C’est ce jeudi 19 septembre que les filles voilées de l’Institut Sainte Jeanne d’Arc (ISJA) doivent réintégrer leur établissement à la seule condition de souscrire aux clauses ratifiées dans le Protocole de Diamniadio sans l’inclusion de leurs parents. En effet, dans la nuit du 11 au 12 septembre dernier, aux sphères ministérielles, les autorités de l’ISJA et le ministre de l’Education nationale, Mamadou Tall, ont signé unilatéralement un protocole pour mettre fin à la crise qui secouait ledit établissement depuis l’ouverture des classes le mardi 3 septembre dernier. L’accord indique d’abord que «les vingt-deux élèves seront réintégrées dans l’établissement, pour l’année scolaire 2019/2020, à compter du 19 septembre 2019», ensuite qu’«elles porteront l’uniforme assorti d’un foulard, de dimensions convenables, fourni par l’établissement et qui n’obstrue pas la tenue» et enfin que «les familles seront reçues individuellement par la direction de l’établissement en présence de l’Inspecteur d’Académie qui veillera au respect, par les élèves, des conditions définies». Au lendemain de cette sortie de crise, tous les Sénégalais préoccupés par cette crise qui a fini par prendre faussement les allures d’une confrontation islamo-catholique ont poussé un ouf de soulagement.
Mais à la lecture analytique des différents points qui composent le protocole d’accord émanant de la rencontre bipartite ministère de l’Education et ISJA, il y a de quoi être circonspect, dubitatif voire inquiet. En sus, l’absence des plénipotentiaires des parents d’élèves est un signe de déséquilibre et de fragilité dans ces négociations. Alors que la présence des parents des élèves incriminées pour ne pas dire discriminées à cette rencontre était aussi importante que celle des autres parties co-signataires du protocole d’accord de Diamniadio. Leur absence risque de peser négativement dans la suite des événements d’autant que tous les points du pacte final sont rédigés dans un style équivoque qui laisse la porte ouverte à des interprétations diverses et divergentes. Ce qui peut faire sourdre des tensions et des conflits dans un futur proche.
Le protocole de Diameniadio : un galimatias amphigourique
D’abord la première clause indique que «les vingt-deux élèves seront réintégrées dans l’établissement, pour l’année scolaire 2019/2020, à compter du 19 septembre 2019». Pourquoi une journée après les négociations qui actent la fin de la crise, n’a-t-on pas autorisé aux filles discriminées de reprendre les cours ? En plus, dire que les filles seront réintégrées pour l’année scolaire 2019/2020 laisse sous-entendre que ce consensus revêt un caractère provisoire et n’est valable que pour la présente année académique. Par conséquent, il est fort probable qu’en 2020-2021, pour les mêmes motifs, ces filles, au cas où elles accepteraient les conditions draconiennes du protocole d’accord de Diamniadio, peuvent être exclues sans autre forme de procès. En termes clairs, s’il arrive que ces filles voilées reprennent les cours à l’ISJA, il faut s’attendre l’année prochaine à ce qu’elles ne soient acceptées dans cet établissement puisque les clauses de l’accord bipartite ne le leur autorisent plus une possibilité d’inscription pour une autre année.
Dire que les filles qui sont au centre de cette crise « porteront l’uniforme assorti d’un foulard, de dimensions convenables, fourni par l’établissement et qui n’obstrue pas la tenue », c’est leur interdire en termes détournés le voile. Puisque ce hijab est la pomme de discorde, pourquoi dans les termes de l’accord n’a-t-on pas mentionné expressément le mot «voile» ? Pourquoi sciemment a-t-on substitué le voile au foulard ? Il ne faut pas s’adonner à un sémantisme ludique et puéril quand il s’agit de chose aussi importante que le port du voile qui garde toute sa signification cultuelle et culturelle, n’en déplaise à Penda Mbow qui qualifie d’objecteurs de conscience tous ceux qui ont osé faire prévaloir la loi contre le diktat du Saint office de l’ISJA. En plus, pourquoi l’établissement définirait-il unilatéralement et arbitrairement les dimensions du foulard sans y associer les parents des élèves voilées ? « Voile » n’est pas synonyme de « foulard ». Ce sont deux couvre-chefs différents. Et le fait de mettre « foulard » à la place de « voile » est une violation même de l’esprit et de la lettre qui devait présider à la tenue de cette rencontre. Un foulard couvre la tête mais ne cache pas la région cervicale. En sus, elle laisse complètement le visage à découvert. Alors que le hijab, c’est-à-dire le voile simple dont il est question, couvre la tête, les oreilles et le cou de celle qui le porte. Il laisse à découvert l’ovale du visage. En outre, l’accord indique que « le foulard ne doit pas obstruer la tenue ». Cela veut dire tout simplement qu’aucun morceau du foulard ne doit toucher une partie de la tenue. Or, il est évident que le hijab ne laisse pas apparaitre le col de la chemise de l’uniforme puisqu’il couvre le cou de la jeune fille qui le porte.
