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Isja Et Le Voile De La Discorde

Depuis une à deux décennies, nous assistons à une lente implantation du salafisme wahhabite, de l’église évangélique originaire des États-Unis et, beaucoup plus discrètement, du judaïsme via un prosélytisme élitiste articulé à un lobbying offensif de l’État d’Israël.

Le puissant lien d’affection, voire la symbiose, envers le prophète Mohammad et sa famille, vécu à travers Fatima Zahra, l’imâm Ali, leurs enfants Al Hassan et Al Hussein, alter ego des noms du couple gémellaire  Assane et Ousseynou, et plus particulièrement la figure martyre de Al Hussein dans son combat contre l’oppression, la soumission et pour la liberté, la justice et l’équité (le titre même de « Gaïnde Fatima » chez les mourides sonne, consciemment ou non, comme une profession de foi à ce niveau), existe aux plus hauts sommets des confréries tijane et mouride, en la personne de Cheikh Tidiane Sy et de Cheikh Ahmadou Bamba.

« Est-il un péché que celui qui pleure le jour où le petit-fils du prophète est tué ? » ; « De tous prières, jeunes, pélérinages et adorations, je n’ai aucun espoir en Allah d’accéder au paradis. Mais pour les larmes que j’ai versées pour Houssein, j’ai grand espoir d’accéder au paradis », clame El Hadj Malick Sy dans dans deux de ses poèmes, dont le recueil « Laqad Haja Qalbi », tandis que Cheikh Ahmadou Bamba rend un brillant hommage à l’imâm Houssein et à ses compagnons dans ce khassida intitulé Huqq al Bukâ « Faut-il pleurer les nobles morts qui ont été pleurés même par la terre et les cieux ? Je les pleure, espérant de ce fait la Grâce de celui en qui ils se sont anéantis avec plaisir. O douleur ! Cette peine qui frappe mon âme par la perte d’éminents saints qui ont quitté ce monde vers un Seigneur qui les a appelés aux délices. Les nuits aussi bien que les mois les pleurent, de même que le soir et le matin avec douleur… ».

Cheikh al islam Ibrahima Niass clame quant à dans « Seêyrul Kalbi : « Me voila à Kerbala afin de faire la ziarra à l’imam Houssein, l’homme sur lequel je m’appuie pour me rapprocher de son illustre père, celui dont Dieu s’est satisfait et a agréé pour son travail. Ali le père des deux saints – Hassan et Houssein – , le lion de Dieu et propriétaire de la super puissante épée  – zulfikar -. (D’ailleurs) C’est grâce aux secrets de cette épée que je combats mes ennemis, m’éloigner des malheurs mais aussi sur laquelle je me base pour attirer les faveurs (bienfaits) envers moi ainsi que mes partisans ».

Cet amour puissant, incandescent, vécu intérieurement, est en partage entre ces personnes illustres, fondatrices de la Tijanya au Sénégal comme de la voie mouride d’une part, avec  des libanais du pays de la Téranga dont la très grande majorité est chiite d’autre part. C’est donc un sentiment commun aux uns et aux autres, trait d’union d’un dialogue spirituel discret mais non moins réel qui se met en œuvre progressivement.

C’est ce même esprit d’ouverture et de quiétude d’un islam sunnite et baigné dans le soufisme des guides spirituels tijanes et mourides qui permet le dialogue accueillant envers les libanais chiites comme avec l’Église catholique, et fait le lit d’un Sénégal qui sait rassembler tous ses enfants et en fait sa grandeur.

Cependant, ce dialogue n’induit aucun prosélytisme en lui-même de la part des libanais chiites. En effet, malgré plus d’un siècle de présence au Sénégal et de dialogue discret, le chiisme reste totalement circonscrit à la communauté libanaise. Il prend corps à son tour au Sénégal, non par le biais de ce dialogue, mais plutôt par le processus d’intégration de cette communauté au tissu social autochtone, celle-ci étant, faut-il encore le rappeler, très majoritairement chiite.

