Les événements tragiques de Koumpentoum qui ont vu le commandant de Brigade assassiné par une bande de malfaiteurs qui tentaient de dévaliser le bureau de poste, représente un maillon de la longue liste d’atteinte à la sécurité des personnes et des biens dans une ambiance sécuritaire volatile à nos frontières sur fond d’initiatives d’intégration économique et politique, qui promeut une plus grande solidarité sous régionale.
Mais la rapidité avec laquelle les forces de sécurité ont mis hors d’état de nuire la bande de criminels à l’origine de l’attaque montre, si besoin en était, la perspicacité et l’efficacité de nos Forces de défense et de sécurité (Fds) dans l’identification, la recherche et la neutralisation d’éléments actifs du crime organisé sur toute l’étendue du territoire national.
Nul ne doute que pour arriver à ce résultat, les Forces de sécurité ont sûrement exploité des informations venant du public, combinées au renseignement électronique, pour suivre et cartographier les mouvements de la bande à la recherche d’un refuge hors de la zone d’action des forces de lancées a leurs trousses.
Dans le même temps à Dakar des jeunes venus à la prière ont démasqué et permis l’arrestation de personnes camouflées en «Burqa» tentant de se fondre dans la foule pour perpétrer un acte criminel. Bien que le mobile servi à la police ait été une tentative de vol, le mode d’action utilisé ressemble fort à ceux identifiés dans les pays en proie au terrorisme.
Dans ces deux cas et dans bien d’autres qu’il serait fastidieux d’énumérer, ce sont des personnes anonymes qui ont su déjouer à temps le stratagème des malfrats, aider les forces de sécurité par une information critique ou sonner l’alerte pour sauver des personnes en danger.
Dans le domaine de Sécurité civile, l’accident de l’hélicoptère de l’armée de l’air survenu le 4 mars 2017 à Missira a montré combien la participation citoyenne à la préparation et à la réponse contre les catastrophes est un enjeu vital pour une plus grande efficacité de la réponse.
En effet au cours de cette catastrophe aérienne, ce sont des pêcheurs qui ont rejoint au plus vite la zone d’incident, pour porter les premiers secours aux occupants de l’hélicoptère usant de leurs «téléphones portables» pour s’éclairer avant d’alerter les autorités. Sept personnes ont été extraites des décombres par ces pêcheurs.
Combien aurait-il fallu de temps pour alerter, organiser et projeter les secours sur zone sans l’apport précieux des populations ? Sans nul doute assez de temps pour voir le bilan des victimes s’alourdir !
Au demeurant, l’importance de la participation citoyenne à la sécurité a été identifiée et recommandée à l’occasion des attentats de Westgate au Kenya.
L’attaque de ce centre commercial, revendiquée par les Shebab somaliens en septembre 2013 et qui a fait 68 morts et plus de 200 blessés après trois jours de combat contre les terroristes retranchés dans le bâtiment, aurait pu être éventée, selon les enquêteurs, si seulement les populations avaient pu alerter les autorités sur la présence d’éléments du commando faisant des emplettes ou du sport dans leur voisinage immédiat et probablement procédant à une reconnaissance visuelle de la cible.
En fait, c’est bien après la diffusion de l’identité des terroristes que des témoignages ont fait état de ces rencontres fortuites.
Au Burkina-Faso, après l’attaque de «l’Hôtel Splendide», ce furent les mêmes témoignages faisant état d’interactions avec les terroristes à proximité de la cible et même carrément dans l’hôtel devisant parfois avec leurs futurs victimes.
Ces exemples montrent, s’il en était encore besoin, combien la participation citoyenne peut renforcer la Sécurité publique, la Sécurité civile et même la Sécurité nationale dans un contexte où la globalité de la menace a fait sauter les cloisons entre les différents domaines organiques de la sécurité.
Cette nécessité de la participation citoyenne n’est pas nouvelle en soi du point de vue de la sécurité publique, puisqu’ayant été prise en compte très sérieusement il y a plus de quatre-vingts ans, d’abord au Royaume Uni avec la mise en place en 1937 du premier numéro d’appel d’urgence unique «le 999» a l’occasion d’un incendie ayant fait seulement… cinq morts (sic) en lieu et place des «cabines d’urgence» érigées en ville et qui se sont avérées inefficaces à répondre à l’appel de détresse des victimes.
Ensuite les Américains, dans leur pragmatisme légendaire, emboiteront le pas aux Britanniques en mettant en place en 1968 le «911» rendu célèbre par les récits captivants de Pierre Bellemare dans la série «Enquêtes Impossibles», adaptation française des séries américaines «Forensic Files» et «American Justice» qui ont tenu en haleine des millions de téléspectateurs sénégalais. Qui peut aujourd’hui mettre en doute l’efficacité du «911» dans la lutte contre le crime organisé, dans l’identification d’auteurs de «crime parfaits» et dans l’intervention pour mettre un terme à une agression ou à une altercation familiale qui aurait pu finir par un crime passionnel ? Ce ne sont surement pas les millions de personnes appelant plus de 240 000 000 de fois «911» par an sur 99 % du territoire américain pour une urgence qui diront le contraire.
Mais aujourd’hui, au-delà du «touch tone» ou du téléphone à roulette de grand père, des outils redondants de communication sont mis à la disposition du public (téléphone portable, e-mails, réseaux sociaux..). Ces outils, qui ont durablement pris place dans les foyers les plus reculés du pays, ont permis de bâtir une «citoyenneté augmentée».