Et cela rejoint ce que nous disions supra. Ce foulard que l’ISJA proposera ne dépassera pas la nuque des jeunes filles désireuses de porter le voile. Les rédacteurs co-signataires de cet accord sont très rusés comme des renards qui déjouent les pièges sémantiques pour arriver à leur fin. Si dans les termes de l’accord, ils avaient mentionné « voile » à la place de « foulard », ils ne mettraient cette expression « ne doit pas obstruer la tenue ». Parce qu’ils savent bien qu’un foulard ne peut pas encombrer le col d’une chemise ne dépassant pas la zone cervicale. Un voile obéit à des normes de dimensionnalité et il n’appartient pas exclusivement à l’ISJA de les définir en ne prenant pas langue avec les premiers concernés (les filles voilées et leurs parents).
La dernière clause de l’accord aussi problématique que les deux premières enjoint « aux familles d’être reçues individuellement par la direction de l’établissement en présence de l’Inspecteur d’Académie qui veillera au respect, par les élèves, des conditions définies ». Pourquoi les recevoir individuellement alors que pour préserver cet esprit de famille dont se prévaut l’ISJA, les autorités dudit établissement auraient dû les recevoir en même temps pour renouer le fil du dialogue et fumer le calumet de la paix avec eux ? Mais, l’ISJA est dans sa logique. Puisque les parents d’élèves ont été exclus du processus de négociation qui a abouti à cet accord du désaccord probable, alors il serait inconséquent de vouloir les y associer sous quelque forme que ce soit. Chaque parent reçu individuellement ploierait plus facilement sous la pression de ces autorités de l’ISJA qui, de l’alpha à l’oméga de cette crise, ont fait preuve d’un autoritarisme outrancier à l’endroit des filles discriminées dont le seul tort est de vouloir se conformer à leurs croyances culturelles ou cultuelles autorisées par la législation sénégalaise plus forte que tout règlement intérieur quelconque. Et l’inspectrice d’Académie actera tout refus ou toute rebuffade d’un parent d’élève qui n’agréerait les difficiles conditions contenues dans le protocole de Diamniadio.
Il faut déplorer, voire condamner les conditions dans lesquelles ce protocole de minuit a été signé sans l’autre partie belligérante. Mais il ne faut pas se voiler la face. Cet accord signé par le ministre de l’Education en parfaite intelligence avec les autorités de l’ISJA n’est qu’un armistice puisque les hostilités reprendront dès que la proviseure Rayanna Tall voudra appliquer à la lettre les termes de ce diktat. Même si les parents des élèves voilées déposent les armes, se résignent ou préfèrent aller ailleurs, ce protocole ouvre une blessure saignante incicatrisable. La signature de ce protocole nébuleux conclu dans des conditions pas très catholiques risque de faire effet boule de neige dans tous les établissements privés catholiques (Hyacinthe Thiandoum, Anne Marie Javouhey, Abbé Boilat et Didier Marie) qui, en 2011 et 2016, avaient interdit clairement le port du voile avant de se plier devant la fermeté ministérielle. Et ce qui s’est passé à Diamniadio ouvrira la boîte de Pandore et servira de jurisprudence à ces établissements qui ne démordent pas de revenir à la charge. Par conséquent, il faudra se préparer à d’autres levées de boucliers demain. Ce qui veut dire que c’est toujours la quadrature du cercle.
