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Cheikh Entre Boris Et Bachir

Cheikh Entre Boris Et Bachir

Au pays du masla, cette valeur conciliante jadis consacrée, mais de plus en plus houspillée, les prises de position prennent des allures de polémiques. Les opinions divergentes s’entrechoquent dans une atmosphère tendue comme une joute entre Modou Lô et Balla Gaye 2, une querelle de coépouses surexcitées ou une rivalité d’ouailles fanatiques de marabouts illuminés. Les tranchés deviennent infranchissables et les barricades se hissent.

L’huile est jetée au feu, les cases s’enflamment comme des torchis dévastateurs. L’incident alimente les vindictes et invectives d’arbitres autoproclamés, d’acteurs souvent mal avisés qui ont les nerfs à fleur de peau. Des jacasseries en plus pour encore alimenter une montagne de frustrations d’un été chaud en affaires de tous genres.

Entre Boris et Bachir, le débat n’est pas encore instauré. J’ose espérer que le combat n’aura pas lieu. Les propos de part et d’autre auront le mérite sans doute de nous réveiller de ce long sommeil pour revisiter les œuvres des savants d’envergure comme Cheikh Anta Diop, Amadou Hampâté Ba, Frantz Fanon et autres icônes spirituelles ou maîtres traditionnistes qui ont construit un capital culturel négligé ou travesti aussi bien par le système ambiant que par l’élite et les masses.

Souleymane Bachir Diagne, le bien nommé «Esprit pétillant» par Cheikh Anta Diop en personne, est un brasseur d’idées, un philosophe qui revisite les grandes idées pour nous en livrer le musc, une liqueur exquise dans une coupe en cristal.

Boubacar Boris Diop, ancré dans son substrat culturel, nous invite à l’authenticité qui est le ferment d’une souveraineté assumée dans l’inconfort de nos réalités.

Ces clichés n’enlèvent en rien les mérites de ces illustres personnalités. Ces deux étoiles de notre intelligentsia permettront, à notre avantage, de reconsidérer à sa juste valeur le «Soleil» Cheikh Anta, le Ré dont les rayons pris dans la brume idéologique de ses adeptes et pourfendeurs brillent encore sur notre univers scientifique et notre mémoire collective.

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Cheikh Anta aimait le débat. Il acceptait les critiques qui lui permettaient de revenir plus clairement sur les problématiques soulevées. Ses réponses à Raymond Mauny ou Jean Suret Canale entre autres restent lumineuses et épiques. Le colloque du Caire de 1974 l’installa au sommet de l’Egyptologie par la puissance de ses arguments, avec l’apport considérable de Théophile Obenga, face aux sommités de l’époque représentant les plus grands instituts de recherche en Egyptologie du monde entier.

Sa vie d’intellectuel engagé fut un sacerdoce, un chemin de croix. Il mena une lutte titanesque contre des mandarins triomphants dans les bastions inviolés de la Sorbonne, l’université conservatrice et jalouse de ses reliques.

L’enfant de Thiaytou fut un intellectuel armé de science et de bon sens. Méthodique et rigoureux, il usa d’une panoplie de sciences pour aborder en faisceaux des questions d’une grande complexité qui invoquaient des connaissances pluridisciplinaires. Il travailla sans complaisance dans un contexte défavorable et dans l’inconfort le plus total en essayant de créer les conditions lui permettant d’asseoir une crédibilité scientifique. C’est ainsi qu’il mit en place le fameux laboratoire de datation carbone 14 au sein de l’Ifan. Tout seul, il montra la voie royale de la pluridisciplinarité au service de la réécriture de l’histoire universelle qui redonne à l’Afrique sa véritable place dans cette aventure humaine. Le Pharaon porta le casque conquérant du conférencier qui voulait remettre l’histoire à l’endroit et dénoncer cette falsification qui refuse l’entrée du continent berceau de l’humanité et de l’histoire dans cette «histoire confisquée». Il essuya avec sérénité les attaques et travailla avec acharnement et sans répit jusqu’à son dernier souffle, un jour de février 1986.

