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L’institution Sainte Jeanne D’arc, Nouveau Législateur Dans Un Etat Défaillant (par Abdou Karim Salam)

CONTRIBUTION 

De quoi le renvoi d’élèves portant le voile par l’Institution Sainte Jeanne d’Arc est-il le nom ? Est-ce une nouvelle provocation ou bien la suite logique d’un Etat défaillant et totalement indifférent à la bonne marche du service public de l’éducation nationale dont il a la responsabilité ? Le règlement intérieur d’une école exerçant une mission de service public sur la base d’un agrément délivré par l’autorité administrative qui interdit un signe religieux aux élèves pose fondamentalement un problème de droit. Donc on est en face d’un problème de droit positif et non d’un conflit religieux qui ne peut être réglé par les islamologues. Le problème juridique est simple : l’Institution Jeanne d’Arc a-t-elle le droit d’interdire le port du voile dans son établissement ?

Un règlement hors la loi !

Déjà, il faut souligner que la méthode employée par la direction de l’école tendant à faire signer aux élèves le règlement intérieur de l’école avant toute inscription est un chantage inacceptable. Soyons clairs, un règlement intérieur, ça ne se signe pas par les élèves ! Ça s’affiche ! C’est ce qui le rend opposable à ses destinataires. La signature des élèves est un acte superfétatoire qui dénote plutôt une volonté de retourner la signature contre elles, le moment venu. Nous y sommes. Cependant, peu importe. Le règlement intérieur n’est pas un contrat. Il s’agit d’un acte administratif unilatéral pris dans le cadre de l’exercice d’une mission de service public confiée à l’école par l’Etat sur la base d’un agrément qui peut être retiré à tout moment. Il n’a, par conséquent, de valeur juridique que dans le respect de la loi. Or, la Constitution en ces articles 5, 8, 22 et 24 ainsi que l’article 4 de la loi d’orientation de l’Education nationale n° 91-22 du 16 février 1991 garantissent sans ambigüité la liberté de conscience et la liberté religieuse.

De même, le décret n° 98 – 562 du 26 juin 1998 fixant les conditions d’ouverture et de contrôle des établissements d’enseignement privés n’offre aucune brèche permettant à l’Institut Jeanne d’Arc de s’arroger le droit de choisir ses élèves parce qu’elles ne respectent pas un règlement intérieur qui interdit le voile. L’institut Jeanne d’Arc ne tire aucun titre juridique dans la législation sénégalaise lui permettant d’interdire le voile.

Une nouvelle tutelle, la Congrégation

Ce qui est le plus choquant dans le nouveau règlement intérieur de cette école, c’est qu’au lieu de viser la loi d’orientation sur l’éducation, cette école a l’outrecuidance de se baser sur un «texte» sans effet dans notre ordre juridique, à savoir celui de la congrégation des Sœurs de Saint Joseph de Cluny, tutelle religieuse de l’Institution Sainte Jeanne d’Arc. Depuis quand les sœurs françaises ont-elles le droit de régenter une partie de l’école sénégalaise ? Les actes pris par la congrégation française ne sont pas opposables aux élèves, encore moins à l’Etat sénégalais. Accepter que les nouvelles règles de la congrégation s’appliquent en terre sénégalaise, c’est non seulement leur donner un effet juridique, mais assurer en même temps leur application extraterritoriale alors que techniquement les actes pris par la congrégation sont de purs faits. En tout cas, selon la loi, la tutelle administrative de l’Institut Jeanne d’Arc, c’est le ministère de l’éducation nationale.

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A y regarder de plus près, l’Institution Jeanne d’Arc veut prendre aussi la figure du législateur, l’Assemblée nationale. C’est pourquoi, devant un juge administratif sérieux et dans le cadre d’une requête en référé- liberté (48 heures), ce nouveau règlement intérieur de l’Institution Jeanne d’Arc peut tout naturellement être annulé dès la semaine prochaine.

Soulignons au passage que l’Ecole n’apporte aucun argument juridique digne de ce nom pour justifier sa mesure discriminatoire. Lorsqu’on sort maintenant de l’argumentaire juridique, la direction de l’école, tout comme ceux qui soutiennent la mesure, n’apportent aucun autre argument convaincant.

Le «vivre ensemble». Voilà l’une des excuses qui sert de fondement à cette mesure discriminatoire. Quel est ce nouveau type de «vivre ensemble» ? Quel est le sens du «vivre ensemble» si nos différences élémentaires ne sont pas acceptées, respectées d’autant plus que dans l’enceinte même de l’école, Mariam (Asl), la mère de Issa (Asl) est représentée en Sainte voilée ? Quel est ce vivre ensemble qui veut effacer systématiquement l’altérité ? De même se baser sur de supposés comportements individuels (refus de saluer les garçons, refus de s’assoir avec eux, etc.) pour prendre une mesure d’interdiction générale du voile dénote une volonté de frapper à l’aveuglette toutes les filles voilées, au présent comme au futur. Ces comportements de certaines filles voilées, non seulement, nous les retrouvons dans toutes les écoles (publiques comme privées), mais ne peuvent objectivement concerner toutes les filles voilées. Et même si c’était le cas, il reste que ce sont les comportements incriminés qui sont en cause et non le voile. Pourquoi viser le voile ? Si on vise un comportement déterminé et surtout à condition qu’il ait un lien direct avec l’enseignement dispensé, on devrait plutôt s’inscrire dans la perspective disciplinaire (conseil de discipline) et non viser un acte de foi.