Mamadou Talla : un ministre pusillanime
Le Témoin dans son édition du 13 septembre dernier écrit que le Vatican est à l’origine de l’abdication de l’ISJA qui n’entendait pas céder un pouce de terrain dans son édit promulguant ipso facto l’expulsion des élèves voilées. Certainement que le Vatican a dû rappeler aux autorités de l’ISJA de relire La Gravissimum Educationis signée à Rome le 28 octobre 1965 qui reconnait l’éducation comme « un droit sacré que l’Etat doit garantir ». Texte qui s’inscrit en droit ligne avec les articles 4 et 5 de la loi d’orientation n°91-22 du 16 février 1991 modifiée par la loi 2004-37 du 15 décembre 2004, et notre Charte fondamentale en ses articles 5 et 8.
L’intercession du Pontifex Maximus, chef de l’Eglise catholique et chef de l’Etat du Vatican, témoigne non seulement d’un manque de souveraineté de notre pays, doublé d’un irrespect vis-à-vis de notre législation et de celui qui doit la faire prévaloir en pareille occurrence, c’est-à-dire le ministre de l’Education nationale. Cela nous amène à dire que si la crise a atteint ce paroxysme, c’est à cause du ministre de l’Education Mamadou Talla qui n’a fait preuve d’aucune once d’autorité dans cette crise alors qu’il lui suffisait, à l’instar de ses prédécesseurs Kalidou Diallo et Serigne Mbaye Thiam, de faire respecter la loi pour mettre fin à la crise. Quand la loi existe, le dialogue peut être entamé mais pas la négociation.
Non seulement, le ministre de l’Education est resté aphasique tout au long de cette crise mais il s’est aplati devant les exigences de l’ISJA. Depuis que le Conseil national du Laïcat du Sénégal lui a adressé une épître virulente le 09 mai dernier pour dégager en touche ses mises en garde contenue dans son communiqué du 3 mai 2019 à propos du même sujet, le ministre a fait preuve de pusillanimité dans cette affaire. Non seulement il ne rappelle pas à l’ordre ces violeurs de la loi mais voilà qu’il leur déroule le tapis rouge pour satisfaire leur désidérata. A Diamniadio, le ministre a cédé aux menaces des autorités de l’ISJA qui ont exigé l’exclusion des parents d’élèves dans toute négociation. Aussi, à travers un galimatias amphigourique qu’ils ont scellé sous forme de protocole de Diamniadio, le ministre Talla et les autorités de l’ISJA ont, au forceps, conçu un bébé dans le dos des parents d’élèves. Mais la gésine risque d’être difficile si l’on vaticine tous les remous qui peuvent s’ensuivre. Il parait que, selon le journal l’As, lors du Conseil des ministres du 12 septembre dernier, le président Sall a félicité son ministre de l’Education pour « avoir géré ce dossier sensible sans passion, sans pression, dans la discrétion et l’efficacité ». Si ces propos sont avérés, il y a de quoi s’inquiéter sur la lucidité et le niveau d’informativité de celui qui dirige ce pays. Mais que le président sache que ce simulacre de traité de paix n’est qu’un diktat qui secrète les germes d’une confrontation à court, moyen ou long terme.
Une paix n’est honnête et honorable que si et seulement si elle respecte l’honneur des parties en conflit. A Diamniadio, Mamadou Talla et l’ISJA ont exclu des négociations une frange incontournable, c’est-à-dire les parents d’élèves. Ainsi vicié dans son principe, le protocole de Diamniadio l’est aussi dans sa conclusion puisqu’il permet à l’ISJA d’appliquer, au moyen de circonlocutions sémantiques, son règlement de mai interdisant nébuleusement le voile. Une maxime latine dit « etiam hosti fides servanda », c’est-à-dire qu’il faut « être honnête envers l’ennemi lui-même ». Principe que les comploteurs de minuit ont bafoué à Diamniadio les 11 et 12 septembre 2019. Et ce qui devait être un compromis risque d’être une compromission, voire un casus belli si les parents d’élèves des filles voilées refusent les clauses de ce diktat en ce jour du 19 septembre.