On était le 31 juillet 1974. L’avocat Abdoulaye Wade dépose son dossier de création d’une formation politique au ministère de l’Intérieur. Et le 8 août de la même année, le Parti démocratique sénégalais (Pds) est porté officiellement sur les fonts baptismaux. Toutefois, le congrès constitutif de ce « parti de contribution » comme il se présentait à l’époque, se tient du 30 janvier au 1er février 1976.
Les élections générales de 1978 seront les premières auxquelles a participé Me Abdoulaye Wade, leader de parti. Il est battu par Senghor avec un score stalinien de 82, 02 % à la présidentielle de cette année-là. Le parti au pouvoir obtient aussi 83 députés contre 17 la seule formation de l’opposition à s’être présentée à ce scrutin. A partir de cette-là, et jusqu’en 2000, le Pds est le premier parti d’opposition du Sénégal à face l’Ups devenue Parti socialiste (Ps). Depuis lors, le Pds a connu des fortunes diverses avec des départs sur fond de trahisons ou de déstabilisation entreprise par l’adversaire socialiste. En 1986, Wade subit un coup dur. Fara Ndiaye, numéro du Pds, quitte la galaxie libérale. Il démissionne en même temps de son poste de député. Abdou Diouf en fait son conseiller spécial en lui confiant le projet de Canal du Cayor. En 1987, Serigne Diop, l’un des plus brillants poulains du professeur agrégé, crée une scission avec la création du Pds/Rénovation. On soupçonne derrière cette création la main de Jean Collin pour déstabiliser le parti. Mais jamais, Wade, qui était le seul leader de l’opposition à capitaliser le mécontentement populaire, malgré les terribles coups reçus, n’a cédé aux manœuvres et autres coups de boutoir du régime socialiste.
Le Pds : un patrimoine d’Abdoulaye Wade
Le Pds est un bien personnel d’Abdoulaye Wade, c’est pourquoi seules ses décisions font loi. Les dispositions statutaires et réglementaires du Pds ne sont que des commodités légales mais elles n’ont aucune valeur devant les décisions du maitre. On se rappelle une sortie de Sophie Ndiaye Cissokho, démissionnaire du Pds, dans laquelle elle déclarait que « le Pds n’a aucun bien au nom du parti. Même les chaises de la permanence sont au nom de Wade ». Depuis 1974, il en a été ainsi. En véritable chef, il administre son parti d’une main de fer. Sa trajectoire politique sinueuse parsemée de bûches et d’embûches, de trahisons et d’abandons a fait de Wade une véritable bête politique capable de déjouer les pièges et chausse-trappes de ses ennemis voire à toujours prendre le dessus sur eux. Dirigeant le Pds comme une entreprise unipersonnelle, le paterfamilias n’a jamais épargné ses héritiers putatifs qui ont lorgné son fauteuil de leader du parti ou de président de la République. Depuis que le fils biologique Karim Wade, qui n’a jamais été un militant du Pds et qui n’a même pas voté en 2000, est revenu au bercail pour prendre sa place au soleil du pouvoir, Wade semble avoir trouvé son héritier au sein du parti et au niveau de l’Etat. Du moins l’a-t-il toujours cru avant d’être défait par un certain Macky Sall en 2012. En 2004, le président de la République qu’il était lance les travaux de l’Agence nationale pour l’organisation de la conférence islamique (Anoci) dont son fils Karim Wade est le président du conseil de surveillance. Le mouvement qu’il dirige appelé Génération du concret (G.C) tisse sa toile en infestant et en investissant les fédérations du parti fondé par son propre père. Karim développe un réseau de fidèles et d’opportunistes dans sa GC en formant son pré-carré ministériel dans le gouvernement. Ladite structure doit être la rampe de lancement pour lui permettre d’être en route vers le sommet, non pas de l’Anoci mais de l’Etat. Il faut désormais éliminer sans état d’âme toute embûche qui pourrait endiguer le projet successoral de Wade. Tous les Iznogoud qui veulent être califes à la place du calife, sont exécutés sur l’autel de leurs ambitions politiques. Idrissa Seck et Macky Sall en ont subi l’amère expérience. Et tant que Wade a été au pouvoir, aucun membre du Pds n’a osé remettre en question ses décisions et ses choix arbitraires.