Un lent processus d’intégration

Par delà les préjugés réels liés à la couleur de la peau, à l’absence de liens historiques (à moins de remonter à l’Antiquité égyptienne), aux différences de mode de vie et de statut social, les relations humaines autres que commerciales, strictement contrôlées et non tolérées (y compris la prière dans une mosquée) par le système colonial ont longtemps participé de la constitution d’un mur de verre, entravé puis anesthésié toute idée de rapprochement de la communauté libanaise vers le tissu social autochtone. Celle-ci, suffisamment importante à Dakar, a pu disposer des moyens d’un auto repliement dans lequel elle a pris l’habitude de vivre, évoluer, pour finir par s’y incruster durablement. C’est ainsi que le mur de verre de séparation mis en place dès le début du vingtième siècle par le système colonial, accentué à partir des années qui ont suivi l’indépendance du Liban en 1943 (peur d’une contagion ?), a pris profondément racines pour exercer sa chape de plomb de nombreuses décennies après sa sortie formelle du paysage.

Ce mur de verre était plus ténu dans les petites villes et les villages, la communauté libanaise étant trop restreinte pour pouvoir y vivre dans un auto repliement total. D’où des relations plus denses avec leur entourage immédiat, relations humaines réciproques développées et nourries dans quelques cas dès la première génération, maîtrise parfaite de la langue, wolof en milieu wolof, poulaar en milieu peulh, sérère en milieu sérère, etc…, relations amoureuses formalisées ou non par un mariage, donnant naissance à des enfants métisses assumés, généralement entièrement pris en charge par la famille du père libanais, en l’occurrence, dans les cas de naissance hors mariage.

Ces dernières années, le mur de verre a commencé à se fissurer progressivement à son tour à Dakar. L’éclosion de relations humaines et sociales s’y conjugue de plus en plus avec les relations économiques et professionnelles, la maîtrise de la langue wolof par la troisième génération de la communauté libanaise de Dakar. Ce processus se renforce avec la venue des libanais de l’intérieur ayant déserté les petites villes et les villages, ceux-ci ayant déjà initié et entamé un processus d’intégration significatif depuis plusieurs décennies.

La Xénophobie comme arme de destruction et de déstabilisation…

Différence de couleur et surtout différence de statut, du fait même de son confinement au métier de commerçant imposé par le colon, le libanais dont la circulation de l’argent se faisait socialement par son intermédiaire, a été à son tour objet de préjugés. Être libanais, c’est être riche. Être libanais, c’est vivre à part. Ce qui nourrit son préjugé et sa fonction sociale est cela même qui nourrit le préjugé qu’il reçoit en retour, et en plus aigu encore.

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Alors que c’est essentiellement par le biais de ce processus d’intégration de la communauté libanaise que le chiisme prend corps, le wahhabisme tout comme l’église évangélique et le prosélytisme élitiste juif s’implantent grâce à l’action d’États qui les financent directement ou par l’intermédiaire d’ONG émanant de leurs influence et volonté. Le colonialisme s’est forgé de comptoirs commerciaux, d’alcool et de la Bible, l’impérialisme se forge de systèmes de sécurité, de mondialisation idéologique, d’ONG et de lobbying.

L’Afrique subsaharienne, notamment au Sénégal sujet de ce texte, a toujours vécu un islam apaisé, ouvert et respectueux des autres croyances. Mieux, les religions coexistent non seulement avec les cosmogonies préexistantes mais aussi entre elles jusque dans le cercle intime de la famille.

Pourtant, depuis quelques années, on a comme le sentiment d’une certaine raideur, on perçoit peu ou prou le développement de crispations diffuses, de critiques et suggestions insidieuses contre cet islam apaisé et ouvert, quand il ne s’agit pas d’un islam convoqué et assimilé à une invasion étrangère à telle ou telle occasion.

La destruction de la Libye a donné un souffle gigantesque au djihadisme inspiré par le wahhabisme, quand il n’est pas tout simplement financé et soutenu par ses réseaux fortement implantés à travers mosquées, écoles religieuses, associations caritatives, et j’en passe… La déstabilisation des pays du Sahel a pris une ampleur de la même veine que celle qui a surgi au Proche et Moyen-Orient dès la décennie antérieure. Cela n’est pas sans conséquence sur le Sénégal, même s’il reste un havre de paix comparativement aux pays voisins.

Longtemps protégé par l’absence de richesses minières, sa force résident dans sa Téranga, son investissement dans l’éducation et la culture d’une part, dans la coexistence d’un islam apaisé ouvert, d’un catholicisme inclusif et des vestiges non moins réels et marqués des croyances issues de ses cosmogonies propres.

L’existence avérée de ressources minières, et plus particulièrement aujourd’hui pétrolières et gazières, changent radicalement la donne. Et le plus grand niveau de vigilance et de discernement s’impose.

