Si le Train express régional (TER) est présenté par l’Exécutif sénégalais comme le plus important projet d’infrastructures depuis l’indépendance, il n’est pas exempt de griefs. Car, financièrement il est trop coûteux, économiquement, il manque de pertinence et techniquement, il fait courir aux Rufisquois moult catastrophes.
D’abord, concernant l’aspect financier, c’est sans conteste le projet d’infrastructure qui a englouti le plus de ressources depuis l’indépendance. Pas moins de 1200 milliards de FCfa de l’argent du contribuable sénégalais seront injectés dans un tronçon de 36km sur un total de 55km, même si le gouvernement prétend le contraire.
Officiellement, le président Macky Sall a reconnu dans une interview en janvier 2019, que le coût initial du projet qui n’était que de 568 milliards de FCfa, a été revu à la hausse. De son propre aveu, le Trésor public allait débourser 656 milliards de Fcfa.
Chiffres fort contestables, si l’on sait que son inauguration précitée avant la présidentielle, a dû alourdir la facture et que les infrastructures jusqu’ici inexistantes, mais ô combien nécessaires, tels que les passages à niveau, les ponts, passerelles et autres réseaux de drainage devraient logiquement s’ajouter à cette estimation à minima de son coût réel.
Ensuite, s’agissant de l’opportunité du projet, il est vrai que le problème du transport a atteint son paroxysme dans la capitale sénégalaise, impactant les activités économiques, coûtant un nombre incalculable d’heures à cause d’interminables embouteillages.
Mais, peut-on se permettre le luxe de consacrer 1200 milliards au moment à ce désenclavement, là où le chemin de fer Dakar-Bamako avait juste besoin de 880 millions d’euros (572 milliards de FCFA) pour sa réhabilitation ou 2,6 à 3,5 milliards d’euros (1690 à 2275 milliards de FCFA) pour une nouvelle ligne. Ligne qui allait en plus faciliter l’exploitation du gisement de fer de la Falémé, sans compter son impact potentiel sur l’exportation des produits sénégalais vers les pays de la sous-région.
En effet, la remise en service du chemin de fer aurait permis de doper les exportations avec un taux d’absorption de plus de 27% par le Mali, avec des produits tels que les poissons frais, d’huile brute d’arachide ou de ciment.
Plus de 550 camions quittent le port de Dakar pour rallier l’Afrique de l’Ouest, cet important flux de transport lourd impacte d’abord sur la saturation du corridor ensuite sur la dégradation des routes, obligeant l’Etat du Sénégal à dépenser en moyenne près de 65 milliards par an dans le Fond d’Entretien Routier Annuel (FERA).
Enfin, ce projet n’est pas exécuté avec le sérieux que requiert son envergure. Nous sommes devant le fait accompli, après avoir subi l’humeur et la volonté du Président Macky Sall, les populations impactées par le tracé sont sous les eaux à cause des travaux mal planifiés, mal exécutés pour certains, et inachevés pour d’autres.
Pourtant, en tant qu’experts dans ce domaine, nous savons que la première étape d’un projet d’infrastructure consiste à drainer des eaux, ce qui n’est pas le cas vu la situation dans laquelle vivent les habitants de Rufisque.
Nous savons pertinemment que la zone du projet repose dans la zone des Niayes sur la Nappe des sables quaternaires (NSQ) de Thiaroye connue pour être superficielle, d’où les risques d’inondation en cas de forte pluie.
Malheureusement, cet aspect était considéré comme un enjeu à sensibilité moyen ; ce qui prouve que les populations inondées de Rufisque qui pointent du doigt les travaux du TER comme l’origine de leur souffrance ont bel et bien raison.
Le comble dans tout ça en est que le PGES n’a pas été financé également raison pour laquelle la gestion du chantier est la pire jamais réalisée, un chantier à ciel ouvert.
En principe, pour un projet de cette envergure qui impacte 18 communes, il fallait prévoir plusieurs réalisations ou travaux intermédiaires ou d’accompagnement. Parmi ceux-ci, figure la reconstruction de tous les ouvrages hydrauliques détruits dans le cadre des travaux et la mise en place d’un bon réseau de drainage des eaux de ruissellement sur tout le tracé connecté au système global de drainage de la zone. En plus, il fallait s’assurer du bon fonctionnement des systèmes de drainage notamment pendant la saison des pluies.
Mais dans l’immédiat, il faudra envisager la construction de passerelles avec aménagement d’une protection spécifique qui évite toute inondation et permet leur utilisation en continu par les usagers.
Si rien de tout ceci n’est fait, les populations riveraines pourraient payer de leur vie, les errements des responsables en charge de ce projet.
Pape Abdourakhmane Dabo
Ingénieur des Ponts et Chaussées, expert en Infrastructures Publiques