Les soupçons qui pèsent sur le chinois Huawei, accusé d’aider de nombreux États africains à surveiller les opposants et à réprimer les voix dissidentes, prouve l’urgence d’ouvrir un débat démocratique pour contrecarrer les risques que font peser la colonisation numérique en cours, bien plus sournoise que la précédente vague d’invasion.
Au cœur de la guerre commerciale que les États-Unis livrent à la Chine, la saga Huawei n’en finit pas d’apporter son lot de révélations. Selon la dernière en date, l’entreprise chinoise aiderait de nombreux États d’Afrique à surveiller et à réprimer les voix dissidentes. En Ouganda, des caméras de vidéosurveillance équipées de logiciels de reconnaissance faciale et d’outils d’espionnage de smartphones, fournis par Huawei avec service après-vente, auraient permis aux autorités de déjouer des manifestations et de démanteler des réseaux mobilisés contre le régime trentenaire de Yoweri Museveni.
Ces révélations ne surprennent pas les activistes qui dénoncent depuis longtemps la guerre que mènent certains États africains contre les activités numériques de leurs opposants, avec l’aide de firmes chinoises, allemandes ou israéliennes. Les esprits avisés entrevoient déjà que les outils qui paraissent aujourd’hui si pratiques aux États se retourneront contre eux et leurs populations dans un futur pas si lointain.
L’histoire a montré que tout système pensé en réaction à des menaces circonstancielles est porteur de danger. La précipitation et l’opacité qui entourent l’adoption des outils de surveillance de l’espace physique et numérique africain ne permettent pas de réflexion sur les dérives éventuelles.
Données personnelles
On estime que plus de la moitié des États du continent font état de lois sur les données personnelles insuffisamment protectrices, lorsqu’ils en sont pourvus. La question des biais sexistes et racistes dans les outils de reconnaissance faciale assistés par intelligence artificielle (IA) fait l’objet de nombreux débats dans le monde. Sauf semble-t-il en Afrique, où seuls les bienfaits de l’IA sont présentés.
Avec l’assistance de sociétés étrangères, les programmes de surveillance se développent à une vitesse fulgurante, sans que personne ne se demande où finissent les données personnelles des Africains ni ne s’inquiète de l’utilisation qui pourrait en être faite par les puissances entre les mains desquelles elles tombent. Personne ne se préoccupe de la nouvelle colonisation technologique et numérique, bien plus sournoise que la précédente vague d’invasion.
Les dirigeants africains devraient voir au-delà des bénéfices immédiats procurés par ces technologies. De vrais débats démocratiques doivent avoir lieu pour que chaque État décide des outils qui répondront aux enjeux de sécurité et de développement, tout en préservant les libertés des citoyens.
Julie Owono est avocate camerounaise, directrice exécutive d’Internet sans frontières