Nous vivons une transition industrielle caractérisée par un fort taux d’automatisation. Les déterminants technologiques de notre activité conduisent à un désarmement de la main d’œuvre manufacturière voire à un chômage massif. Nous sommes dans un contexte où l’industrie se libère des contraintes de la force humaine et de la force animale.
Le travail humain exploitable et exploité tend à disparaitre pour céder la place au travail non exploitable des machines. Le travail humain crée de la plus-value et du pouvoir d’achat contrairement au travail des machines qui produit de la valeur ajoutée en faisant disparaitre le pouvoir d’achat. Peut-on produire dans un système capitaliste sans ticket de consommation, sans pouvoir d’achat, sans salaire ?
En faisant disparaitre le pouvoir d’achat, le système remet en cause forcément le modèle de distribution basé sur salaire contre performance. La production est devenue abondante mais en face n’existent qu’un pouvoir d’achat insuffisant et des besoins colossaux à satisfaire. Le bannissement et la suppression aux profits de spéculateurs privés de la planche à billets ont abouti à des déficits budgétaires qui se traduisent par une augmentation des impôts et taxes mais aussi de la dette publique. L’Etat ne cesse de grossir en exigeant plus d’impôts et de taxes qui continuent à grignoter le pouvoir d’achat du pauvre consommateur. L’enjeu de la technique de distribution liée au salaire se révèle donc comme un défi majeur à relever.
Devenons-nous maintenir le modèle actuel de production et de distribution en anéantissant les bouches inutiles d’une population insolvable ou les laisser vivoter en pauvres esclaves contemplant le spectacle du luxe et de la célébrité des maîtres?
Les luttes syndicales et populaires mais aussi les guerres commerciales des temps modernes nous préviennent que notre modèle actuel est techniquement peu viable. Le modèle capitaliste actuel s’est avéré incapable de créer le plein emploi et d’ajuster le pouvoir d’achat global à sa production disions-nous dans notre précédente contribution intitulée
« LE CAPITALISME, UNE TCHNIQUE DE PRODUCTION ET DE DISTRIBUTION ».
L’argent rentre dans le circuit économique sous forme de dette et dans la production sous forme d’investissement. Il sort de la production sous forme de salaires, d’impôts, de taxes, d’intérêts et de dividendes. Les biens et les services produits sont frappés de prix déterminés par des coûts. Ces prix sont formés des coûts de matières premières, de la force de travail, de l’amortissement des machines, des frais de transport, d’énergie, d’emballage, des bénéfices du producteur et du marchand mais également des impôts, des taxes, des intérêts, de l’inflation, etc.
En tant que consommateurs, il nous revient le fardeau de payer les impôts, les taxes, l’inflation et la dette etc. Soulignons en passant que les dividendes se transforment en pouvoir d’achat pour une partie et en épargne ou thésaurisation pour une autre, donc en pouvoir d’achat mort. L’argent investi dans la production devrait se convertir en pouvoir d’achat pour absorber par la consommation tous les biens et les services fournis. Il est évident que les coûts réels rémunèrent du travail alors que les intérêts, les impôts, les taxes (TVA) et l’inflation constituent des coûts surfaits payés par les consommateurs et qui tendent à gonfler les prix, donc à réduire leur pouvoir d’achat.
Toutefois, les impôts et taxes se transforment en salaires dans la fonction publique, en achats et commandes de l’Etat pour reprendre le chemin du circuit économique. Il faut noter néanmoins que l’investissement dans les infrastructures est financé par la dette. Les infrastructures créent des emplois mais ne créent pas de produit.
L’argent investi dans les infrastructures n’est récupérable indirectement que quelques années après en dépit de son remboursement prématuré par le service de la dette. L’effet d’éviction de cette partie de la dépense publique est comparable à l’effet du remboursement de la dette, de l’épargne, de la thésaurisation, du chômage et des intérêts qui retire du pouvoir d’achat au circuit économique. Nous voyons bien que la somme des prix qui exprime la valeur de la production dépasse largement le pouvoir d’achat aux mains des consommateurs. Pour déplacer tous les produits et services vers la consommation, il faut mettre en place un pouvoir d’achat supplémentaire. D’où peut provenir ce supplément de pouvoir d’achat ? Faut-il distribuer à côté du salaire un pouvoir d’achat d’appoint à tout citoyen qui lui permet d’accéder aux produits et services nécessaires à son existence ?
En d’autres termes, faut-il continuer exclusivement à investir dans la production ou bien faut-il l’accompagner d’un « investissement » dans la consommation ? Notons que les idéologues et technocrates du système ne cessent de professer le dogme de l’investissement exclusif dans la production. Ils sont aveuglés par une science économique dont les principes sont dépassés par la réalité, mais ils ne s’en rendent pas compte. Ils répètent comme un leitmotiv de s’endetter et d’investir dans la production. La théorie économique libérale traine le dogme de l’investissement comme un atavisme.