Faute de tenir un congrès de renouvellement depuis 1976 pour donner la parole aux militants de base et entériner leurs choix, une disposition stalinienne est greffée dans les textes du parti pour permettre au chef suprême de nommer et de dégommer n’importe qui, n’importe quand et à n’importe quel poste. Au lendemain de sa victoire au premier tour de la présidentielle de 2007, Abdoulaye Wade organise une conférence de presse où il sabre les principaux ténors de l’opposition que sont Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse, Amath Dansokho et Idrissa Seck en les menaçant de réactiver certains dossiers judiciaires comme pour leur dire de se tenir à carreau. Par la même occasion, il dresse le profil de celui qui doit lui succéder un jour ou l’autre à la tête du pays. Le portrait-robot qu’il dressa ce jour-là n’était autre que… celui de son fil bien-aimé Karim, leader de la Génération du concret et président du conseil de surveillance de l’Anoci ! Après avoir gagné la présidentielle de 2007 et aussi les législatives de cette année-là, l’heure était venue pour le Pape du Sopi de se séparer de Macky Sall, artisan pourtant de sa double victoire en tant que directeur de campagne puis tête de liste.
Farba Senghor, Mouhamed Lamine Mansaly, Khoureychi Thiam, Abdou Fall et Sada Ndiaye portent le combat de la défenestration de Macky Sall. Premier objectif atteint. Macky démissionne du Pds pour créer son parti. Ensuite, il faut introniser Karim Wade maire de Dakar à la place de Pape Diop malgré son bon bilan. Résultat : Khalifa Sall remporte les locales de Dakar à la grande déception de Wade-père. Mais, obnubilé par la carrière politique de son fils, il le nomme la même année ministre avec quatre portefeuilles juteux (Infrastructures, Coopération internationale, Transports aériens et de Energie). Karim et ses courtisans « concrétistes » développent une excroissance au sein du Pds.
Etant confronté à un problème de succession dans son parti, Abdoulaye Wade annonce en septembre 2009 sa candidature à la présidentielle de 2012 pour un troisième mandat. Et en 2011, il porte un projet de loi instituant un ticket qui instaurerait l’élection simultanée du président de la République et d’un vice-président. Un président qui serait déclaré élu avec seulement 25 % des suffrages exprimés. On accuse Wade de dévolution monarchique du pouvoir. Mais le peuple, à travers les organisations politiques et la société civile barre, se mobilise massivement et barre la route aux Wade. Le projet de loi sur le ticket présidentiel est retiré grâce à la détermination du peuple du M23 mais la candidature à un troisième mandat est validée par le Conseil constitutionnel sur fond de violence mortifère. Et le 25 mars 2012, Wade et le Pds retournent dans l’opposition. Au soir de sa chute, la donne change.
Abdoulaye Wade confie les rênes du Pds à Omar Sarr. Si Wade a choisi le moins charismatique des responsables de son parti, c’est pour lui demander de chauffer la place en attendant de connaître le sort judiciaire de son fils traqué par les nouveaux vainqueurs pour enrichissement illicite. Alors un problème de leadership se pose et Wade s’impose toujours comme la seule constante. Omar Sarr n’a pas l’étoffe d’un leader. Avant qu’Abdoulaye Wade ne revienne au Sénégal presque après deux ans d’absence, le coordonnateur du Pds ne parvenait même pas à diriger les rares réunions du Comité directeur. La nature ayant horreur du vide, les partisans de Karim Wade occupent le terrain politique et médiatique. Ils ont toujours comme projet de mettre la main sur le Pds et de dérouler le tapis rouge à leur leader. Et c’est ce qui a fait que Karim Wade, même embastillé et frappé d’inéligibilité, est le candidat du père et, par voie de conséquence, de toutes ses ouailles. Il est vrai que les Oumar Sarr, Babacar Gaye, El Hadj Amadou Sall, Assane Bâ s’activent sur le terrain mais les karimistes tiennent la dragée haute aux légitimistes. En effet, tous les libéraux qui ont à un moment contesté le leadership politique imposé du fils biologique ou réclamé une restructuration du parti ont été soit marginalisés soit poussés vers la sortie.
