L’enseignement est-il encore un noble métier en France ? Il y a des raisons d’en douter. S’il y’a une vocation qui n’est plus du tout attractive aujourd’hui, c’est bien le métier de professeur.
De ma courte expérienceprofessionnelle à l’académie de Créteil,depuis bientôt six ans, j’ai vu le métier se dégrader. Et rien ne semble fait pour enrayer la déperdition. Je pourrais résumer mon expérience en plusieurs points.
J’ai d’abord remarqué une lassitude chez beaucoup de mes collègues, une fatigue morale et psychologique. Ils sont aussi affaiblis par le manque de moyens et surtout d’autorité face aux élèves.
Cette difficulté s’exprime par la gestion d’élèves de plus en plus violents (violence verbale parfois physique).
Des éléments d’abord marginaux qui finissent par contaminer toute la classe. L’atmosphère de transmission devient ainsi une atmosphère de défiance, où l’essentiel, à savoir le partage des connaissances est relégué devant les problématiques d’ordre, de calme et de sérénité nécessaires que les personnels ont à gérer.
Affecté dans les zones sensibles, j’ai pu noter qu’une bonne part des jeunes de banlieues ont du mal à s’accommoder avec l’école comme institution.
Un ressort s’est cassé dans la relation. Il y a dès lors un rapport faussé qui transforme les personnels en témoins impuissants face aux actes d’incivilités, à la rébellion des élèves. Si des études ont pu montrer que les conditions sociales et économique, la relégation, ont joué un rôle dans cette désaffection pour l’école qu’expriment les jeunes, il est aussi à noter que d’autres problèmes simples comme le respect de la hiérarchie sont une composante majeure du problème.
Le témoignage des collègues est à ce titre éloquent. Il résume le malaise qui gagne le corps professoral. Plusieurs fois, ai-je entendu, les confidences de mes collègues, confiant qu’ils souhaiteraient changer de métier ou se reconvertir. Ceci est d’autant plus préoccupant, que pour beaucoup, le choix de cette profession était essentiellement motivé par la passion.
On mesure ainsi, très mal, la souffrance au travail des enseignants, en première ligne, souvent agressés et dont la patience et la pédagogie, héroïques, ne semblent guère suffisantes. Mais plus encore, les enseignants souffrent beaucoup du fait que leur métier semble de plus en plus dévalorisé, plus protégé comme il se doit. Le débat a toujours eu lieu sur cette perception. Sentiment ou réalité? On pourrait s’accorder pour constater que les conditions de travail de sont pas du tout motivantes et l’absence de perspectives encourageantes, contribue au sentiment de résignation qui monte.
A échelle personnelle, j’ai essayé de comprendre les raisons de cette violence contre l’école à travers ses valeurs fondamentales remises en cause, l’autorité bafouée, la discipline souvent piétiné. Si le fait n’englobe pas tous les élèves, il frappe assez d’élèves pour rendre les cours épuisants moralement, et parfois risqués pour l’intégrité des professeurs.
Il faudra assurément ouvrir des concertations de grande ampleur pour situer, les responsabilités, toutes les responsabilités : celles qui sont partagées entre l’Institution, les Familles et les Elèves. Aller au-delà, sans procès d’intention, et évaluer la part fautive qui revient l’État qui échoue avec ses réformes, les parents qui démissionnent dans l’éducation desenfants… Il est à ce prix, c’est-à-dire, la tenue d’un dialogue franc et sans concession sur tous les tabous de l’école, pour éviter qu’on se dirige tous vers une impasse. La situation est urgente.
Ayant la chance d’avoir une double culture, je suis familier de certaines traditions que peuvent partager certains élèves de banlieues issus de l’immigration. Certains parents déboussolés, n’arrivent plus à gérer leurs enfants. Ce qui tend la situation car les enfants perdent les repères essentiels à leur formation. Les enseignants doivent ainsi palier à ce déficit, sans être suffisamment armés.
Se greffent à ces problèmes, l’attitude parfois insouciante, et perturbatrice d’élèves, qui sont dans la totale défiance, avec un environnement, hors de l’école, qui favorise cette gangrène.
J’en veux pour preuve une anecdote récente : lors d’une réunion, parents d’élèves / enseignants, j’ai dit à un de mes collègues proviseur, que la notion d’autorité a été mal ajustée et mise à mal par beaucoup de renonciation. En donnant beaucoup de droits aux élèves, on est tombé dans le piège qui fait que les enseignants n’ont plus aucune autorité et les élèves ne manquent pas d’en abuser.
L’institution est par conséquent trop exigeante avec ses enseignants et trop complaisante avec les élèves. En centralisant les reproches sur les enseignants, l’Etat faillit à situer toutes les responsabilités et alourdit la barque des professeurs, déjà débordés. Cela va parfois jusqu’à s’incarner à une mise à l’index des enseignants, pointés du doigts et accusés pour tous les problèmes.
Quand les collègues craquent, il leur est reproché d’office, de ne savoir « gérer leurs classes ». Quand ils renvoient de leurs cours des éléments perturbateurs, la hiérarchie leur reproche leur déficit de mansuétude, ainsi de suite.
La conséquence logique, et on le perçoit, ce sont plusieurs cas de souffrances au travail, de stress, de découragement. Le burn out est fréquent chez les collèguess. Ils sont, du reste, isolés et leur passion s’éteint à petit feu. Même si de façade, ils semblent donner un visage avenant est correcte, bon nombre d’entre-nous refuse simplement communiquer par peur d’être stigmatiser ou d’être considérés comme incompétent.
Cette comédie pour faire bonne figure, est insupportable à la longue. Il est temps d’écouter le mal être des professeurs et de proposer des solutions concrètes pour le comprendre. J’ai en mémoire le mot d’un collègue à mes tout débuts dans le métier, qui m’avait dit pour me prévenir : « Si j’ai un conseil à te donner, c’est de faire l’hypocrite comme tout le monde » L’éducation nationale en France de nos jours tend à prendre ce visage affreux du fatalisme! Une frange de nos collègues, surtout, contractuels, est laissée pour compte.
Malgré les difficultés, beaucoup de d’enseignants se battent pour améliorer les choses. Ils ne demandent que du soutien et n’abdiquent pas leur rôle et leur mission. IL faut ouvrer à redonner à ce métier son éclat et sa valeur. C’est notre beau sacerdoce et notre espoir. Nous espérons que l’éducation nationale l’entendra et agira.