De la même manière que Ford crée le besoin de voiture auprès de ses employés pour développer sa production de masse, les marchands d’armes et de sécurité ont besoin d’insécurité et/ou de sentiments d’insécurité pour vendre leurs produits à un niveau de masse.

L’aveuglement à susciter et entretenir des crispations, même en jurant à tort ou raison de sa bonne foi, nous impose de nous interroger. Et nous demander, de façon crue, mais quelle mouche les a donc piqués, dans les circonstances particulières que traversent la zone sahélienne et le Sénégal en particulier pour, qui interdire le voile sous prétexte d’établissement privé, qui interdire la prière au sein de l’Institut Européen de management, qui licencier deux employés pour raison de perturbations qu’ils susciteraient dans l’exercice de la prière.

N’y aurait-il donc point d’aménagements possibles propres à satisfaire exigences ayant toujours cohabité mais devenues, par on ne sait quel tour de passe-passe ou épuisement/implosion brutal de l’esprit, brusquement antagoniques ? Tout cela, ô ironie, sous prétexte de préserver un espace de dialogue, de cohabitation et d’intégration, un espace de non différences !

Cela ne mériterait-il pas de prendre quelques jours de repos, voire faire une petite cure de sommeil pour reprendre ses esprits ? C’est peut-être dit sur un ton léger et pourtant on ne peut plus sérieux.

Mais non, l’attaque est chaque fois brutale, ferme, sans concessions possibles. Car la direction de l’ISJA ne finit par obtempérer que sur l’intervention du Pape en personne. C’est peu dire d’en être arrivé à cette extrémité !

Pour maîtriser le démon, encore faudrait-il d’abord le nommer.

Restons-en donc à l’école Jeanne d’Arc, puisqu’elle a concentré l’actualité et l’acuité du sujet. Alors, pourquoi cette attaque si brutale et sous un ciel particulièrement serein ? Dans une institution où le dialogue inter religieux et inter culturel s’exerce et se construit au quotidien depuis de si nombreuses décennies et même un siècle, où le bâtir ensemble est constant et fructueux ? Dans une institution ou justement, les libanais sont de loin les plus nombreux à côtoyer leurs camarades autochtones de souche (car ils sont sinon tous sénégalais, au moins natifs du pays avec des parents y vivant depuis plusieurs décennies, faut il le rappeler) et où donc les relations sociales et affectives sont les plus à même de se nouer et de se développer, et se nouent et se développent ?  

Prétexter de quelques élèves voilées qui ne donnent pas la main à des camarades de sexe masculin pour lancer une campagne de tension, de suspicion et rejet, pour ébranler et fissurer un lieu par excellence de dialogue et d’intégration. Accuser d’une attitude de non intégration de ce que ces jeunes filles voilées lient, à tort ou à raison à un précepte religieux, pour en réalité briser ce qui est un des joyaux du dialogue et de l’intégration.

Ce qui se joue à l’école Jeanne d’Arc est-il un simple fait isolé ou est-il l’arbre qui cache la forêt ? Que cherche ce pyromane qui crie au feu ? Est-ce un simple personnage enfermé dans une conception étroite et brutale de son autorité ? Est-ce une simple imposition, via le Conseil National du Laïcat, de la nouvelle interprétation franco-Front National aujourd’hui en vigueur en France que l’on veut nous imposer, comme l’Occident sait systématiquement imposer ses nouvelles valeurs, modes de pensée et modes tout court au reste du monde ?

L’argument de la laïcité ou comment nous faire prendre des vessies pour des lanternes

La laïcité française est liée à une histoire qui n’a rien à voir avec la nôtre. Ses racines plongent dans la révolution française, les soulèvements et les guerres civiles qui l’ont traversée, l’Église prenant systématiquement fait et cause pour les royalistes contre les républicains, puis, avec l’industrialisation au XIXe jusqu’à la seconde guerre mondiale, pour le patronat contre les ouvriers, les conservateurs contre les républicains et les démocrates.

Quant au Sénégal, jamais les confréries religieuses n’y ont joué un tel rôle, bien au contraire. Elles ont systématiquement joué un rôle de tempérance, voire d’opposition au joug colonial. A partir de l’indépendance, elles ont continué à jouer ce même rôle de tempérance vis-à-vis du pouvoir politique, contenant ainsi certains de ses accès à des dérives, et de protection discrète mains non moins efficace de l’opposition, préservant ainsi la stabilité du pays et cultivant le dialogue et la concertation.

