ont réussi à se tirer d’affaire ? Pourquoi la CREI a (ne serait-ce que de manière informelle) suspendu ses poursuites contre les anciens dignitaires du PDS ? Trois ans de prison et pourtant Karim mobilise toujours dans les marches de l’opposition : qui peut dire objectivement qu’il ne représente rien ou qu’il n’a pas plus de légitimité ? Certes Karim a été condamné, mais avec cette histoire des scandales sur les hydrocarbures, ce qu’on lui reprochait est presque insignifiant comparé aux 6000 milliards en jeu ici ! C’est dire donc que l’histoire politique du Sénégal est cruellement ironique : ceux qui accusaient le régime passé d’avoir détourné 2000 milliards sont maintenant accusés d’avoir commis un forfait trois plus grave. De quel complexe Karim et ses partisans devraient-ils souffrir alors ? Le PDS a incontestablement besoin de sang neuf : le relâchement de certains leaders et l’image qu’ils charrient sont démotivants et contre-productifs pour un parti qui veut reconquérir le pouvoir.
Enfin au regard des relations compliquées entre les leaders au sein de ce parti, qu’est-ce qui nous prouve que le choix d’un autre à la place de Karim et de ses proches ne ferait pas les mêmes dégâts ou pire ? Les différents prétendants sont presque incapables de s’entendre et de proposer un projet politique audible, fédérateur (peut-être aussi que la façon dont le parti fonctionne ne leur a pas permis de le faire). Tout le monde voudrait que la dévolution des responsabilités dans les partis politiques se fasse démocratiquement, mais au PDS (comme dans les autres partis) la pratique trahit toujours la théorie. Il faut d’ailleurs souligner que la léthargie de ce parti n’est pas seulement due à la gestion d’Oumar Sarr et de Wade : traqués et voués aux gémonies, ils sont coincés et sont généralement épuisés dans l’entreprise de défense de leur honneur dans les médias. Pendant ce temps, l’énergie et le temps qui devraient être consacrés à l’innovation et à l’orientation du parti sont épuisés dans un combat perdu d’avance.
En observant la situation politique et la façon dont le PDS a été asphyxié par le régime en place, on est tenté de dire que c’est presque un miracle si ce parti continue d’exister. L’idéal serait que le PDS fasse sa mue par une symbiose entre l’expérience et la jeunesse, mais dans l’esprit de Wade, il est plus sûr en politique comme dans la vie civile de compter sur ceux dont la fidélité semble inaltérable. De toute façon, les observateurs avertis avaient très tôt compris qu’il y avait un jeu d’échec à l’intérieur du PDS : apparemment Wade a repris la main.