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Sir Jacques !

Sir Jacques !

De partout affluent les témoignages à l’endroit de Jacques Diouf, ancien Directeur Général de la FAO, décédé samedi à Paris des suites d’une longue maladie. Ce bel hommage rendu à ce bel homme traduit la dimension acquise de son vivant tout au long d’un remarquable itinéraire académique, professionnel, politique et social. Sa carrière, menée au pas de charge, avec subtilité, habileté et ductilité, révèle le parcours d’exception de ce brillant sujet qui avait un sens prononcé de l’étape salué par ses proches, ses amis et ses collaborateurs à ses différents postes de responsabilité.

Issu d’une famille de notables, Jacques Diouf, né à Saint-Louis en 1938, y fait ses humanités et découvre la centralité d’une ville plus que centenaire, joyau architectural, avec ses lycées et ses médersas, son Prytanée militaire, les cours d’eau, l’embouchure, l’exubérance de la nature, la diversité des populations, la richesse culturelle et le brassage de générations d’intellectuels dont la montée en puissance préfigure déjà ce que sera l’Afrique de demain. Cette atmosphère, cette ambiance, disons cette période a coulé, dans le mythe, Saint-Louis, ville à laquelle est resté attaché Jacques Diouf, un amour qui ne s’est jamais démenti en dépit du poids des charges et du volume de travail.

La ville toute entière s’est honorée de cet éclectique distinction qu’a eue ce « fils du terroir » en occupant le prestigieux poste de patron de l’organisme mondial de l’Agriculture et de l’Alimentation, la FAO en l’occurrence. Pour partie, il tirait une légitime fierté de cette appartenance saint-louisienne, lieu magnétique s’il en est qui n’a cessé d’exercer son attraction sur des élites en devenir. Ce creuset de cultures, de tolérance et de rencontres fécondes a non seulement façonné l’esprit du jeune Jacques mais bien plus tard, cet acquis lui servira de bréviaire pour s’introduire avec aisance partout à l’appel du devoir.

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Son ascension répondait en écho à la fulgurance d’une autre trajectoire, celle de l’immense Amadou Mahtar MBow à la tête de l’UNESCO dans les années 80. Ils ont en commun une intelligence vive, un raffinement vestimentaire, un langage policé, une vaste culture du monde et une simplicité surprenante. Mais Jacques Diouf, plus que son prodigieux aîné, affiche un sourire d’éternité qui, aux dires de ceux qui l’ont assidument côtoyé, est un élément constitutif de son charme et une arme de… dissuasion à son corps défendant. Son pragmatisme, ajouté à sa démarche chaloupée lui confèrent des allures d’un lord british argenté, version Westminster.

Ses études à Paris sont couronnées de succès puisqu’il obtient coup sur coup son diplôme d’ingénieur agronome, une maîtrise d’agronomie tropicale, un doctorat en sciences sociales avant de décrocher dans la foulée un diplôme supérieur de gestion à New York.. Déjà se déclinent ses penchants et peut-être même les ferments de son parcours.

En 1978, le voilà propulsé ministre de la Recherche scientifique sous Senghor et député de Saint-Louis en 1983. En quittant le Sénégal pour de hautes fonctions sur l’international, notamment à Ottawa au Canada, le célèbre agronome ne tourne pas pour autant le dos à la terre, à l’agriculture, domaine dans lequel il excelle avec une certaine dextérité. Homme de terrain, il arborait avec enthousiasme sa tenue safari pour arpenter les pistes du monde agricole dont il connaissait avec perfection la texture des sols, la tenure foncière et les aptitudes de fertilisation. « Jacques s’était bien préparé pour la FAO », témoigne un ami, célèbre juriste qui énumère ses fonctions de Secrétaire exécutif du Conseil Africain de l’Arachide ou de l’Association pour le développement de la riziculture ainsi que le fameux poste de Secrétaire Général de la BCEAO de 1985 à 1991….

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Il a été élu en 1993, non pas Secrétaire Général mais Directeur Général de la FAO. Préparée longtemps à l’avance, son élection est un modèle d’organisation de la machine diplomatique sénégalaise sous la férule du Président Abdou Diouf. Lequel consentit en 1991, à la demande de Jacques Diouf bien entendu, à lui conférer le titre d’ambassadeur rattaché à la mission diplomatique du Sénégal à New York que dirigeait alors avec brio, Son Excellence Absa Claude Diallo.

Toutes les énergies furent combinées, conjuguées, tous les plénipotentiaires furent mis à contribution, les dates des grands évènements de cette période furent alignées, permettant de les classer selon leur degré de visibilité pour accroître les chances du Sénégal. Les coulisses, les apartés, les tête-à-tête, les conversations informelles, bilatérales ou multilatérales servirent à mieux « vendre » la candidature de Jacques Diouf. Son profil et son style samaritain convenaient à nombre d’acteurs de premier plan dont les positions étaient déterminantes dans le choix définitif. Naturellement Jacques Diouf, pour être élu a bénéficié également de l’appui discret mais décisif du groupe « Matignon » auquel il appartenait avec, entre autres, les anciens ministres Seydina Oumar SY dit Baba et Moustapha Niasse, l’enfant de Keur Madiabel qui maîtrisent, tous, du bout des doigts les arcanes d’une diplomatie toujours efficace, flamboyante par moment aussi respectée qu’admirée.

Jacques Diouf enchaîne trois mandats de six ans avec un éclatant succès qui lui permit d’ouvrir une fenêtre de collaboration avec le secteur privé et surtout d’amorcer une approche inédite (en son temps) de communication en misant sur la capacité des méga stars mondiales à influer sur les comportements ou à réorienter les priorités dans les politiques de développement. Sa vision du devenir du monde l’amène à culpabiliser les dirigeants enclins à considérer que les ressources vitales sont infinies, donc inépuisables. Erreur. Il se saisit des grandes tribunes (Sorbonne, Harvard, Princeton, Oxford, Wall Street, Kasumigaseki, Chicago Board of Trade) pour sensibiliser ceux qui dictent leur volonté au monde parfois même en méconnaissance des drames qui se déroulent dans d’autres hémisphères justement. Son discours accroche. Il gagne en sympathie. Il sillonne la planète, rencontre les puissants et à l’écoute favorable des plus grands dirigeants de la planète.

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« L’époque du business as usual » est révolue, aimait-t-il à marteler à chaque saisissante occasion. Très tôt, il avait perçu les surplus de production du Nord et les montants compensatoires alloués aux agriculteurs européens comme une mortelle menace pesant sur les productions du Sud. Son humanisme en bandoulière, il pourfendait les politiques d’accumulation qui laissaient sur le bas-côté, des populations sans défense. « Voir un enfant mourir de faim », l’insupporte, puisque, disait-il avec un trémolo dans la voix, « nous ne souhaiterions pas ça pour nos enfants ! » Une page se tourne…







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