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Malgré ce statut particulier de l’Église en France, lorsque la loi sur la laïcité a été votée et mise en œuvre, celle-ci n’a pas été interdite de cité à l’école. C’est une volonté d’apaisement qui a prévalu malgré de vifs débats. Jusque dans les années soixante, il y avait dans les écoles, une aumônerie de façon quasi généralisée. L’AEP (Aumônerie de l’enseignement public) a pu y jouir de l’existence de milliers de structures. Si leur nombre a diminué aujourd’hui (elle réclame quand même sa présence dans plus de 2600 établissements selon ses derniers chiffres publiés en 2012), c’est parce que les français ont cessé très majoritairement d’être pratiquants pour se contenter de l’habit culturel catholique.

Et jusqu’à aujourd’hui, il existe des aumôneries dans l’armée française, dans les hôpitaux publics, dans les prisons comme dans les internats des écoles. Leur existence est obligatoire dans tous les lieux publics fermés.

Quant aux écoles sans internat, il suffit que des parents en fassent la demande pour qu’une aumônerie s’y crée. Le gouvernement français a cessé de communiquer des chiffres à ce sujet depuis 2003, soit depuis sa prétendue loi en 2004 contre les insignes religieux à l’école, en fait une loi contre le voile islamique. Il est clair que ce refus de communiquer a tout simplement pour objectif d’éviter que les musulmans connaissent leur droit et réclament à leur tour d’en disposer. Et il est vrai qu’aujourd’hui, en conséquence d’un laïcisme exacerbé depuis de longues années, les autorités ecclésiastiques sont généralement obligées de recourir au rectorat pour obtenir la création de nouvelles aumôneries tant les chefs d’établissement sont à leur tour devenus frileux et paniqués à l’idée que des élèves musulmans réclament les mêmes droits.

Le problème est donc clairement l’islam, pas la laïcité.

Si les français désertent les églises et les pratiques cultuelles du fait de leur histoire propre, en quoi serions-nous concernés, et de quel droit voudrait-on nous juger et nous soumettre à leurs évolutions et leurs modes ?

Quand il y avait massivement des aumôneries qui s’affichaient publiquement dans les écoles publiques, la France n’était-elle pas laïque et républicaine? Il faut noter de plus que leur existence est intégrée à la loi de 1905 et aménagée régulièrement par des décrets et circulaires jusque dans les années soixante.

Quand la non mixité à l’école était de règle jusqu’à la fin des années soixante, la France n’était-elle pas laïque et républicaine?

L’interdiction du voile n’a rien à voir avec le catholicisme. Les femmes d’église continuent de porter le voile qui est une affirmation de leur foi. Les femmes françaises, jusque il y a quelques décennies, mettaient un foulard avant d’entrer dans une église. Et l’on pourrait allonger la liste… et elle serait bien longue.

Au nom de quoi devrions-nous nous laisser imposer ou nous imposer à nous-mêmes ces évolutions ?

L’interdiction du voile à l’école n’a rien à voir avec la laïcité. C’est un combat contre l’islam, combat mené sous le couvert de la laïcité, qui s’est transformé de fil en aiguille en islamophobie de plus en plus morbide avec les crises économiques et sociales successives, la montée du chômage, l’exacerbation du racisme anti arabe et anti immigrés, le développement du terrorisme jihadiste financé et nourri idéologiquement par le wahhabisme. Un combat essentiellement porté aujourd’hui par le lobby sioniste et l’extrême-droite, malheureusement partagé du fait d’une idéologie franco-Front national devenue maintenant dominante à force de trahisons des élites au pouvoir.

L’argument de l’école privée libre de son règlement propre, un argument spécieux

Il s’agit là aussi d’un prétexte tout à fait fantaisiste. Ce n’est pas parce que l’on emploie le terme privé qu’on peut se croire permis de se cacher derrière son petit doigt. Est-ce qu’il viendrait à l’idée d’une entreprise privée de s’appuyer sur son caractère privé pour établir un règlement intérieur qui ne respecterait pas la Constitution ou la loi sénégalaise ? Interdire par exemple les syndicats, refuser d’appliquer telle ou telle disposition relevant de la loi ? Dire à ses employés que s’ils ne sont pas contents, ils peuvent disposer et aller chercher ailleurs ? Est-ce qu’un syndicat, un parti, une ONG ou association quelconque pourrait se prévaloir d’un caractère privé pour se permettre de contrevenir à la loi ?