Cette «citoyenneté augmentée», au-delà de la fonction ludique qui lui a donné naissance, peut servir à la mise en place d’une véritable stratégie de «sécurité collaborative» permettant aux citoyens de participer à leur propre sécurité face aux menaces directes à leur intégrité physique ou à celle d’un tiers ou simplement pour prévenir d’un danger imminent ou d’un fait insolite porteur de menace.
C’est du Kenya que nous vient une des initiatives les plus connues dans le monde destinée à soutenir cette stratégie de «sécurité collaborative» : la plateforme «Ushaidi» dont l’histoire mérite d’être contée.
En effet, durant les violences postélectorales survenues dans son pays en 2000, une activiste kenyane constate que les troubles sont peu couverts par la presse et lance l’idée d’un outil permettant aux populations habitant près des zones de l’incident de visualiser les «lieux dangereux» et de les signaler. Elle lance le site Ushahidi (témoin ou témoignage en Swahili) en janvier 2008 avec le un blogueur américain.
Ushahidi utilise le concept de crowdsourcing au service de la cartographie sociale. La plateforme collecte des témoignages envoyés par courrier électronique et Sms, et les place sur une carte accessible en ligne.1
En 2012, «Ushaidi» est utilisé par 22 000 projets citoyens répartis dans 154 pays.
Au plan institutionnel, la plateforme est utilisée «Ushaidi» par le ministère supervisant les élections législatives indiennes de 2009 pour permettre aux électeurs de signaler d’éventuelles irrégularités.
Dans le domaine de la préparation et de la réponse aux catastrophes, après le séisme de 2010 à Haiti, le bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’Onu (Ocha) l’utilise pour cartographier les zones touchées et faciliter l’aide aux sinistrés6.
Cette réussite a poussé le département d’Etat des Etats-Unis à mettre cet outil en avant lors des TechCamps (Workshops regroupant une large palette de participants en face d’experts Ntic pour trouver des solutions innovantes à des challenges réels).
L’Onu fait appel à «Ushahidi» durant l’intervention militaire de 2011 en Libye afin de mieux coordonner l’aide humanitaire.
Aujourd’hui c’est la Cedeao qui porte ce projet destiné a doté la sous-région d’un système d’alerte sous régional et renfoncer les systèmes d’alerte précoce déjà opérationnels.
Cette plateforme d’alerte «Ushaidi» travaille en synergie avec une autre plateforme libre d’accès (open source) assurant la cartographie des ressources appelée «Sahana» à travers un «Centre d’Operations d’Urgence» assurant la coordination et la cohérence de la réponse.
L’emploi de ces plateformes est renforcé par les logiciels «Kobo collecte» et «Epi collect» destinés aux équipes techniques déployées sur le terrain pour la remontée en temps réel des rapports et «Qgis» (Système d’information géographique, Sig) pour digitaliser les alertes envoyées sous forme de photos (Raster data).
Pour les sociétés démocratiques, ces outils sont une véritable aubaine.
En effet ces sociétés ont enregistré une érosion drastique de «l’esprit de défense» jadis bâti par la «défense civile» sur les ruines de la «2ème Guerre mondiale» et entretenu au fil du temps par la conscription et les différentes formes de services militaires alternatifs ou de services nationaux.
Mais la chute du «Mur de Berlin» et l’implosion du Bloc communiste ont poussé les planificateurs à considérer comme obsolètes ces «Jamborees» nationaux où se forgeaient la jeunesse et l’unité nationale, désarmant ainsi les sociétés démocratiques face au terrorisme et aux menaces multiformes et «comme à d’autres moments funestes de l’histoire humaine, la conscience citoyenne s’est trouvée paralysée, et assiste impuissante à la destruction de toute réflexivité vitale à sa propre préservation» pour paraphraser Hamit Bozaslan.
Les pays sous développés, qui n’ont pas connu ces étapes cruciales dans la construction nationale, sont encore plus vulnérables, surtout ceux qui n’ont jamais mis en place la conscription ou des alternatives d’encadrement de leurs citoyens.
Les Ntics apparaissent ainsi pour ces pays, comme un palliatif à cette hérésie, en redonnant aux citoyens, à travers les outils mis à leur disposition, l’initiative de la participation à la construction nationale pour laquelle la «sécurité» est le socle.
Plusieurs pays africains ont mis en place ces plateformes en les combinant souvent à d’autres outils d’alerte précoce pour assurer la redondance de leur système d’alerte.
D’autres pays ont même vulgarisé ces outils pour permettre aux étudiants en Ntics de développer des solutions innovantes dans les domaines de la médecine, de l’agriculture, des échanges communautaires etc.
Ainsi, aujourd’hui face aux menaces multiformes, la population peut être d’un apport inestimable dans le renforcement de la Sécurité nationale par la «citoyenneté augmentée» que lui confère la maitrise des Nouvelles technologies de l’information et de la communication mises au service d’une «sécurité collaborative» dynamique.
Le Général Eisenhower, Commandant suprême de Forces alliées en Europe et 34ème Président des Etats-Unis d’Amérique (1953-1961) disait que «c’est l’opinion publique qui gagne les guerres» («public opinion wins war»), aujourd’hui plus qu’avant, face à l’asymétrie des conflits et le caractère pernicieux des menaces, intégrer l’opinion publique dans la stratégie de sécurité nationale est le gage de l’efficacité de la réponse et aucun pays ne devrait en faire l’économie.
Colonel (Er)
Mamadou ADJE
Expert des «Affaires civiles»
Spécialiste “Communication de Defense”
Facilitateur West african disaster preparedness initiative (Wadp)
makoumba4@yahoo.fr