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Un Artiste N’est Pas Nécessairement Un Modèle

Un Artiste N’est Pas Nécessairement Un Modèle

L’art possède toujours cette dimension exclusive, autoritaire voire violente, que beaucoup, à l’exemple du texte à charge publié sur le site français Mediapart, conspuent aujourd’hui sur la personne du chanteur ivoirien, dénommé DJ Arafat. Personnellement, bien que grand écouteur et grand collectionneur de musique, c’est un artiste que je ne connaissais que très insuffisamment, du fait de la faible correspondance que je trouvais généralement entre son style réputé fantasque et mes goûts. Le « Coupé Décalé » est en effet une musique que j’ai toujours trouvée un peu rustre et brutale, construite sur une esthétique de l’immédiat, voire de la grossièreté, qui ne rentre pas vraiment dans mes préférences pourtant éclectiques. Reste que je ne peux qu’avoir qu’un respect infini à l’endroit de l’artiste auquel je ne me suis intéressé qu’une fois passé à trépas. Pour moi, il a fait beaucoup et il me semble plutôt prétentieux d’essayer d’esquisser une ligne de « vie bonne » ou de « vie réussie » à partir du reflet souvent controversé qu’il a quelques fois donné de lui-même et de son expression artistique, avec des déclarations régulièrement tapageuses et d’autres comportements à l’obscénité avérée, fruit de son temps et des modes mondialisées qui les accompagnent. 

Autant le dire pour que cela soit clair pour tous : un artiste n’est pas nécessairement, comme certains voudraient créer l’équivalence, un modèle. En tout cas, un artiste ne se destine pas linéairement à en devenir un, sur le plan moral, philosophique ou social. Nietzsche l’avait parfaitement théorisé avec la brutalité qu’on lui connaît, et rendu à la figure du Créateur une place démiurgique et unique qu’il est inutile de déformer à partir de référents moraux sur lesquels, par ailleurs, n’existe aucun consensus. La liste des artistes à scandale est longue dans le monde, à commencer au Cameroun par ce Petit Pays qui posa nu sur la pochette de son album « Classe F » de 1996, déclenchant, comme on s’en souvient, l’ire de tous ceux qui, immédiatement, le donnèrent pour « fou » à lier.

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Arafat a fait beaucoup en son temps et à sa façon, et sa mémoire restera forte, singulière. Le génie de son passage entre les gouttes du vivant procède aussi de ces accès de violence et d’anarchie dans lesquels beaucoup lui dessinent aujourd’hui le principal trait identitaire, au coeur de cette Afrique fulgurante et parfois obsolète, dont les éclairs brûlent aussi nos fragiles imaginations, aussi loin que porte notre désespoir sur le temps qui passe et sur le peu de choses qui changent en bien. 

Il faut donc le laisser partir en paix, en rendant hommage à cette distinction unique qu’il a su porter et incarner, aux confins de nos propres errements, de vies illisibles dont le Pape François lui-même a dit, il y a trois ans, qu’il n’est pas nécessaire de faire le jugement absolu, à partir de nos propres oeillères d’intolérance et de dogmatisme. Façon de dire : seul Dieu tient le tableau comptable à partie double, sur nos fautes et nos chances d’absolution. Or Dieu lui-même s’est depuis la nuit des temps donné à vivre à l’humain, comme le réceptacle de l’infinie miséricorde, testament vers l’éternité qui a conduit Jésus Christ à sauver Barabas, un bandit de grand chemin qu’il ne connaissait guère, mais crucifié le même jour que lui. Il est donc particulièrement imprudent de parler trop vite sur le compte de ce jeune homme de 33 ans, mort à l’évidence trop vite et certains disent, inutilement. Il faut laisser errer son âme dans la voie lactée et les galaxies inhabitées de notre système solaire, où il est sans doute en ce moment même, sur le chemin de la rencontre sereine avec le Bon Dieu. Lequel Bon Dieu, sur ce coup, montrera bel et bien à quel point il est bon, parce que essentiellement porté sur le chemin, et donc la rédemption, plutôt que sur les actes et donc le péché. Longue vie à DJ Arafat. 

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