Une crise intestine depuis 2012
Depuis la perte du pouvoir en 2012, le Pds est traversé par une guerre fratricide entre les karimistes refondateurs et les légitimistes conservateurs dont certains ont fait allégeance à Karim Wade. Mais ce dernier semble se méfier de cette vieille garde composée principalement d’Oumar Sarr, El Hadj Amadou Sall, Babacar Gaye qui, au plan politique, n’ont jamais produit un texte réformiste pour le Pds. Seul Modou Diagne Fada avait osé, après 2012, rédiger un mémorandum. Mais les motivations souterraines de ce mémorandum n’étaient pas pour ré oxygéner le Pds essoufflé par 38 ans de statisme réactionnaire, c’était plutôt pour faire main basse sur le Pds. Après le remaniement du secrétariat général national le 9 août dernier, il appert que Karim Wade a maintenant les pleins pouvoirs au sein du Pds.
Le fils vient d’hériter de l’entreprise politique du père. L’essentiel des 63 secrétaires généraux nationaux et autres adjoints sont acquis à sa cause. Et les derniers Mohicans libéraux de la vieille garde, qui ne se retrouvent pas dans ce nouvel organigramme où ils occupent d’obscurs postes, ont préféré diplomatiquement décliner ces nouvelles responsabilités qui leur sont conférées par le nouveau maitre des céans. Oumar Sarr, qui chauffait la place et qui était impliqué dans l’exclusion de plusieurs responsables, vient à son tour de subir l’exécution froide réservée aux récalcitrants. Aujourd’hui, on assiste à un Pds quasi-littéralement relooké dans le choix de la jeunesse des responsables au niveau de sa superstructure sauf que le chef suprême, à savoir Abdoulaye Wade se distingue par son âge avancé. IL faut dire que beaucoup de ces responsables jeunes se sont distingués dans la bataille politico-judiciaire pour défendre Karim Wade.
Toussaint Manga, Aminata Nguirane, Bara Gaye, Khadim Bâ et plusieurs autres jeunes karimistes ont séjourné en prison à cause de leur engagement pour leur leader Karim. Lamine Bâ et Bachir Diawara, Marie Sow Ndiaye, Nafissatou Diallo, Hawa Abdul Bâ sont très actives sur le terrain de la communication. Toutefois, El Hadj Amadou Sall et Oumar Sarr ont été embastillés pour avoir défendu le fils de leur mentor. La responsabilisation de caciques comme Doudou Wade et Tafsir Thioye, Assane Bâ, de Woré Sarr et Ndèye Gaye Cissé combinée à celle des jeunes peut faire naitre un nouveau Pds. Mais cela suppose la présence au Sénégal du nouveau leader exilé au Qatar. Aujourd’hui, le Pds a besoin d’un véritable aggiornamento idéologique et non d’un ravalement de façade de ses ressources humaines. Pour plus de visibilité politique dans le top management du parti, il faut franchir courageusement ce cap et introniser le prince héritier Karim Secrétaire général national avec les pleins pouvoirs même si cela doit être dans un congrès sans débat. C’est un secret de Polichinelle que le vrai patron du Pds, c’est Wade fils.
Alors pourquoi remettre à plus tard ce que tout le monde sait aujourd’hui ? Un Karim secrétaire général national, Wade président d’honneur devrait amorcer une rupture avec le Pds de 1974 élagué de ses vieilles branches. Pour cela, il faut ouvrir le parti, rassembler tous les libéraux et autres qui veulent impulser une nouvelle dynamique au Pds new-look. Mais cela exige la présence du leader au Sénégal. On ne dirige pas un parti avec WhatsApp ou Facebook comme dit Farba Senghor. Un parti a besoin d’un leader constant et présent sur le terrain pour dynamiser ses choix d’orientations politiques et organiser ses instances de base. Sans quoi, on fera encore du surplace comme depuis 2012 et cela risque d’être préjudiciable pour un parti qui veut reconquérir le pouvoir en 2024.