La Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (en anglais Economic Community of West African States, ECOWAS) a été créée le 28 mai 1975 à Lagos au Nigéria. Quinze États de l’Afrique de l’ouest ont signé le traité. Le Cap-Vert rejoint la communauté en 1976. Et, la Mauritanie la quitte en 2000.
Son objectif principal est de « promouvoir la coopération et l’intégration dans la perspective d’une union économique de l’Afrique de l’Ouest en vue d’élever le niveau de vie de ses peuples, de maintenir et d’accroître la stabilité économique, de renforcer les relations entre les États membres et de contribuer au progrès et au développement du continent africain ». Si les objectifs initiaux étaient essentiellement économiques, la communauté a par la suite pris en charge les questions politiques. Ainsi, en 1990, une force de maintien de la paix (ECOMOG) a été mise sur pied, suite aux différents conflits survenus dans la région.
Les États de la CEDEAO ont longtemps nourri l’ambition de créer une monnaie commune. Depuis 1983, les États membres ont entrepris de nombreuses initiatives pour créer une zone monétaire unique. Plusieurs fois repoussé puis abandonné, le projet a été relancé en 2018. Le 20 juin 2019 les experts et les membres du comité ministériel du programme de la monnaie unique de la CEDEAO réunis à Abidjan, en Côte d’Ivoire, se sont prononcés sur le nom et le symbole de cette monnaie. ECO fut retenu pour nom. Le symbole est à déterminer.
Au-delà du choix de ses attribut et symbole, le projet de création de l’ECO est – il viable ? Quid des avantages espérés de cette monnaie ?
L’ECO, un projet viable ?
La mise en circulation d’une monnaie unique au sein de la CEDEAO sera – t – elle véritablement une réalité ou une des innombrables tentatives qui se soldera par un échec ? Voici quelques éléments de réponses.
La convergence économique des États membres
L’adhésion à l’ECO n’est pas sans risques. Pour minimiser ces risques, des critères de convergence macroéconomiques ont été définis par les États membres de la CEDEAO. Ces critères sont fondés sur des indicateurs économiques assurant que l’adhésion d’un État ne présente pas de risques économiques pour lui et pour les autres États adhérents. Ces critères de convergence incluent un déficit public inférieur à 3% du PIB, une dette publique en dessous de 70% du PIB et une inflation de moins de 10%. Cependant, aucun pays ouest africain ne respecte ces trois critères simultanément même si plusieurs n’en sont pas loin.
Le Ghana, par exemple, présente un déficit public autour de 4%, une dette publique de 57% de son PIB et une inflation de 9%. Quant au Nigéria, son déficit public s’établit à 4,5% de son PIB, sa dette publique à 19% et son inflation autour de 12%. Néanmoins, les prévisions macroéconomiques 2019 des pays disposant d’une monnaie nationale tendent globalement vers les critères de convergences définis plus haut à l’exception du Cap-Vert. La dette publique de ce pays est d’environ 130%. Les prévisions 2019 sont du même ordre.
Au sein de l’union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA), la stabilité des prix est probablement le plus grand avantage. L’inflation est en moyenne de 2% au sein de la zone. La dette publique des pays membres de l’UEMOA est inférieure au seuil de 70%, excepté celle du Togo (73,4%). Toutefois, les prévisions de la dette publique 2019 du Togo sont optimistes : 66% du PIB. Seuls le Bénin (2,7%), le Mali (3%), le Sénégal (3%) et le Togo (0,4%) ont des prévisions de déficit public respectant le seuil.
Les économies des États de la CEDEAO ne sont pas strictement convergentes même si elles tendent globalement à l’être selon les critères macroéconomiques précédemment définis. Un pays se distingue particulièrement des autres. Il s’agit du Nigéria qui représente à lui seul plus de la moitié de la population ouest africaine et près de 70% du PIB de la CEDEAO.
Le choix du régime de change
Malgré une convergence macro-économique non aboutie, les États membres prévoient une mise en circulation de l’ECO dès 2020 avec les pays qui respecteront le mieux les critères de convergences. Ce calendrier est jugé trop optimiste par de nombreux experts tels que Ndongo Samba Sylla, économiste à la Fondation Rosa Luxemburg à Dakar. Selon ce dernier, la mise en circulation de l’ECO dès l’année prochaine est hautement improbable.