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L’école Sokhna Mariama Niass, la mal connue

Mes amis chrétiens aiment beaucoup prendre l’exemple de cette école afin de justifier la discrimination dont font l’objet nos soeurs voilées. Le problème, c’est que la comparaison avec l’école Sokhna Mariama Niass ne tient pas pour au moins deux raisons simples. D’une part, à ce jour, personne, je dis bien personne, ne peut prouver que l’école Mariama Niass dispose d’un règlement intérieur qui rend le port du voile obligatoire. Qui peut le prouver ? Au contraire, la réalité des faits montre que c’est un fantasme utilisé à tort pour défendre l’inacceptable. Dans l’émission «Les mômes», diffusée par la 2Stv et consacrée à cette école, il est surprenant de voir que la plupart des filles de cette école ne sont pas voilées (https://www.youtube.com/watch?v=jfNRBnEp2w4).

D’autre part, il faut d’abord trouver des parents catholiques qui veulent inscrire leurs enfants dans une école fortement marquée par l’environnement islamique. Dans ce cas, ils seront tout autant admis à s’inscrire et étudier comme les filles non voilées que vous voyez dans l’émission «Les mômes». Aux soeurs chrétiennes qui veulent étudier dans cette école, Seyda Mariama Niass sera certainement heureuse de vous accueillir.

Une affaire sénégalo-libano-polonaise…

Les réseaux sociaux offrent à certains Sénégalais, toutes confessions confondues, l’occasion de défendre la mesure discriminatoire en se fondant sur un argument aussi faux que raciste : «Ce sont les Libanaises qui veulent imposer…». Encore une fois, nous avons à faire à un problème juridique et de ce point de vue, seules les réponses juridiques sont pertinentes. Cela veut dire : même une jeune fille polonaise convertie à l’islam, voilée et vivant régulièrement au Sénégal, sans même avoir la nationalité, ne peut se voir opposer l’interdiction du port du voile lors de son inscription à l’école Sainte Jeanne d’Arc ! Ce n’est pas une question d’origine, mais de texte. C’est parce que c’est une question de principe qu’aussi ni la question du statut social des filles, ni la responsabilité religieuse des parents musulmans (qui devraient, selon certains, sortir leurs enfants de l’école) ne sont pertinentes en l’espèce. C’est un autre débat.

Solutions

1°) Fermeté

. La nouvelle médiation engagée par le ministre de l’Education après avoir rappelé, au mois de mai dernier, à la direction de l’école l’état de la législation, révèle deux choses. La première, c’est que la direction de l’école n’a aucun égard vis-à-vis de nos autorités, sinon elle n’aurait pas eu le courage de récidiver. La seconde, c’est que nous avons un Etat faible qui a l’habitude d’accorder des privilèges exorbitants du droit commun aux écoles étrangères, notamment françaises. Le cas du traitement socio-professionnel discriminatoire des enseignants sénégalais dans ces écoles en est un exemple. L’Etat sénégalais aborde le problème sous l’angle d’un différend l’opposant à une école. Erreur ! Il ne s’agit point d’un différend devant faire l’objet de médiation, mais d’un acte volontaire de défiance à l’autorité de l’Etat par un établissement privé assurant, pour le compte de l’Etat, une mission de service public. Comment une école qui reçoit les subventions de l’Etat à bras ouverts peut-elle piétiner de façon aussi désinvolte la liberté religieuse que la loi et la Constitution garantissent ? C’est d’autant plus inacceptable que la discrimination dont sont victimes ces filles voilées menace la paix civile et nos équilibres sociaux.

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2°) Réglementer les règlements intérieurs.

Il est curieux de noter, en 2019, un vide juridique à ce niveau. A part la simple «injonction-engagement» faite aux établissements privés de se «conformer strictement à la réglementation officielle» (voir article 3 du décret n° 98 – 562), aucun autre texte ne vient réglementer l’élaboration et la validation des règlements intérieurs des écoles. Dans nombre de pays, le ministre produit un règlement-type à l’intention de tous les établissements qui peuvent s’en inspirer pour établir les leurs. Je rappelle que dans le pays de la Congrégation Soeurs de Saint Joseph de Cluny, c’est-àdire la France, le règlement intérieur d’une école ne devient exécutoire et n’a le caractère d’un acte administratif que 15 jours après avoir été transmis à la tutelle qui en assure logiquement le contrôle de conformité. Certains établissements publics comme privés français s’attachent même les services de cabinets d’avocats pour bien rédiger leurs règlements intérieurs afin non seulement de ne pas être hors la loi, mais juste pour prévenir les procès. Je signale que même pour les associations et les sociétés privées, la loi sénégalaise propose des statuts-types. A quand un règlement intérieur-type pour les écoles sénégalaises ?

 

 

 

 

 

Abdou Karim SALAM

Enseignant-chercheur Nantes, France

 

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