Autour de l’Ecole rode la morale de Gribouille : frapper fort en sonnant du clairon pour ameuter et susciter la louange, la flatterie ou la menace ! Certes une hirondelle ne fait pas le printemps mais l’interdiction frappant le port du voile au sein de l’Institution Sainte-Jeanne d’Arc risque de déborder son lit. Au nom de la cohésion nationale, l’Etat offre des faveurs à toutes les confessions, donc aux religions.
En revanche, il se tient à équidistance des chapelles pour légitimer son statut de puissance publique mais aussi et surtout pour sanctifier son caractère laïc. Oui, notre République, s’appuyant sur un pouvoir issu d’élections, prône la laïcité qui à son tour, s’appuie sur le principe de la séparation de la société civile et de la société religieuse. Les libertés de culte et de conscience structurent cette laïcité complétée par l’égalité de tous devant la loi (toutes croyances et convictions confondues).
Or, qui dit liberté dit choix. Lequel est consubstantiel à la citoyenneté dont le lieu d’élaboration demeure justement l’école, fille de cette laïcité d’inspiration Jules Ferry. Homme d’Etat français et figure de proue de nombreuses réformes de l‘enseignement, il s’est ainsi attribué la plus emblématique d’entre elles, celle de l’obligation scolaire plus précisément.
Comment débusquer la vérité dans ce qu’il est convenu d’appeler le feuilleton de rentrée ? Qui a intérêt à dramatiser une actualité somme toute banale ? Pourquoi divertir les opinions quand la vie ressemble à une tragédie ? La manifestation de vendredi dernier visait-elle à maintenir le suspense ou allait-elle être le reflet de la réalité ? A force d’agiter la stigmatisation, ces demoiselles en foulard font-elles fuir le public ou élargissent-elles la plateforme de sympathie à leur égard ?
En clair, il s’agit d’un mauvais procès fait à un établissement dont le seul tort est d’organiser son modèle d’enseignement en l’assujettissant à une discipline, à une rigueur, en un mot à une gestion préventive des excès. Céder à l’émotion équivaudrait à laisser apparaître la fragilité de notre système éducatif, sa vulnérabilité et peut-être même le précaire équilibre qui le caractérise. Seules 22 élèves sur un effectif total de 1 740 lycéens protestent contre le règlement intérieur de l’Institution après l’avoir signé préalablement ! De ces vingt-deux, dix-neuf sont de nationalité libanaise.
Si l’Etat assure la transparence (qui est un des ses attributs régaliens), la fièvre pourrait retomber aussi vite qu’elle était montée. A son tour, l’Institution, à travers ses ordres d’enseignement ainsi que son personnel d’encadrement s’emploierait à exercer avec beaucoup de compétence. Ce qui, au finish, exigerait beaucoup plus de lucidité de la part des citoyens. Naturellement, de part et d’autre, la vigilance s’impose. Elle est même requise pour tenir l’école à l’écart des crispations identitaires. Surtout lorsque celles-ci prennent racine dans un univers plus complexe avec des ramifications emberlificotées risquant de plomber notre projet de vie en commun dans l’acception de nos différences. Le Sénégal claironne partout que sa société est riche de sa diversité. Doit-on dès lors permettre, au nom du droit à l’expression, l’éclosion de divisions au sein des couches sociales en quête d’intégration ?
« Dans ton école il y a des musulmans, des juifs, des chrétiens ? », demande un bourricot. « Non, dans mon école il n’y a que des enfants », répond l‘autre avec un admirable sens de la répartie. Cet échange, fictif ou factice, donne la pleine mesure de l’imbroglio dans lequel les adultes, pour des motivations inavouées, filent aux enfants des messages qui ne sont ni les leurs, ni de leur âge encore moins de leur imagination juvénile. Sinon comment comprendre que de la bouche d’une enfant sortent ces propos : « Mon foulard est mon identité. Je mènerai le combat jusqu’au bout ! » Quel combat entend mener cette adolescente à la voix chevrotante ? Dans le contexte académique, le seul combat valable est la réussite scolaire. Il est fort à remarquer l’élève en question ne soulève pas une question d’intégration dans la société sénégalaise. Autrement dit, la confrontation revêt une signification qui exclut toute implication du Sénégal.
Ces filles, d’extraction étrangère, affichent leur voile non sans fierté alors que pour d’aucuns, elles subissent l’arbitraire dicté dans leur pays d’origine. Porter par substitution une lutte d’une autre dimension expose les enfants et dévoile les projets cachés de ceux qui avancent masqués. Veulent-ils se servir de l’école comme « d’un nouveau périmètre d’affrontement idéologique » ? Il est temps de se regarder. Un peu. Car, faute d’extension du champ d’action de cette vigilance, l’école cessera d’être le creuset de la citoyenneté républicaine pour n’apparaître finalement que comme l’enclos de rivalités d’une autre époque.
L’école sort-elle indemne de ces bras de fer ? Elle sait se défendre, laissée à elle-même. D’autant que les outils à sa disposition (lois et règlement, projet, dessein, mission, ambition et objectifs confondus) la protègent des incursions fréquentes de ceux-là qui veulent imposer les signes religieux dans l’espace public. En France, la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, en 1905, avait, dans la foulée, interdit le port de la soutane chrétienne non sans une véhémente protestation du clergé français. Le Conseil d’Etat avait annulé la plupart des arrêtés d’interdiction des vêtements religieux chrétiens pris par certains maires anticléricaux.
Aux termes de longues péripéties, il est établi que la « République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes. » Toutefois, les pouvoirs publics tergiversent sur la nécessité d’une loi quand bien même ils agitent fréquemment l’interdiction législative de signes religieux « ostensibles » à l’école, au collège ou au lycée.
Un guide religieux bien en cours donne la sentence : « les filles voilées de l’Institution Sainte Jeanne d’Arc ont tort et leur obstination est déraisonnable. » Sans appel !