De surcroît, les propos du président ivoirien Alassane Ouattara lors du sommet des États de l’UEMOA le 12 juillet 2019 font polémique au sein de la CEDEAO. En effet, Alassane Ouattara reste convaincu que le régime de change de l’ECO devrait être fixé par rapport à l’Euro. Il légitime ses propos en mettant l’accent sur le fait que le taux de change fixe entre le franc CFA et l’Euro a fait ses preuves en assurant la stabilité des prix au sein de la zone UEMOA et par conséquent en protégeant les consommateurs. Le président Ouattara espère tirer profit de l’avantage qu’auront les pays de l’UEMOA en tant que précurseurs de l’ECO pour plaider en faveur d’un taux de change fixe par rapport à l’Euro.
En effet, les pays de la zone franc CFA sont les plus convergents d’un point de vue macroéconomique et seront probablement les premiers à mettre en place l’ECO. Or, lors du dernier sommet de la CEDEAO fin juin à Abuja, les chefs d’État membres se sont accordés sur le fait que le régime de change de l’ECO serait flexible vis-à-vis d’un panier de devises.
Un rapport de force semble donc se dessiner entre pays de l’UEMOA et le reste des États membres de la CEDEAO avec notamment le géant Nigérian.
L’optimalité de la zone ECO
Au-delà de la volonté politique des État membres de la CEDEAO de créer une monnaie commune, l’Afrique de l’ouest est-elle une zone monétaire optimale (ZMO) ? Nous allons déterminer s’il est préférable pour les pays de la CEDEAO d’adopter l’ECO ou de conserver chacun leur monnaie nationale.
L’optimalité d’une zone monétaire est définie par :
– Une forte intégration commerciale
– Une mobilité intra régionale des facteurs de production
– L’importance des chocs symétriques
– L’existence de mécanismes d’ajustement en cas de chocs asymétriques
La CEDEAO est une zone de libre-échange. Au sein de celle-ci, l’UEMOA est une union douanière qui est un approfondissement de la zone de libre-échange. Les barrières à l’intégration commerciale sont donc relativement faibles. Toutefois, il ressort de l’étude des données de la Base Régionale Eurotrace de la Commission de la CEDEAO que le commerce intra-CEDEAO est faible avec en moyenne seulement 12% des échanges de la communauté.
La CEDEAO est également une zone de libre circulation. Selon Mandiogou Ndiaye magistrat, associé au CEPED (Sénégal) et Nelly Robin géographe au CEPED, la population de la CEDEAO a été multipliée pratiquement par quatre entre 1960 et 2007, passant de 78 à environ 300 millions d’habitants. Cette croissance démographique induit une forte mobilité de la population à l’intérieur de l’espace régional. En effet, la socio-anthropologue Sylvie Bredeloup estime à 80% que la migration africaine est intracontinentale. Cette migration se décline en plusieurs pôles : un pôle autour de la Côte d’Ivoire, un deuxième autour du Nigéria, un troisième autour du Sénégal et un dernier autour de l’Afrique du Sud. La mobilité du capital humain est donc très forte au sein de la CEDEAO. Et, la mise en place du passeport CEDEAO facilite davantage cette mobilité. Par ailleurs, il existe une relative homogénéité des cycles économiques au sein de l’UEMOA du fait de leur intégration économique comparativement au reste de la CEDEAO.
Ainsi, la CEDEAO ne constitue pas une zone monétaire optimale au sens strict. Il ne faut pas pour autant remettre en question la décision de ses États membres de créer une union monétaire car la zone Euro n’est pas non plus une zone monétaire optimale. Et pourtant, elle existe. Selon Franke et Rose, contributeurs majeurs à la théorie de la zone monétaire optimale, une union monétaire créerait ex post les conditions de son optimalité. En effet, la création de la zone monétaire accroît les échanges, supprime les dévaluations de compétitives, facilite les investissements, la mobilité des personnes et l’intégration économique. Elle peut même faciliter un processus d’intégration politique. Selon ce postulat, il faudrait d’abord créer l’ECO; l’optimalité viendra après.
Quid des avantages espérés de l’ECO ?
La mise en place de l’ECO contribuerait grandement à l’atteinte de l’objectif majeur de la CEDEAO et permettrait aux pays de l’UEMOA d’acquérir la souveraineté monétaire qu’ils n’ont jamais eue.