Tout établissement, entreprise, association ou autre, de caractère public ou à vocation publique, se doit de respecter la loi pour obtenir son agrément. Tout règlement, fût-il intérieur, d’une structure à vocation ou à caractère public, se doit de le soumettre à l’autorité de tutelle qui doit l’agréer avant d’être applicable.

Il s’agit donc bien là d’un argument spécieux de la part des thuriféraires de la mesure prise par l’ISJA.

Il serait urgent que l’État prenne les dispositions nécessaires pour clarifier et traiter sereinement mais fermement ces questions en concertation avec les autorités sociales et morales du pays. Les derniers événements à l’école Jeanne d’Arc ne doivent pas occulter le même type d’attaque à Thiès comme dans la banlieue de Dakar ces dernières années, l’affaire de la pharmacie Guigon, l’interdiction de prier au sein de l’IEA (Institut Européen des Affaires) décidée récemment.

Disons le clairement là aussi : ce n’est pas la prière qui y est interdite, mais bien la prière musulmane. On ne peut pas interdire à un chrétien d’y prier, quand bien même voudrait-on sérieusement l’imposer. Le chrétien peut faire sa prière debout, assis, dans n’importe quel endroit et à n’importe quel moment. Il n’a ni ablutions ni gestes particuliers nécessaires à réaliser. Même s’il souhaite exprimer ou finir sa prière par un geste de la croix, il peut le faire de sorte que cela passe inaperçu. Il n’en est pas de même pour le musulman qui, lui, doit répondre à des contraintes précises : commencer par faire ses ablutions, respecter les périodes de prières, répondre à un rituel strict comme ponctuer sa prière par des génuflexions et des prosternations…  C’est donc bien la prière musulmane qui est visée et y est interdite.

Notre école a été construite et organisée selon la culture du colon. Est-il nécessaire qu’elle continue de fonctionner selon cette culture et les besoins du colon, eût-il cessé de se nommer ainsi ? N’est-il pas temps d’adapter son organisation et son fonctionnement aux réalités du Sénégal, à sa conception propre de la laïcité, à la reconnaissance des besoins de tous ses enfants, quelque soient leurs religions ou croyances respectives, au lieu de se soumettre à des dérives identitaires et exclusives. Notre pays a besoin d’élites et d’enfants inclusifs qui cohabitent et portent des valeurs partagées, pas des valeurs qui habitent les unes à côté des autres mais ne savent plus cohabiter et finissent par se regarder sous le manteau, puis en chiens de faïence.

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Ces trois attaques quasi simultanées seraient-elles simplement le fruit du hasard ?

Une campagne xénophobe pour un objectif double

Dès la mesure d’interdiction du voile annoncée vers la fin de l’année scolaire dernière, avec les remous attendus compte tenu qu’elle vise des élèves qui sont dans l’établissement depuis de nombreuses années et, pour certaines, depuis leur plus tendre enfance, la communauté libanaise a été mise en accusation pour son refus d’intégration à l’image de ces jeunes filles voilées.

Nous avons assisté à un discours tout de suite bien rodé : d’une part cet établissement catholique d’excellence, qui forme des élites pour le développement et l’unité du Sénégal, d’autre part cette communauté libanaise, étrangère, qui refuse de s’intégrer et veut, de surcroît, nous imposer ses tenues vestimentaires d’un autre âge. À noter que nous retrouvons exactement en France, avec la vague d’islamophobie qui y déferle, les mêmes arguments contre les musulmans. C’est du copier-coller.

Mais que représentent les libanais ? Quel puissant État pour les soutenir ?

Disons le clairement et sans ambages ? Une proie facile, du grain à moudre fragile, du calcaire tout au plus et surtout pas du basalte, une minorité visible, prétendument riche, sur laquelle peut se déverser une haine sans le retour du boomerang. Alors, pourquoi pas après tout ? Après avoir échoué à imposer cette mesure il y a quelques années à Thiès et dans la banlieue de Dakar, s’appuyer cette fois sur la xénophobie pour enfin obtenir gain de cause !

Et au fur et à mesure que cette campagne de haine s’installe et s’intensifie, créer une division au sein de cette communauté elle-même. On cible dorénavant les libanais chiites et le Hezbollah. Voilà donc l’ennemi enfin nommé et bien circonscrit. Le loup sort donc du bois !

D’où sort donc cet ennemi ? De qui peut-il bien être l’ennemi au Sénégal ?