L’économie est un système bipolaire déterminé par la production et son corollaire, la consommation. Ce couplage est à l’image du couplage entre la production et la consommation électrique. Leur déséquilibre affecte la stabilité de la fréquence du réseau qui se traduit par des délestages. Au début du capitalisme, la demande des produits dépassait l’offre. Pendant les trente glorieuses, pour jouir du plaisir d’une voiture, il fallait la commander six mois avant. La production était à la traine de la demande. Nous étions dans une économie de la rareté qui ne pouvait offrir tout ce qu’on lui commandait. Il fallait donc investir pour produire, encore produire pour satisfaire les besoins des populations. La thèse de l’investissement dans la production était dans ce contexte très pertinente. Cet effort soutenu d’investissement a inondé les marchés de produits. L’offre a excédé la capacité d’absorption des marchés. On assiste ainsi à la transition de l’économie de la rareté à l’économie de l’abondance.
Un nouveau contexte est né mais que les théoriciens de l’économie ont perdu de vue, aveuglés par leurs certitudes dogmatiques. Ce contexte caractérise la réalité de nos marchés actuels. Ils débordent de produits qui n’attendent que d’être vendus. Comme une jeune fille mure prête au mariage, ils ne cherchent que le prince charmant, le pouvoir d’achat qui peut les déplacer vers la consommation. Investir dans la production de biens et services hors innovation ne ferait qu’aggraver la situation des marchés en les saturant. Le taux de mortalité de 65% des entreprises sénégalaises témoignent de la saturation des marchés. Cependant, certains économistes vont l’attribuer à des compétences et à des qualités managériales insuffisantes. Ils ont vu tout faux, mais ils persistent.
La réalité est sacrifiée à leurs dogmes. Soit la cimenterie Dangote verse 20% de sa production au pouvoir d’achat national sous forme de salaires et dividendes mais injecte 80% de sa production dans le marché du ciment. D’où vient le pouvoir d’achat national supplémentaire qui fera écouler cette offre ? L’industrie et les entreprises augmentent le pouvoir d’achat national dans une proportion quatre fois moindre que ce qu’elles injectent dans la consommation, dans les marchés. Elles exacerbent la concurrence et la compétition. Chaque nouvel emploi créé pourrait correspondre à un autre détruit. Leur contribution au pouvoir d’achat est très insuffisante pour couvrir leur propre offre. Le pouvoir d’achat en face provient de la paysannerie, du secteur informel, des salaires de la fonction publique, des subventions, des indemnités et des allocations de l’Etat mais aussi du crédit de consommation.
Les consommateurs paient les rentes du protectionnisme, paient les impôts et les taxes qui frappent les produits et les entreprises, paient les coûts de l’inflation et remboursent les crédits. Ils sont victimes de réductions indirectes de leur pouvoir d’achat. Nous constatons que le pouvoir d’achat global ne cesse de baisser relativement à la production. Le gap entre le prix de la production et le pouvoir d’achat global disponible s’approfondit malgré le crédit de consommation conçu pour le compenser. Il est opportun de combler ce gab par un « investissement » dans la consommation, autrement dit la mise en place d’un pouvoir d’achat compensatoire financé par les impôts et les taxes (sur la fortune) mais de préférence par la création monétaire ou la planche à billets. En d’autres termes, il s’agit de verser à chaque citoyen un revenu de base suffisant qui lui permet d’accéder aux produits et services nécessaires à sa vie.
Le progrès technique et scientifique booste la production, crée du chômage et retire du pouvoir d’achat en régime capitaliste. Mais il représente un capital social auquel nous avons tous contribué et dont nous devons tous hériter. Ce capital social demeure historiquement la première source de valeur ajoutée. Nous sommes tous des actionnaires de ce progrès, ainsi réclamons nous notre droit à un dividende. Ce dividende doit se payer non seulement sous forme de temps libre mais aussi et surtout sous forme de pouvoir d’achat, de revenu de base. Se nourrir, se loger, se soigner, se vêtir et s’instruire constituent les cinq besoins élémentaires dont la satisfaction favorise la capabilisation de chaque individu à participer à la construction nationale mais aussi et surtout pour se sentir et se rendre utile. Ce revenu de base relève donc d’une question humaniste, culturelle, démocratique, d’équité et de justice. « L’ignorance est une source de domination et d’exploitation »
Dr. Abdoulaye Taye
Enseignant-chercheur à l’Université Alioune Diop de Bambey
Président de TGL (voir Tôt, voir Grand, voir Loin)
Operateur politique