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Cheikh Anta, en Sphinx, mérite bien ses lettres de noblesse que nous, censés devenir ses héritiers, peinons à redorer. Pis, une partie de l’intelligentsia sénégalaise le prit en grippe. De bonne foi et tout à son honneur, l’économiste Amady Aly Dieng fut un de ses virulents critiques. Jeune aspirant historien, je fus interloqué lorsque l’historien Mamadou Diouf, que j’admire toujours, me jugea ne pas être ambitieux pour avoir choisi Cheikh Anta Diop comme «référence». Attitude taquine sans doute pour calmer mes ardeurs ! Pis, les principaux animateurs de l’école d’égyptologie de Dakar fragilisèrent cette discipline d’avant-garde par des querelles crypto- personnelles et puériles.

La sortie de Boris et la lettre riposte de Bachir auront certainement l’avantage de ressusciter Cheikh Anta, cette célébrité si peu lue ou écoutée et toujours pas enseignée dans l’antre même qui lui est dédié. Est-ce enfin le moment de revisiter son œuvre, une offrande si féconde faite au Peuple africain que nous avons l’insouciance de ne pas mettre dans l’écrin de notre besace vide ?

Cheikh Anta n’était ni raciste ni afro centriste comme cette catégorie bruyante de «panafricanistes» réactionnaires et exaltés qui ont travesti son œuvre et qui rendent un mauvais service à sa cause en se réfugiant dans des slogans creux et une victimisation qui attisent la haine raciale.

Vivement un dialogue franc entre Africains sur les défis à relever ! Haro sur les réactions épidermiques sans lendemain qui nous plongent encore dans les dédales ténébreux de cette frustration paralysante !

Cheikh avait posé les fondements économiques et culturels de l’Etat fédéral, à nous d’en jauger la pertinence et déterminer les conditions de sa faisabilité.

Le vrai problème qui se pose est celui de la souveraineté dans ses dimensions politiques, culturelles et économiques. Comment inventer notre avenir en nous inspirant des modèles endogènes qui ont fait leurs preuves sur le continent ? Comment nous affranchir de la séquence coloniale qui ne peut constituer le seul référentiel de notre modernité en construction ? Comment transcender ces frontières grotesques que nous avons contribué à fossiliser ? Comment garantir et jouir de notre droit d’user de nos ressources naturelles ? Avons-nous les capacités de bâtir des projets de société ancrés sur nos valeurs et réalités ? Comment instaurer des modèles économiques viables fondés sur nos priorités ?

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En éveilleur de conscience, Cheikh avait balisé les pistes de la renaissance, à l’instar de celle opérée en Occident au 16ème siècle. C’est ainsi qu’il proposa la connexion à l’Egypte pharaonique. Il a exploré, entre autres solutions, la parenté génétique qu’il faudra rétablir et préserver pour fonder un corps de sciences sociales adapté à nos problématiques.

Il a voulu éviter à l’Africain cette destinée d’enfant bâtard, égaré dans le labyrinthe de l’ignorance.

En lieu et place de cette Afrique, bâtisse en ruine, aux portes et fenêtres béantes où convergent tous les souffles immondes d’une humanité en perdition, il nous invite à redécouvrir la Terre-mère, ce rempart indestructible qui a fait face à toutes sortes d’agressions et dont les enfants aux pieds agiles dansent aux rythmes endiablés de l’histoire.

Si l’œuvre scientifique de Cheikh n’est pas exempte de critiques sous certains aspects, nous avons plus intérêt à nous en inspirer que de la jeter en pâture. Je serai heureux que les thèses de Cheikh Anta occupent les espaces publics et médiatiques en lieu et place des inepties ressassées à longueur de journée. En cela, Boris et Bachir auront été très utiles pour reluire nos lanternes.

Madou KANE

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