Ce n’est pas parce que le Sénégal est un pays laïque de par sa constitution, qu’on ne peut pas y parler de religion, l’enseigner et en partager les valeurs. Or, c’est bien de nos valeurs religieuses qu’il s’agit dans la polémique qui agite la société sénégalaise à propos de l’interdiction du voile à Sainte Jeanne D’Arc, une école catholique renommée de Dakar.
Je ne vous apprends rien en vous disant que l’islam est la religion prédominante au Sénégal, où les musulmans sont estimés à plus de 90 % de la population et affiliés dans leur immense majorité au soufisme, ni en vous rappelant que l’on pratique ici une religion traditionnellement tolérante et respectueuse envers les autres cultes.
Pour ceux qui voyagent au Sénégal, ils n’auront pratiquement jamais aperçu aucune burka. Au contraire, la femme sénégalaise est très coquette et ne cherche pas du tout à masquer sa beauté. Le Sénégal, Dieu merci, n’a jamais été un pays d’islam particulièrement « bruyant », à l’image de certains de ses voisins et sa pratique religieuse ne représente aucun danger pour nos institutions et nos citoyens.
Au passage, je voudrais ici saluer le courage de nos intellectuels et éditorialistes, qui contre les aboyeurs haineux des réseaux sociaux, tirent la sonnette d’alarme pour défendre ce modèle d’« islam à la sénégalaise », qui s’impose au reste du monde à l’image de sa jeune expérience démocratique.
Dans cet établissement donc, qui a refusé d’admettre en cours des élèves musulmanes portant le voile, nous sommes d’abord en droit de se demander, pourquoi ces familles musulmanes ont choisi cette école catholique pour y scolariser leurs enfants ? Pourquoi ?
Mais sur le cœur du sujet, que dire de plus et de mieux que Serigne Modou Bousso Dieng, coordonnateur de la Confédération internationale des familles religieuses, qui déclare que ceux qui protestent contre l’interdiction du voile à l’Institution Sainte Jeanne d’Arc de Dakar, « ont tort et font tort aussi à l’Islam ». Le responsable religieux de Touba ajoute sur les ondes de la RFM : « Cette affaire de voile n’est pas une affaire de religion mais une question de liberté ». Et de continuer sans aucune ambiguïté : « A part les règles qui régissent le fonctionnement de nos écoles de manière générale, il y a des établissements qui ont leurs particularités. C’est le cas de l’institut Al Azhar qui enseigne les préceptes de l’Islam (prières, le Coran, la vie et l’œuvre du Prophète PLS…). Donc, s’il se trouve qu’il y a aussi une école catholique qui a les mêmes particularités, les parents d’élèves de confession musulmane doivent quitter cet établissement et aller voir ailleurs ». « C’est aussi simple que ça », tranche-t-il.
Loin de moi l’idée de critiquer une femme pour la façon qu’elle a choisie de s’habiller ou de pratiquer sa religion, mais enfin, s’agissant de jeunes filles, quand ce n’est pas d’enfants, quelle est la part du discernement et celle de l’endoctrinement ? Il suffit d’entendre le témoignage de l’une de ces élèves : « Ils nous ont amené dans une salle avec toutes les voilées, qui étaient là depuis le matin. On ne savait pas ce qu’on avait fait. Je me sentais rejetée, rabaissée par mon école, ma seconde famille, qui m’a rejeté pour qui je suis. On ne va pas céder, on ne va pas baisser les bras. Je mène ce combat pour ma religion, l’islam. » Il suffit de comprendre ce cri à la persécution « religieuse » pour se rendre compte de la volonté d’attiser le conflit inter-religieux.
Car que voulez-vous, même dans un pays à dominante musulmane dont la pratique religieuse incite à s’ouvrir aux autres et à vivre ensemble dans la diversité culturelle, la laïcité peut être soumise à rude épreuve.
La tendance générale dans le monde est au repli identitaire et à la crispation, au communautarisme borné ou au fondamentalisme religieux, remettant en cause la liberté individuelle ou l’égalité homme femme.
Malheureusement, ce sont souvent les plus démunis et les plus fragilisés qui se réfugient dans ces fausses certitudes.
Le Sénégal qui représente la porte saharienne de la pénétration islamique en Afrique noire a un rôle déterminant à jouer quant aux dispositifs sociaux de prise en charge de la misère.
Pour le reste du monde, l’occident dont la France a déjà par le passé, envoyé aux antipodes des navires pour sauver des « boat people » ! Comment expliquer qu’il ne fait rien de déterminant face à des gens qui fuient aujourd’hui pareillement la faim, la souffrance ou la mort sur un bateau de fortune en Méditerranée ? Là aussi nait le terreau de ces nouvelles idéologies racistes, discriminantes et identitaires.
Mais je me perds dans ma dissertation, trêve de conjectures, retournons à l’école. Le voile est désormais interdit dans les murs de l’Institution Sainte Jeanne d’Arc de Dakar. Bien nous en fasse ! Quelles que soient les déclarations politiciennes pour mettre en difficulté le régime et les propres marges de manœuvre de l’Etat pour faire avancer ce débat, qu’on se le dise, la société civile est là et ne tergiversera pas !