Le Hezbollah est connu comme un mouvement de résistance, né avec l’occupation d’une partie du Liban par l’État d’Israël de 1982 à 2000. Le Liban est un tout petit État, incomparablement plus faible qu’Israël sur tous les plans : économique, financier, technologique, avec une armée aussi faible qu’une gendarmerie d’un État plus que moyen, avec un système confessionnel qui l’oblige à un effort constant d’équilibre instable et qui fonde pourtant toute sa richesse et sa vigueur à toute épreuve. Voilà donc un pays de rien du tout, dont la seule prétention est d’avoir une civilisation au moins trois à quatre fois millénaire, qui non seulement tient tête à l’État d’Israël, malgré tout le soutien – dont il profite abondamment et démesurément – des puissances occidentales et plus particulièrement des États-Unis, refuse non seulement de se soumettre, mais a l’outrecuidance de le bouter hors de ses frontières après dix-huit ans de résistance !

Pire, malgré les destructions immenses qu’il subit, après chaque confrontation que lui impose l’État d’Israël, il ne cesse de résister et de se renforcer jusqu’à établir aujourd’hui un rapport de force appréciable contre lui. Ce minuscule petit Liban de rien du tout, qui s’entête à rééditer le combat du village gaulois qui n’entend nullement se soumettre à l’empire romain, bande dessinée ou pas.

Oui, c’est bien celui-là l’ennemi, l’empêcheur de soumettre en rond le Proche et Moyen-Orient, avec cette force de frappe qu’est devenu le Hezbollah et dont l’ossature est encore aujourd’hui essentiellement mais non exclusivement chiite. Mais dont les valeurs sont l’essence du chiisme, valeurs de refus de l’oppression, de la soumission, des valeurs qui se fondent sur l’exigence de liberté, de justice et de dignité, et pourtant valeurs on ne peut plus universelles. Et on n’a pas besoin d’être chiite pour cela ; il se trouve juste que les chiites les vivent au quotidien, voient leur cœur battre au rythme de ces valeurs, et les commémorent chaque année au plus profond de leur chair autour de leur martyr et imam Houssein.

Voila donc l’ennemi. Mais l’ennemi de qui ? L’ennemi de l’État d’Israël et de ses affidés, les évangéliques venus des États-Unis et les wahhabites obnubilés par la peur d’être emportés par leurs peuples et dont ils n’ont plus les moyens d’acheter la docilité, ayant eu l’idée désastreuse de dilapider leur rente pétrolière dans des achats d’armement qu’ils ne peuvent même pas faire fonctionner, si ce n’est par mercenaires interposés et eux aussi grassement payés, pas les soudanais et autres chairs à canons bien sûr, mais les américains, israéliens, français, britanniques, et j’en passe… bien planqués à l’arrière ou dans leurs avions à lâcher des bombes. Sans parler du financement de guerres civiles dans de nombreux musulmans depuis quelques décennies.

Et il est vrai que les chiites libanais sont l’objet d’attaques dans de nombreux pays, aussi bien en Afrique qu’ailleurs, partout où israéliens, évangéliques ou wahhabites sont implantés. Attaques xénophobes, assassinats, kidnappings (organisés ou exécutés sur ordre des États-Unis ou de l’État d’Israël ?), comme on l’a vu lors de transit dans un aéroport, tout récemment encore, en Éthiopie. Partout où on peut s’autoriser à attaquer pour soi-disant détruire les sources financières, matérielles, morales qui pourraient soutenir le Hezbollah. Il ne s’agit pas seulement de couper ces sources, mais isoler, jeter la suspicion et entretenir la xénophobie contre les libanais pour les détruire moralement et socialement en tant que communauté et en tant que force.

La presse internationale parle beaucoup de la guerre financière contre l’Iran. Elle parle peu de la guerre en cours, essentiellement souterraine contre les chiites libanais.

Le Sénégal n’a rien à voir avec cette guerre. Pire, cette guerre en cache de fait une autre. Et d’une pierre, faire deux coups, car derrière les crispations identitaires suscitées autour des libanais en général et des chiites en particulier, ce sont les crispations identitaires au sein de l’ensemble du peuple sénégalais qui sont visées et que l’on cherche à nourrir.

L’essentiel est ailleurs. Il est dans la stabilité du Sénégal qu’il faut préserver, et ses richesses minières et énergétiques qui doivent être au service de son développement au profit de toute la population sénégalaise. 







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