Le développement économique de la CEDEAO
Comme vu précédemment, la création d’une union monétaire créerait ex post les conditions de son optimalité. Malgré qu’elle soit une zone de libre-échange, les échanges au sein de la CEDEAO sont faibles. L’instauration de l’ECO pourrait renforcer les échanges commerciaux, les investissements et le développement économique au sein de la CEDEAO. En effet, la mise en place d’une monnaie unique entraine d’une part la disparition des commissions et du risque de change et la suppression des risques de dévaluations compétitives entre les pays disposant d’une monnaie nationale et entre ces pays et l’UEMOA.
D’autre part, cela permet l’augmentation de la concurrence entre les pays membres via une plus grande facilité de comparaison des prix, favorise la confiance, réduit l’incertitude et les couts des transactions. L’action conjuguée de ces facteurs génère une augmentation de la compétitivité prix de la zone. Des produits et services plus compétitifs permettent davantage de demande et cela amène à davantage de production et donc de croissance. Toutefois, des difficultés de mise en place d’une politique monétaire commune et la forte dépendance de la quasi-totalité des pays de la CEDEAO aux biens et services de la triade pourraient constituer un frein à son optimalité.
La Souveraineté financière de l’UEMOA
Créé en 1945, le franc CFA (colonies française d’Afrique), héritage colonial de la France, ne permet aucune liberté en matière de politique monétaire au sein de la zone CFA. En effet, les pays de la zone sont sous la tutelle du ministère français des finances qui encadre strictement la gestion de la monnaie. Et, celle-ci est imprimée en France. Une situation unique au monde. Ce manque de souveraineté pénalise fortement les économies des 14 pays membres. En contrepartie de la convertibilité du franc CFA dans n’importe quelle monnaie et d’un taux de change fixe par rapport à l’Euro, l’ensemble des pays de la zone CFA s’engage à verser au trésor français 50% de leurs réserves de change : entre 15 et 18 milliards d’euros par an. Les conséquences qui en résultent sont multiples : indisponibilité immédiate de liquidité en cas de besoin, frein aux investissements, impossibilité de créer de la monnaie notamment en cas de prévision de croissance etc.
Il est établi que la politique monétaire, à travers des mesures conventionnelles ou non, a un effet significatif sur la croissance économique. Une absence ou une perte de souveraineté monétaire constitue un frein majeur au développement économique. En cinquante ans, la croissance moyenne en zone CFA a été de 1.5% contre 2.5% en Afrique subsaharienne. En adhérant à l’ECO, et sous condition que celle-ci demeure souveraine, l’UEMOA obtiendrait cette souveraineté financière qu’elle n’a jamais eue. Encore faudrait-il qu’elle veuille être autonome et libérée de la domination néocoloniale française. Car, la majorité des dirigeants de la zone CFA estiment que les avantages du franc CFA, tels que la stabilité des prix et la confiance des investisseurs étrangers, l’emportent sur les inconvénients notamment la perte de leur souveraineté monétaire et le frein au développement.
Conclusion
La mise en place de l’ECO est une excellente initiative malgré que la CEDEAO ne soit pas une zone monétaire optimale. Les études empiriques de la zone Euro montrent qu’une union monétaire n’a pas besoin d’être optimale pour exister et être viable. De plus, la littérature récente sur la ZMO affirme qu’une ZMO créerait, ex post, les conditions de son optimalité. Malgré une forte dépendance à la triade qui ferait obstacle à l’optimalité de la zone ECO, les Etats membres y gagneraient comparativement à leur situation actuelle.
Quant aux prévisions de mise en circulation de l’ECO en 2020, elles sont non seulement hautement improbables mais aussi et surtout extrêmement dangereuses. En effet, dans le processus de création d’une monnaie unique, la création d’une banque centrale communautaire est un préalable pour des raisons évidentes : la coordination d’une politique monétaire commune. Cette banque centrale n’existe pas encore. Car, la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ne regroupe que les membres de l’UEMOA. La CEDEAO envisage – t – elle de dupliquer le modèle du franc CFA ? Envisager une telle idée serait mettre en péril l’économie et la souveraineté de ses Etats membres.
Alpha Ba
économiste